JOHN HUSTON
LA NUIT DE L’IGUANE (1963)
Ce canvas est offert au cinéaste par Tennessee Williams qui jette
les uns contre les autres quelques êtres dont l’instabilité
confine à la névrose. D’"Un tramway nommé Désir"
à "Soudain l’été dernier", nous avons eu maintes fois
l’occasion de rencontrer à l’écran les héros de prédilection
de cet inégal dramaturge.
Du haut de la chair, le Révérend Shannon s’efforce de
conduire violemment ses fidèles vers la repentance. Habité
par la crainte et le tremblement, il veut que chaque individu partage les
sentiments qu’il nourrit, lui, (se sentant le plus pécheur de tous
) à l’égard d’un Dieu vengeur. Il ne devine pas que ses appels
désespérés pour promouvoir l’amour de la créature
vis-à-vis du Créateur relèvent, en définitive,
de sa haine personnelle et inconsciente de la création. Cet homme
déchiré laisse planer sur son auditoire la menace d’une malédiction
absolue, privée de grâce. Ses paroissiens se détournent
de lui, puis le chassent. Ils n’ont pas tort.
Nous le retrouvons sur les routes de Mexique, à la fois
guide touristique et guide spirituel d’un groupe de veuves et de vielles
filles, découvrant le pays en autocar. Parmi elles, une adolescente
perverse nommée Charlotte, lui fait des yeux doux. Shannon ne résiste
pas. Une fois de plus, mais pour une raison inverse, il est celui par qui
le scandale arrive : il comprend mieux, tout à coup, une théorie
qu’il expose volontiers à ses interlocuteurs et qui consiste à
considérer que la vie humaine se développe sur deux plans,
le fantastique et le réalisme. Et la vérité, peut-être,
pense-t-il alors, ne naît pas en opposant ces deux plans mais, au
contraire, en les harmonisant.
Pour ne pas dissocier les valeurs – c’est à dire pour ne pas
égarer l’homme entre le ciel et la terre – il ne faut pas les accepter
toutes faites ; il faut les fonder, puis les assumer par l’action quotidienne.
L’homme doit prendre le risque d’inventer l’homme. C’est son salut. Pour
s’en convaincre, Shannon va passer d’un extrême à l’autre.
Il emmène de force toute la troupe dans un hôtel isolé
que dirige Maxime, une de ses ancienne maîtresse qui, en compagnie
de deux jeunes indigènes musclés, ne croit qu’à l’exaltation
de la chair.
Il y rencontre par hasard une femme-peintre, voyageuse sans bagages,
contemplative, capable de résoudre néanmoins avec efficacité
les problèmes pratiques de l’existence. Cette Hannah s’occupe de
son grand-père au corps délabré, vieillard usé
par les ans et qui cherche à exprimer, en un poème de plénitude
lyrique, les contradictions, contingences et aspirations formants le tissu
de nos destinées.
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Shannon et Maxime, parvenus à l’extrémité d’eux-mêmes,
tireront la leçon qui se dégage du comportement d’Hannah
et du poète, leçon très typiquement hustonienne :
la nature est cruelle, la souffrance n’est pas rédemptrice, nous
sommes temporels et la mort est notre lot, elle est notre échec.
Pourtant à l’intérieur des limites qu’elle nous impose, nous
sommes libres. Respectons quiconque se bat pour briser les barrières
entre les êtres ou à l’intérieur même des êtres
(Freud), quiconque lutte pour anéantir les injustices flagrantes.
Notre combat n’est pas d’ordre métaphysique ; nous ne sommes pas
la proie d’un Dieu ou d’un Démon, nous n’avons pas à nous
laisser écarteler entre ‘’la chair et l’esprit, mais nous avons
le devoir de réinstaurer, par nos actes, l’unité toujours
consumée, toujours renaissante, du charnel et du spirituel indissociablement
liés en nous.
De dépouillement en dépouillement – l’ultime étant
le don de sa croix à Hannah pour qu’elle la dépose au Mont-de-Piété
– nous assistons, à travers les tribulations de Shannon, à
l’effacement d’un chrétien, c’est à dire à la naissance
d’un homme libre.
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