LES PERSONNAGES DE
 LA COMMEDIA DELL'ARTE

       La Commedia dell'Arte est  un théâtre anti-littéraire: elle se joue non à partir d'un texte rédigé à l'avance, mais d'un simple canevas, d'un "scénario": par exemple un galant fait remettre un billet d'amour à une jeune fille à la barbe de son propre père, le grotesque Pantalon. A partir de là, les acteurs improvisent, construisent un dialogue. La pièce est ainsi une sorte de création collective.

       Dans ce système tout repose sur l'acteur. Le succès dépend de la vivacité de ses répliques, et de leur à propos. Encore faut-il que ses partenaires ne lui gâchent pas maladroitement ses effets: ils doivent savoir s'effacer au bon moment ou au contraire intervenir promptement pour l'aider lorsque l'inspiration lui fait défaut.
       Cela suppose dans la troupe, une grande unité, une grande solidarité, qui rendent difficile le remplacement d'un comédien.
       La perte  de l'un d'eux est toujours une catastrophe pour la troupe. Car l'aptitude à jouer sur le champ suppose une longue pratique : quand on n'a pas de texte, il arrive que l'on soit pris de court. Il existe alors des techniques pour combler le vide : on peut faire des grimaces ou des contorsions, mimer une suite d'épisodes, ou avoir recours, aux lazzi. Ce sont des gestes ou des plaisanteries stéréotypées, comme de donner une gifle avec le pied ou de puiser dans un chapeau des cerises imaginaires pour en jeter les noyaux au visage du partenaire, à moins que , comme Arlequin, on ne préfère attraper une mouche au vol et la croquer avec délice.

       Cela fait toujours son effet. Car, dans ce théâtre la parole n'est pas en définitive la ressource essentielle.
C'est la "composition" de son personnage, son allure, son costume et sa façon de se tenir, qui décident du succès.

       Le côté  comique (de ce théâtre) réside dans les ridicules ou les monstruosités de la nature, dans les visages déformés, les nez caricaturaux, les fronts pointus, les crânes chauves, les longues oreilles, les jambes torses.
Ces défauts peuvent être reproduits au moyen de masques ou par l'art, et sont aussi risibles lorsqu'ils sont copiés, qu'ils sont tristes et pitoyables dans la vie. Tout est donc dans le jeu et les subtilités de l'apparence: la base de ce théâtre, c'est la caricature populaire.

       Cela explique son succès. Il faut ajouter en outre que la Commedia dell'Arte reflétait en les exagérant les ridicules et les particularités locales, si importants en Italie, tout spécialement les dialectes, qui étaient un objet de moquerie d'une ville à l'autre: on rit de l'accent vénitien à Florence, de l'accent bolognais à Venise et de l'accent de Bergame partout, un peu comme en France, on rit de l'accent marseillais. Mais surtout la Commedia dell'Arte présentait le reflet de la vie populaire: dans le Pantalon qui vient d'entrer en scène le spectateur reconnaît son voisin ou son propriétaire. A cet égard, elle est vraiment un théâtre de la rue: elle nous présente des types dans lesquels s'incarne la malice populaire.
 
 

PANTALONE

       C'est le personnage vénitien le plus connu. De sa première apparition dans les compagnies de la Commedia dell'Arte, Pantalone, "le vieux", appelé "le Magnifique", s'exprimait dans le franc parler vénitien. On dit que son nom viendrait de Saint Pantaleone, un des saints les plus vénérés de la ville et à qui une église a même été dédiée. 
       Pantalone est un vieux marchand, souvent riche et estimé de la noblesse, mais il peut aussi incarner un vieux marchand ruiné (Pantalone des miséreux) : dans tous les cas il reste un vieux tout à fait particulier parce que malgré son âge il est capable de faire ses "avances" amoureuses qui n'aboutissent jamais de manière positive. C'est un homme d'une grande vitalité dans les affaires, au point de sacrifier le bonheur de ses enfants et l'harmonie familiale pourvu qu'il puisse "arranger"
quelques mariages avantageux. 
       Le costume est composé d'un béret de laine grecque, une veste rouge, de hauts de chausses, ou courtes braies, avec une ceinture à laquelle pend une épée, un
mouchoir ou une bourse. Sur les épaules, il porte un manteau noir souvent doublé de rouge à l'intérieur, ses pieds sont chaussés de savates noires ou de babouches à la turque avec les pointes retournées vers le haut. Sur le visage, le masque caractéristique  met en évidence son nez crochu, ses sourcils broussailleux et une curieuse barbichette pointue qu'il caresse du bout des doigts. 
       Le costume de Pantalon était parmi les plus portés par les vénitiens pendant le carnaval tant il était représentatif d'une noblesse qui se perdait en luxes et frivolités. Pantalon était à lui seul le modèle de l'esprit commerçant et du sens des affaires qui commençait à s'installer dans la bourgeoisie vénitienne.

IL DOTTORE

       Originaire de la "grasse et docte" Bologne, le Docteur représente le personnage comique qui du docteur n'a que le nom. Il est parfois médecin, parfois avocat ou encore notaire. Ce personnage est très certainement issu de l'esprit estudiantin et d'anciennes traditions de l'université de Bologne. 
       C'est un personnage présomptueux, orgueilleux, aimant le verbiage, les longues prédications truffées de citations latines la plupart du temps hors de propos: quand il commence à parler il est presque impossible de l'interrompre et quand il est appelé au tribunal, il fait étalage de ses "connaissances" latines. Une des caractéristiques du Docteur est son obésité. 
       Le costume est constitué d'un habit noir avec un petit col blanc. Sur la tête il porte une barrette de notaire ou un vaste chapeau de médecin. Son visage est couvert d'un demi masque noir qui met en évidence son nez charnu et son indispensable "poireau". 

COLOMBINA

       Malicieuse et charmante servante de la Commedia dell'Arte, personnage comique qui n'est pas vraiment un exemple de vertu à l'instar d'Arlequin son éternel soupirant, Colombine attire les sympathies par une coquetterie  bien propre à la gent féminine. Elle n'est pas connue uniquement sous ce nom, mais également sous celui d'Arlecchina, Corallina, Ricciolina, Camilla et Lisetta, devenant ensuite la très élégante "Marionnette" dans la "Veuve rusée" de Carlo Goldoni. 
       Son habit est simple, semblable à celui d'Arlequin, avec de nombreuses pièces colorées. Elle est coiffée d'un bonnet blanc, de la même couleur que son tablier. Parfois son costume ressemble à celui des servantes du XVIIIe siècle cependant, il est rarement accompagné d'un masque. 
       Colombine parle en dialecte toscan , mais comme
son amoureux, elle ne dédaigne pas les autres patois.

PULCINELLA

       Personnage napolitain originaire de la Campanie. Ses caractéristiques physiques le rendent semblable à un coq: son nez est en forme de bec. Il était défini par les anciens "pullus galinaceus", mais on pense que l'origine du nom serait plutôt à chercher du côté de "Pulliciniello" soit poussin. 
       Comme Arlecchino, Pulcinella est un serviteur idiot mais qui adopte parfois des attitudes contradictoires: il peut être aussi bien astucieux, courageux ou poltron.
       Il possède une gestuelle très vive, typique aux napolitains. Le Tiepolo en immortalisa plus d'un sur ses toiles de la Villa di Zianigo, que l'on peut admirer à Venise au musée du XVIIIe siècle. 
       Son costume est une chemise blanche, serrée dans une ceinture. Sur la tête il porte un long chapeau, tandis que sur le visage un masque noir fait ressortir le nez crochu et les rides. 

BRIGHELLA

       Brighella Cavicchio da Val Brembana est son nom tout entier. C'est un personnage de serviteur malin, ingénieux, qui sait aider mais aussi duper son maître. Il n'a pas de scrupules et sait s'adapter à tous les métiers: il peut devenir tavernier, soldat, premier serviteur ou voleur patenté, il est le serviteur rusé de la Commedia dell'Arte. Ce personnage est né à Bergame-haute et se différencie du serviteur idiot et polisson de la Bergame-basse. 
      Son costume est composé d'une chemise et d'un large pantalon de toile, mais sa veste s'orne de rayures vertes, le long du buste et sur le ventre, représentant vaguement une livrée. Parfois, il porte aussi un manteau court sur la chemise et un curieux chapeau. 
       Son parler est du dialecte bergamasque mais avec de singuliers accents qui rendent sa façon de parler très
spirituelle. C'est un musicien expert et un chanteur qui
s'accompagne souvent à la guitare.

IL CAPITANO

       Les origines de ce personnage, typique de la Commedia dell'Arte, sont très anciennes à tel point que ses racines remontent jusqu'au théâtre romain (Miles gloriosus de Plaute). C'est le personnage d'un soldat fanfaron, hâbleur et vaniteux. Il tire ses origines de la satire populaire contre le dominateur espagnol et contre
les différents mercenaires qui envahirent l'Italie.
       Caractéristique du personnage, le langage du capitan est plein de termes simili espagnols (il espagnolisait les mots italiens) qu'il utilisait pour décrire ses grandes entreprises militaires et ses gasconnades. Les noms de ce personnage sont pompeux : Capitan, Épouvante, Fracasse, Brise fer etc.) et souvent d'origine espagnole : Matamore, Sang et feu etc. 
       Son rôle dans la Commedia dell'Arte, est celui de l'amoureux exigent. Ses scènes avec les "Zanni" sont très amusantes : on l'y voit y déclamer de longues tirades sur ses gestes guerriers auxquelles personne ne prête attention. 
       Le costume est composé de son uniforme: un habit à rayures multicolores, enrichi de boutons dorés. Sur la tête il porte un chapeau à plume et il est toujours flanqué de sa grande épée. Il a rarement un masque sur le visage.

ARLECCHINO

       Né à Bergame-basse, au contraire de Brighella, il fait preuve de peu d'intelligence, il est bête, famélique et crédule.
       Nous retrouvons toujours Arlequin dans le rôle de
l'humble serviteur, comme dans " Arlequin serviteur de
deux maîtres" de Carlo Goldoni. 
       L'habit d'Arlequin est composé d'une veste et d'un
pantalon à pièces colorées et irrégulières, un béret de
feutre blanc, avec quelquefois un morceau de queue de
renard ou de lapin. Il porte aussi une ceinture à laquelle pend toujours une brosse en bois, le "batocio", tandis qu'il porte sur le visage un demi masque noir aux traits
démoniaques (le nom d'Arlequin viendrait de celui d'un démon appelé Alichino, cité par Dante Alighieri dans l'enfer de la Divine Comédie). Il porte quelquefois  de faut sourcils hérissés et des moustaches avec un nez proéminent : typique de l'habit d'Arlequin : la bosse rouge sur la tête.