ELIA KAZAN   

LA FIEVRE DANS LE SANG (1960)  

 Depuis « Un tramway nommé Désir » (1950, son septième film) et « Viva Zapata » (1951) qui marquèrent la grande révélation de Marlon Brando, le nom d’Elia Kazan est devenu l’un des plus prestigieux du cinéma américain.  
Il faut dire que cet homme, né en 1909 en Turquie, d’origine arménienne émigrant aux U.S.A. en 1913 avec sa famille, fut l’un des animateurs du fameux Group Theatre de New York et que depuis 1947 il a dirigé, après l’avoir fondé avec Lee Strasberg, le non moins fameux Actor’s Studio, cette extraordinaire pépinière d’interprètes où ont été profondément transformées les techniques de jeu. Kazan, dès lors, est considéré comme l’un des principaux lanceurs de vedettes et sa direction de James Dean, en 1954, dans « A l’Est d’Eden », devait augmenter encore sa renommée.  
 En 1956, il signa son meilleur film : « Un homme dans la foule ». Son oeuvre suivante, intitulée « Wild River » (1969) fut tardivement exploitée en Europe.  
 Dans « La fièvre dans le sang », Kazan se propose de dresser un portrait de l’Amérique à la veille du krach de 1930, qui vit les cours en bourse s’effondrer avec une rapidité telle que les individus perdirent brusquement leur raison en même temps que leur fortune, et qu’il n’était pas rare, à New York, de les voir se suicider en sautant par la fenêtre du haut des gratte-ciels.  
L’oeuvre s’ouvre sur le baiser d’un couple d’adolescents. Budd et Dinnie s’aiment. Entre les leçons du lycée, ils courent la main dans la main du côté de la cascade, et le soir ils rêvent longuement en s’embrassant sous les étoiles. Mais ils sont tous les deux prisonniers de ce que Mauriac nomme ‘’les barreaux vivants d’une famille’’. La mère de Dinnie dépeint, pour sa fille, l’amour comme une malédiction : le mâle ne recherche qu’un plaisir égoiste ; la femme ne peut que se résigner. De son côté, le père de Budd, qui a organisé à la force du poignet une société pétrolière dont il est fier, et qui est resté estropié à la suite d’un accident de travail, rêve pour son fils d’un avenir illuminé de bonheur sportif : le transfert s’identifie de cette façon, afin de prendre sa propre revanche sur la société. Mais Budd y répond mal, car son voeux le plus cher est d’être un paysan tranquille, époux de Dinnie.  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 Aux mises en garde vertueuses de la mère de Dinnie correspondent les flatterie cynique du père de Budd, et de ce rapport de deux attitudes naît une tension qui révèle les contradictions d’une société déchirée entre les règles morales de l’idéalisme spiritualiste, et le déchaînement d’un matérialisme quotidien écoeurant. Ce sujet, développé dans le contexte de l’Amérique de 1929, ne manque pas d’actualité en notre période de surchauffe économique.  

Budd accepte de ne plus vois Dinnie et ne tarde pas à se laisser séduire par une croustillante rouquine qui lui procure des émois moins abstraits que ceux offerts par la pure Dinnie. Celle-ci éprouve alors son premier chagrin d’amour. Elle veut en finir avec la vie et se retrouve placée pour deux ou trois ans dans un asile psychiatrique. Elle a ainsi le temps de se répéter un poème de Woodsworth que commentait avec insistance, au lycée, l’une de ses institutrices un peu névrosée : ‘’Bien que rien ne puisse ramener la splendeur dans l’herbe, la gloire dans les fleurs, cherchons la force dans ce qui subsiste après...’’  

A l’issue de sa cure, Dinnie, sur le conseil de son médecin, prend le courage de revoir Budd qui a épousé la serveuse italienne d’un restaurant proche de l’Université de Yale, où il a poursuivi ses études. Il exploite un ranch, heureux enfin d’avoir pu échapper à la volonté de son père (qui a sauté par la fenêtre en apprenant la baisse catastrophique de la valeur de ses actions). L’ultime rencontre est empreinte de nostalgie ; mais rien ne peut ramener ‘’la splendeur dans l’herbe’’, l’émoi de leur idylle passée. Ils se résignent l’un et l’autre à accepter une destinée qui ne sera guère plus exaltante que celle de leur parents. A leur tour ils vont devenir des parents et il est probable qu’ils oublieront leur douloureuse expérience lorsqu’il s’agira pour eux de conduire l’éducation de leurs propres enfants.