GRANDIR AVEC LES CONTESDE FEES
Introduction | Le besoin
de magie
chez l'enfant |
Principe
de plaisir
Principe de réalité |
Le conflit Oedipien |
La valeur des contes de fée dans la littérature
infantile semble indiscutable depuis que Perrault, suivant le nouvel intérêt
que porta son époque à l’éducation des enfants, publia
ses Histoires ou contes du temps passé (1697): “On peut dire que
c’est lorsque les Contes de Perrault ont été écrits,
en ce moment précis de l’histoire où de plus en plus d’auteurs
européens commencèrent à s’adresser explicitement
aux enfants (en tant qu’entités séparées), donnant
pour la première fois, par l’écrit, une forme concrète
à des modèles, que s’amorça véritablement le
développement de la littérature moderne pour enfants.”
Cette appropriation du conte oral de tradition populaire
(qui ne s’adressait pas nécessairement aux enfants), allait aboutir
à un genre de discours littéraire qui, tout en s’appuyant
sur des motifs traditionnels, tendait à favoriser l’intégration
de l’enfant dans la société en le nourrissant des codes sociaux
de son époque. Ainsi, les morales explicites qui clôturaient
les récits prirent une nouvelle importance, et l’on a pu croire
longtemps que le Petit Chaperon Rouge était porteur d’un enseignement
précieux pour les jeunes filles trop confiantes.
Un tel apprentissage des normes sociales pouvait au besoin
prendre un visage terrifiant dans cette perspective, ainsi ce conte rapporté
par les frères Grimm dans lequel un enfant difficile tombe malade
par la volonté de Dieu et, mis au tombeau et recouvert de terre,
relève encore son petit bras que sa mère doit fouetter pour
qu’il se couche enfin et trouve son repos sous la terre (Grimm, L’Enfant
difficile).
L’œuvre de Bettelheim
allait mettre en lumière un profit bien différent que l’enfant
pouvait
retirer de ces récits merveilleux: en mettant
en scène les conflits psychiques que doit traverser l’individu dans
son développement et en leur donnant une conclusion heureuse, les
contes pouvaient aider à surmonter nos angoisses inconscientes.
“Le conte de fée […] prend très au sérieux
ces angoisses et ces dilemmes existentiels et les aborde directement: le
besoin d’être aimé et la peur d’être considéré
comme un bon à rien; l’amour de la vie et la peur de la mort. En
outre, il présente des solutions que l’enfant peut saisir selon
son niveau de compréhension.” Le Petit Chaperon Rouge prend dès
lors une coloration bien différente: le récit permet de surmonter
nos “ambivalences”, et la sagesse, que l’héroïne acquiert au
terme de son aventure, à l’égard de la vie et des dangers
auxquels ses désirs peuvent l’exposer, est “transmise à tous
les auditeurs”.
Cette perspective souffre pourtant de la nécessité
de trouver des contes qui, nécessairement, “finissent bien”. Ainsi,
la version des frères Grimm sera-t-elle, de ce point de vue, jugée
meilleure que celle de Perrault dans laquelle la jeune fille est dévorée
sans rémission, et “l’enfant difficile” aura beau se relever de
sa tombe, il vaudra mieux l’ignorer totalement.
Au-delà de la morale explicite et des happy ends, une nouvelle approche, s’appuyant sur l’étude de nos interactions symboliques, souligne de façon plus générale la valeur indiscutable des contes populaires dans le processus de socialisation. On constate ainsi que la grande majorité de ces récits mettent en scène de manière systématique le recours des personnages aux diverses postures du secret, du mensonge, de la déformation imaginaire et du dévoilement.
Les capacités de montrer ou de dissimuler nos représentations mentales, de les déformer à loisir en recourant à l’imaginaire, de respecter ou d’enfreindre les règles normatives de la communication, sont au cœur du développement cognitif de l’individu, et de ses capacités de socialisation. Si, dès quatre ans, l’enfant est en mesure de mentir pour dissimuler un méfait (“ce n’est pas moi qui ai cassé le vase, c’est le chat!”), cela implique qu’il est capable de voiler ses pensées intimes, d’inventer un énoncé imaginaire, et de transgresser les normes parentales qui exigent sa sincérité.
Par ailleurs, et de manière purement défensive,
être incapable de percevoir le mensonge des autres – comme c’est
le cas du Loup dans ses aventures avec Renard – nous met également
en danger. Le Petit Poucet sauve ses frères en surprenant une conversation
“privée” entre ses parents, Blanche-Neige prend des risques en faisant
confiance à la vieille marchande, Jeannot et Margot n’échapperont
au piège de la sorcière qu’au prix de mensonges habiles;
se faisant engraisser, Jeannot obtient un délai en faisant tâter
à la sorcière myope un petit os de poulet à la place
de son doigt, et sa sœur recourt à la ruse pour pousser
l’ogresse dans le four où elle finira grillée
(Grimm, Jeannot et Margot).
Ici comme ailleurs, on découvre que les formes
interactives qui semblent les plus perverses peuvent parfois être
d’un grand secours et qu’il est nécessaire de savoir au moins les
pressentir chez les autres acteurs. Si le Petit Chaperon Rouge n’avait
pas cru au mensonge grossier du loup, dont le déguisement imparfait
l’intriguait tant, elle aurait pu s’échapper à temps.
Cette réversibilité dans les contes déborde la sphère des interactions humaines et s’étend à la nature et à la surnature (intervention de personnages doués de pouvoir extraordinaires). Par leur aspect merveilleux, les contes permettent aussi à leur auditeur de se plonger dans un univers où l’imaginaire est libéré de la contrainte de représenter la réalité aussi fidèlement que possible.
Le contact au merveilleux est donc un moyen efficace de
nourrir un esprit créatif trop souvent étouffé par
les contraintes auxquelles est soumis l’enfant. Enfin, en introduisant
aux jeux drôles, dramatiques, tendres et méchants des échanges
symboliques, les contes nous initient à notre espace d’incertitude,
identifiant d’infinies dynamiques et nuances de notre jeu du réversible
qui inclut la liberté et la transcendance de l’acteur. C’est pourquoi
cette littérature, qu’elle soit moraliste ou non, qu’elle nous libère
de nos angoisses ou les laisse en suspens, apparaît si précieuse
pour les enfants engagés sur la voie de la socialisation.
Le besoin
de magie chez l'enfant
Mythes et contes de fées répondent aux éternelles
questions : " A quoi le monde ressemble-t-il vraiment ? Comment vais-je
y vivre ? Comment faire pour être vraiment moi-même ? " Les
mythes donnent des réponses précises, alors que les contes
de fées ne font que suggérer ; leurs messages peuvent sous-entendre
des solutions, elles ne sont jamais exprimées clairement. Les contes
de fées laissent, l'imagination de l'enfant décider si (et
comment) il peut s'appliquer à lui-même ce que révèle
l'histoire sur la vie et sur la nature humaine.
Le conte de fées procède d'une manière
tout à fait adaptée à la façon dont l'enfant
conçoit et expérimente le monde, et c'est pour cette raison
que le conte lui paraît si convaincant. Il peut tirer beaucoup plus
de soulagement du conte de fées que de toutes les idées et
tous les raisonnements par lesquels l'adulte essaie de le rassurer. L'enfant
fait confiance à ce que lui raconte le conte de fées parce
qu'ils ont l'un et l'autre la même façon de concevoir le monde.
En effet, comme tous les prélettrés et bien
des lettrés, " l'enfant tient pour établi que ses relations
avec le monde inanimé s'alignent sur le même modèle
que celles qui le lient au monde animé des êtres humains :
il câline, comme il le fait avec sa mère, les jolis objets
qu'il aime ; il frappe la porte qui s'est refermée sur lui ". Ses
parents et ses maîtres lui disent que les choses ne peuvent ni ressentir
ni agir; il a beau faire semblant de le croire, pour plaire aux adultes,
ou pour ne pas être tourné en ridicule, il sait, tout
au fond de lui-même, à quoi s'en tenir. Soumis à l'enseignement
rationnel des autres, l'enfant enterre profondément ses " vraies
connaissances " dans son esprit, à l'abri de la rationalité
; mais il peut être formé et informé par ce que les
contes de fées ont à lui dire.
Lorsque les enfants, comme les grands philosophes, cherchent
à répondre à toutes ces questions : " Qui suis-je
? Que dois-je faire vis-à-vis des problèmes posés
par la vie ? Que vais-je devenir ? " ils le font sur la base de leur pensée
animiste. Dès l'âge de trois ans l'enfant affronte déjà
le difficile problème de l'identité personnelle. Il se demande
- "Qui suis-je ? D'où viens-je ? Comment le monde a-t-il été
créé ? Qui a créé l'homme et les animaux ?
Quel est le but de la vie ? "
Les contes de fées fournissent des réponses
à toutes ces questions pressantes et l'enfant en prend conscience
à mesure qu'évolue l'histoire.
Si nous nous plaçons à un point de vue d'adulte,
et dans les termes de la science moderne, les réponses fournies
par les contes de fées sont plus fantastiques que réelles.
Cependant, les explications réalistes sont d'ordinaire incompréhensibles
pour l'enfant qui est dépourvu de la faculté d'abstraction
qui seule peut leur donner quelque sens. L'enfant ne peut tirer un
sentiment de sécurité que s'il est certain d'avoir compris
ce qui, auparavant, le déconcertait; il ne peut certainement pas
obtenir le même résultat si on lui livre des faits qui engendrent
de nouvelles incertitudes.
Si on dit à l'enfant que la terre flotte dans l'espace,
selon les lois de l'attraction universelle dans le mouvement qu'elle décrit
autour du soleil, mais que la terre ne tombe pas sur le soleil comme lui,
l'enfant, le fait, sur le sol, attiré par la pesanteur, on doit
le dérouter énormément. L'enfant sait, par sa propre
expérience, que tout doit nécessairement reposer sur quelque
chose, ou être tenu par quelque chose. Seule une explication fondée
sur cette certitude peut lui faire sentir qu'il comprend mieux le mouvement
de la terre dans l'espace. Chose plus importante encore pour se, sentir
en sécurité sur la terre, l'enfant a besoin de savoir que
notre monde est solidement tenu en place. Il trouve donc une meilleure
explication dans un mythe qui lui raconte que la terre repose sur le dos
d'une tortue, ou qu'elle est tenue par un géant.
L'explication des parents n'a donc pas abouti à
une meilleure compréhension non plus qu'à un sentiment de
sécurité. Au cours de ses premières années,
jusqu'à l'âge de huit ou dix ans, l'enfant ne peut se former
des concepts hautement personnalisés qu'à partir de ce qu'il
expérimente. Il lui paraît donc naturel, puisque les plantes
qui poussent sur cette terre le nourrissent comme le faisait sa mère
avec son sein, de considérer la terre comme une mère, ou
comme une déesse-femme, ou, tout au moins, comme la demeure de cette
déesse.
L'enfant, même très jeune, sait qu'il a été
créé par ses parents ; il lui paraît donc logique de
penser que, comme lui-même, tous les êtres humains, et le cadre
naturel où ils vivent, ont été créés
par des personnages surhumains pas tellement différents de ses parents,
par quelque dieu, homme ou femme. L'enfant qui sait, à la maison,
que ses parent veillent sur lui et subviennent à ses besoins,
en vient tout naturellement à croire que quelque chose qui leur
ressemble, mais beaucoup plus puissant, plus intelligent et sûr -
un ange gardien - remplira le même emploi dans le monde.
Les anciens Egyptiens, comme l'enfant, considéraient
le paradis et le ciel comme une figure maternelle ("Nut"), qui étendait
sa protection sur la terre en l'enveloppant, ainsi qu'eux-mêmes.
Bien loin d'empêcher l'homme de former plus tard une explication
plus rationnelle du monde, cette façon de voir assure la sécurité
où (et au moment où) elle est la plus nécessaire ;
sécurité qui, quand le temps est mûr, permet une vue
vraiment rationnelle du monde. Déprécier cette imagerie
tutélaire en la réduisant à des projections puériles
issues d'un esprit immature, c'est dérober à l'enfant
l'un des aspects de la sécurité et du réconfort durables
dont il a tant besoin. tant qu'on ne peut pas tirer de soi-même
une sécurité totale, les fantasmes et les projections sont
de beaucoup préférables à une absence de sécurité.
C'est cette sécurité - en partie imaginaire
- qui, lorsqu'il l'a expérimentée pendant un temps suffisant,
permet à l'enfant de développer ce sentiment de confiance
en la vie dont il a besoin pour avoir confiance en lui; cette confiance
est indispensable pour qu'il apprenne à résoudre les
problèmes que lui posera la vie grâce au développement
de ses propres capacités rationnelles. Finalement, l'enfant reconnaît
que ce qu'il tenait littéralement pour vérité - la
terre mère - n'est qu'un symbole.
L'enfant, par exemple, qui a appris par un conte de fées
qu'un personnage à première vue repoussant et menaçant
peut magiquement se muer en ami très secourable, est prêt
à croire qu'un enfant qu'il rencontre pour la première fois
et qui lui fait peur, peut, lui aussi cesser brusquement d'être une
menace pour devenir un compagnon désirable. La foi en la " vérité
" du conte de fées ; donne à l'enfant le courage de ne pas
se retirer en se fiant à la première impression que cet étranger
avait faite sur lui.
En se souvenant de ces héros de contes de fées
qui réussissent dans la vie parce qu'ils ont osé se lier
d'amitié avec un personnage apparemment déplaisant, l'enfant
pense qu'il peut mettre en oeuvre la même magie. l'enfant, tant qu'il
n'est pas sûr que son environnement humain immédiat le protégera,
a besoin de croire que des puissances supérieures - un ange gardien,
par exemple - veillent sur lui, et que le monde et la place qu'il y occupe
sont d'une importance primordiale.
Pour
une lecture plus approfondie
Principe
de plaisir, Principe de réalité
« Les Trois Petits Cochons »
Le mythe d'Hercule a trait à ce dilemme :
faut-il suivre dans la vie le principe de plaisir ou le principe de réalité
? Le conte des Trois Petits Cochons pose le même problème.
Les histoires de ce type sont beaucoup plus appréciées
des enfants que tous les contes « réalistes », surtout
Si le narrateur les raconte de façon vivante.
Les enfants sont ravis d'entendre le loup haleter et souffler
devant la porte du cochon. Ce conte, à l'âge de l'école
maternelle. apprend à l'enfant, de la façon la plus captivante
et la plus dramatique, que nous ne devons pas être paresseux ni prendre
les choses à la légère, faute de quoi nous pouvons
perdre la vie. Une prévision intelligente et de la prévoyance,
liées à un dur labeur, nous permettront de vaincre jusqu'à
notre pire ennemi, le loup L'histoire montre aussi les avantages
que nous gagnons en grandissant, puis-que le troisième petit cochon,
le plus sage, est d'ordinaire présenté comme étant
le plus gros et le plus âgé.
Les maisons que construisent les trois héros sont
symboliques du progrès de l'homme au cours de son histoire : d'abord
une hutte précaire, puis une cabane en bois et, finalement une maison
faite de solides bri-ques. Sur le plan interne, les actions des trois petits
cochons montrent le progrès qui va de la personnalité dominée
par le ça à une personnalité influencée par
le surmoi, mais surtout contrôlée par le moi.
Le plus petit des trois héros construit sa maison
en paille, sans le moindre soin; le second utilise des bâtons ; ils
édifient tous les deux leur abri aussi vite qu'ils le peuvent, et
avec le minimum d'efforts, pour pouvoir jouer pendant tout le reste de
la journée. Vivant selon le principe de plaisir, les plus jeunes
cherchent des satisfactions immédiates sans penser une seconde à
l'avenir ni aux dangers de la réalité, bien que le plus âgé
des deux fasse preuve d'une certaine maturité en essayant de construire
une maison quelque peu plus substantielle que celle de son cadet. Seul
le troisième, le plus âgé, a appris à se comporter
en accord avec le principe de réalité : il est capable de
remettre à plus tard son désir de jouer et agit conformément
à son aptitude à prévoir ce qui peut arriver.
Il est même capable de prédire correctement le comportement du loup, l'ennemi, ou l'étranger qui est en nous et qui essaie de nous séduire et de nous prendre à son piège le troisième petit cochon est donc capable de mettre en échec des êtres plus forts et plus féroces que lui. Le loup sauvage et destructeur représente toutes les puissances asociales, inconscientes et dévorantes, contre lesquelles on doit apprendre à se protéger et que l'on peut détruire par la force du moi.
Mais, en s'identifiant avec les petits cochons, l'enfant
apprend qu'une évolution est possible, que l'on peut passer du principe
de plaisir au principe de réalité qui, après tout,
n'est qu'une modification du premier. L'histoire des trois petits cochons
évoque une transformation qui permet un accroissement de plaisir,
parce que la satisfaction est alors recherchée en tenant compte
des exigences de la réalité.
Ce n'est qu'après plusieures tentatives inutiles
que le loup passe à l'action meurtrière. Mais, pour l'attraper,
il faut qu'il entre dans la maison du troisième petit cochon,
et une fois de plus, c'est ce dernier qui gagne, car le loup tombe dans
la cheminée, plonge dans une marmite d'eau bouillante et fera un
excellent plat de viande cuite pour le petit cochon. Justice est faite
: le loup, qui a dévoré les deux autres petits cochons et
qui voulait manger le troisième, sert lui-même de nourriture
à son vainqueur.
L'enfant, qui, tout au long de l'histoire, a été
invité à s'identifier avec l'un des protagonistes, non seulement
est laissé avec de l'espoir, mais apprend que, en développant
son intelligence, il peut venir à bout d'adversaires plus forts
que lui. Le loup, au contraire, est de toute évidence un animal
méchant, qui cherche à détruire. La méchanceté
du loup est quelque chose que le jeune enfant reconnaît en lui-même
son envie de manger goulûment, et sa conséquence, l'angoisse
d'avoir peut-être à subir lui-même le sort du loup.
Le loup est ainsi une personnification, une projection de la méchanceté
de l'enfant, et l'histoire lui dit comment il peut se tirer d'affaire d'une
façon constructive.
Les différentes sorties au cours desquelles l'aîné
des cochons va chercher sa nourriture en toute sécurité sont
une partie de l'histoire que l'on peut facilement négliger mais
qui est très significative : elles montrent qu'il y a une différence
immense entre dévorer et manger. L'enfant, dans son subconscient,
comprend que c'est la même différence que celle qui existe
entre le principe de plaisir incontrôlé, qui pousse à
dévorer tout ce qui se présente, en ignorant les conséquences
possibles, et le principe de réalité, sur lequel se conforme
celui qui va intelligemment chercher sa nourriture.
Dans les contes de fées, c'est, d'une façon
typique, le plus jeune enfant, qui est laissé de côté
ou méprisé au début de l'histoire, qui, à la
fin, remporte la victoire. Les Trois Petits Cochons échappent à
la règle puisque c'est l'aîné des trois compagnons
qui, d'un bout à l'autre du conte, se montre supérieur. Cela
peut s'expliquer par le fait que les trois cochons sont «petits »,
donc immatures, comme l'est l'enfant lui-même. L'enfant s'identifie
avec chacun d'eux tour à tour et reconnaît les différentes
étapes de la route qui mène à l'identité. Les
Trois Petits Cochons sont un conte de fées parce que la conclusion
est heureuse et que le loup a le châtiment qu'il mérite.
Quand on raconte Les Trois Petits Cochons à
de jeunes enfants, ceux-ci ne se réjouissent que de la punition
méritée du loup et de la victoire intelligente de l'aîné,
et ils n'ont aucun chagrin au sujet du sort des deux plus jeunes. L'enfant,
même tout petit, semble comprendre que les trois héros ne
sont qu'un seul et même personnage à trois stades différents
de sa vie; comme semble le suggérer le fait qu'ils répondent
tous les trois au loup avec exactement les mêmes mots : «Non,
non! Par le poil de mon tout petit menton! » Si nous survivons dans
la forme supérieure de notre identité, tout est parfait.
Les Trois Petits Cochons influencent la pensée
de l'enfant quant à son propre développement, sans même
lui dire ce qu'il doit faire, en lui permettant de tirer lui-même
ses conclusions. Seul ce processus est à même d'apporter une
véritable maturité; Si, par contre, on dit à l'enfant
ce qu'il doit faire, on ne fait que remplacer les entraves de son immaturité
par ce1les de sa servitude à l'égard des commandements des
adultes.
Le jeune garçon, dans les
affres de son conflit oedipien, en veut à son père qui, en
s'interposant, l'empéche de jouir de l'attention exclusive de sa
mère. Il veut que sa mère l'admire, lui, le plus grand des
héros; cela signifie que, d'une façon ou d'une autre, il
doit se débarrasser du père. Cette idée, cependant,
crée de l'angoisse chez l'enfant sans le père qui est
là pour protéger les siens et prendre soin d'eux, qu'adviendrait-il
de la famille? Et qu'arriverait-il Si le père apprenait que son
petit garçon désire l'éliminer? Ne se vengerait-il
pas de façon terrible?
Le conte de fée dit à
l’ enfant comment il peut vivre avec ses conflits il lui suggère
des fantasmes qu'il serait incapable de trouver tout seul.
Le conte de fées, par exemple,
propose l'histoire du petit garçon qui passe inaperçu et
qui, un jour, parcourt le monde et fait de sa vie un grand succès.
Les détails peuvent différer, mais le thème central
est toujours le même : le héros sur lequel personne ne compte
fait ses preuves en massacrant. des dragons, en résolvant des énigmes,
vit honnêtement à son gré jusqu'au jour où il
délivre une belle princesse, l'épouse et, à partir
de là, vit éternellement heureux.
Quel est le petit garçon
qui refuserait de se mettre dans la peau de ce personnage vedette? L'histoire
sous-entend : ce n'est pas la jalousie de ton père qui t'empêche
d'avoir ta mère pour toi tout seul, c'est un méchant dragon;
ce que tu as vraiment en tête, c'est l'idée de tuer ce dragon.
En outre, l'histoire donne du poids à un sentiment qu'éprouve
le garçon : que la femme la plus désirable est prisonnière
d'un personnage néfaste et que ce n'est pas sa mère que l'enfant
veut pour lui seul, mais une femme merveilleuse qu'il ne connaît
pas encore mais qu'il rencontrera un jour.
Le tueur de dragons doit toujours
être jeune, comme l'enfant, et innocent. L'innocence du héros
avec lequel l'enfant s'identifie prouve, par personne interposée,
l'innocence de l'enfant, et ainsi, loin de se sentir coupable à
propos de ces fantasmes, le petit garçon peut se sentir aussi fier
de lui-même que l'est le héros.
Les problèmes oedipiens de
la: petite fille sont différents, et les contes de fées qui
l'aident à les résoudre ont eux-mêmes un caractère
différent. Ce qui empêche la petite fille de vivre sans interruption
une vie de bonheur parfait avec le père, c'est une femme plus âgée
qu'elle et malveillante (c'est-à-dire la mère). Mais comme
la petite fille, en même temps, désire ardemment continuer
de bénéficier des tendres soins de la mère, il existe
également une femme bienveillante dans le passé ou à
l'arrière-plan du conte de fées, dont le souvenir est gardé
intact, bien qu'elle soit inopé-rante. La petite fille désire
se voir sous les traits d'une belle jeune fille (par exemple une princesse)
prisonnière d'un personnage de sexe féminin, égoïste
et méchant, qui met une barrière infranchissable entre elle
et l'amant.
Dans le fantasme oedipien de la
petite fille,: la mère se scinde en deux personnages la mère
pré-oedipienne, merveilleusement bonne, et la méchante marâtre
oedipienne. La gentille mère, selon le. fantasme, n'aurait
jamais pu être jalouse de sa fille et n'aurait jamais empêché
le prince (le père) et la fille de vivre éternellement ensemble
dans le bonheur. Ainsi, pour la petite fille oedipienne, la croyance et
la confiance qu'elle a en la bonté de la mère pré-odipienne
et sa profonde loyauté envers elle tendent à réduire
le sentiment de culpabilité qu'elle peut éprouver lorsqu'elle
souhaite le pire à la (belle-) mère qui se met en travers
de sa route.
Grâce aux contes de fées,
la petite fille et le petit garçon oedipien peuvent gagner sur les
deux tableaux : ils peuvent, grâce au fantasme, jouir des satisfactions
oedipiennes tout en restant, dans la réalité, en bons termes
avec leurs parents.
Le petit garçon oedipien,
s'il est déçu par sa mère, a, tout au fond de son
esprit, l'image de la princesse féerique, cette femme merveilleuse
qui, un jour, compensera toutes ses épreuves actuelles et qui, en
attendant, l'aide par la pensée à les supporter. Si le père
est moins attentif à sa petite fille qu'elle ne le désire,
elle peut supporter cette adversité parce que, un jour, viendra
le prince qui la préférera à toutes ses rivales.
La même petite fille peut
aimer davantage sa mère parce qu'elle reporte toute sa colère
sur la mère-rivale qui n'a que ce qu'elle mérite. Le petit
garçon, lui, peut aimer beaucoup mieux son vrai père lorsqu'il
cesse d'être en colère contre lui en s imaginant qu'il tue
le dragon ou le méchant géant.
Ces fantasmes procurés par
les contes de fées et que la plupart des enfants auraient grand-peine
à inventer d'une façon aussi achevée et satisfaisante,
aident énormément l'enfant à surmonter ses angoisses
oedipiennes.
Homepage | ||
Précédente | Suivante |