UP PREVIOUS NEXT TOP

8.4.2 Modèles de l'utilisateur réel

L'utilisateur d'un système informatique dispose d'un certain nombre d'idées, de connaissances et de représentations qui lui permettent d'utiliser plus ou moins bien le système. Cette image ou représentation du système chez l'utilisateur est souvent désignée sous le nom de modèle mental (Gentner et Stevens, 1983). A la différence des modèles canoniques, les connaissances de l'utilisateur réel sont rarement complètes et correctes. Parmi les modèles décrits, ceux qui se rapprochent le plus du concept de modèle mental sont les modèles métaphoriques (Carroll et Olson, 1988). Un modèle métaphorique résulte d'une analogie directe entre le système utilisé et un système plus connu: la machine à écrire sert de métaphore au traitement de texte, le bureau sert de métaphore à certains système d'exploitation. Ces modèles sont efficaces car ils permettent au sujet de transférer à un nouveau système ce qu'ils ont appris avec un système familier.

Néanmoins, deux systèmes sont rarement identiques. C'est le propre des système informatiques d'offrir des fonctionnalités qui n'existent pas dans les autres systèmes (Waern, 1989). Si le sujet n'est pas conscient des différences, la métaphore le conduira à commettre des erreurs: par exemple, dans un traitement de texte traiter l'espacement entre paragraphes au moyen de retours de chariot, au lieu de définir cet espacement de manière générique.

Waern (1989) rapporte une expérience dans laquelle elle compare deux groupes d'utilisateurs d'un traitement de texte. Au premier groupe, elle propose de s'inspirer de la métaphore de la machine à écrire. Au second groupe, elle propose une autre métaphore dans laquelle chaque élément du texte est vu comme un bloc que l'utilisateur peut déplacer, supprimer, ... Le choix de la métaphore n'a pas créé de différence entre les deux groupes. Il semble que les sujets ont détecté rapidement les différences entre les interactions prédites par leur modèle et les interactions réelles avec le système. Cette adaptation serait facilitée par le fait que les sujets ont des présuppositions telles que "un traitement de texte doit être plus complexe qu'une machine à écrire ordinaire".

Cette expérience illustre la différence principale entre les modèles idéalistes (canoniques) et les modèles réalistes. Les utilisateurs ne disposent généralement pas d'un modèle complet du système (Carroll et Olson, 1988; Waern, 1989), qu'il s'agisse de modèle de l'utilisation ou du fonctionnement. Par exemple, en ce qui concerne l'utilisation du système UNIX, 70% des commandes utilisées concernent une portion réduite (20%) des 400 commandes disponibles. Les connaissances de l'utilisateur constituent une mosaïque de modèles fragmentaires (Di Sessa, 1986; Shrager, 1986). L'utilisateur peut comprendre le fonctionnement interne de certaines fonctionnalités du système, mais fonctionner dans d'autres cas au moyen de recettes (modèle d'utilisation). On pourrait penser que, plutôt que de déterminer le modèle mental de l'utilisateur, il est préférable de lui imposer un modèle correct. Malheureusement, il ne suffit pas de proposer un modèle correct pour effacer un modèle inadéquat. Il semble que deux modèles partiellement contradictoires puissent cohabiter

Validité de ces modèles. Une question fondamentale consiste à savoir si les sujets disposent vraiment de telles représentations mentales. L'existence de représentations mentales est aujourd'hui fortement remise en cause par les théories de la cognition située. Selon Suchman (1987), ces représentations ne guident pas nécessairement les actions du sujet mais sont créées a posteriori, au moment où le sujet est amené à réfléchir sur ses actions, soit parce que quelque chose ne marche pas, soit parce qu'il doit intervenir avec une tierce personne. Un second débat concerne le statut des formalismes informatiques utilisés pour encoder les représentations éventuelles du sujet. Les sujets possèdent-ils vraiment des règles ou des plans dans leur 'tête'? Ces concepts ont-ils une réalité presque physiologique ou ne s'agit-il que d'une abstraction construite pour décrire des invariants dans le comportement des sujets? Ce débat dépasse le contenu de cet ouvrage. Le lecteur pourra se référer au débat entre Clancey (1992) et Wielienga & Sandberg (1992).