L’initiation aux médias et à l’informatique

 

Action et réflexion en formation des enseignants

 

Olivier MAULINI

Mémo interne à l’équipe " Initiation aux médias et à l’informatique "
Novembre 2001

 

Comment concevoir et comment réaliser une unité de formation des enseignants intitulée " Initiation aux médias et à l’informatique " ? Cette question renvoie à une conception de technologies éducatives, certes, mais aussi de la formation des maîtres et du métier d’enseignant tout court. Je vais partir du métier pour remonter ensuite à la formation en général, puis à notre propre unité de formation. Mais à tous les paliers, je traiterai d’un rapport : le rapport que le métier et la formation au métier entretiennent avec les technologies éducatives.

 

Culture, technologies et métier d’enseignant

 

D’un point de vue socio-historique et culturel, le métier d’enseignant n’est pas un métier sans technologies. Il s’est approprié et il a créé des instruments que l’on dépose aujourd’hui dans les musées, et qui témoignent d’une " scolarisation " du progrès technique. Cartes murales, manuels, ardoises, tableau noir, imprimeries scolaires, tampons encreurs, polycopieuses, épiscopes, etc, etc., l’histoire du matériel scolaire démontre deux choses : même si elle a tendance à ne pas se précipiter, l’école ne s’est jamais privée des moyens qu’elle jugeait utile d’exploiter ; et en même temps, elle n’a jamais absorbé les techniques nouvelles sans les adapter à ses besoins. Assimilation/accommodation : dialectique bien connue.

Enseigner est certes " un métier de l’humain ", mais c’est précisément parce qu’il est humain qu’il est en partie conditionné par la technique. Faire ce constat, ce n’est pas militer ipso facto pour une " déshumanisation " du rapport maître-élèves, mais au contraire considérer ce rapport dans toute son épaisseur, et ne pas l’isoler de la culture – y compris technique - dans laquelle il s’inscrit. Le jour où les enseignants seront convaincus que les caméras, les écrans, les serveurs et les réalités virtuelles ne sont ni meilleurs ni moins bons que les livres et les crayons, ils auront fait un grand pas vers la démocratisation du savoir. Si l’expérience scolaire doit permettre " l’entrée dans la culture " de tous les enfants (Bruner), pourquoi enfermer cette culture dans un monde sans technique ? Lire, écrire, parler, échanger, montrer, regarder, communiquer, travailler, dessiner, opérer, etc., toutes les activités humaines sont aujourd’hui médiatisées par les techniques. Il est impératif, et même incontournable, que l’école assume cette évolution sans naïveté, bien sûr, mais sans fausse pudeur non plus.

Prendre les technologies au sérieux, c’est donc leur donner la place qui leur revient dans chacune des disciplines scolaires et, plus globalement, dans le travail des élèves et des enseignants. C’est donc moins " enseigner les technologies " que les exploiter et les questionner en les mettant à l’épreuve pour produire une radio scolaire, un journal en ligne ou une exposition interactive. Les enseignants monteront dans ce train si on leur offre les moyens matériels et les compétences qu’il exige, mais surtout si on les convainc que la technologie ne s’ajoute pas au travail existant, mais qu’elle le traverse de part en part (ou qu’elle peut le faire), et que le fonction de l’école n’est ni d’ignorer ni de rejeter la technique, mais de " retourner les outils ".

 

Entre l’enseignement et la formation : les compétences professionnelles

 

Si l’intelligence humaine en général, et l’intelligence professionnelle des enseignants en particulier, sont solidaires des outils qui les prolongent, on peut en déduire deux démarches différentes : premièrement, introduire, à l’école, une " didactique des technologies " ; deuxièmement, introduire les technologies dans toutes les sphères didactiques et pédagogiques. La première solution n’a pas été retenue par l’institution scolaire (en tout cas pas à Genève), ce qui nous autorise ou nous oblige à nous concentrer sur la seconde. La formation des enseignants ne doit pas leur " enseigner " l’éducation aux médias et à l’informatique, elle doit leur apprendre à se servir des technologies à bon escient (référentiel des douze compétences LME) ou judicieusement (descriptif EO).

 

L’informatique, la télématique et les technologies multimédia mettent des outils sans cesse renouvelés à la disposition des enseignants, qui doivent les connaître et savoir s’en servir de façon pertinente et critique à la fois pour accroître l’efficacité de leur enseignement et pour familiariser leurs élèves avec ces approches.

 

De ce point de vue, l’objectif est donc clair. Ce qui compte, c’est la pénétration des technologies dans les pratiques pédagogiques, pas l’enseignement d’Internet ou du camescope. Mais si le dilemme est tranché en aval, il demeure en amont. Comment former les enseignants pour favoriser et soutenir cette pénétration ? Faut-il des unités de formation spécifiques, ou faut-il au contraire généraliser l’usage des technologies dans toute la LME ? On connaît les inconvénients des deux scénarios radicaux. " Enfermer " les techniques dans une unité ad hoc, c’est prendre le risque de dédouaner tout le reste de la formation. Prétendre qu’on les utilisera partout, c’est prendre le risque de le faire nulle part. La LME a préféré changer de conjonction de coordination, et elle a bien fait. Partout ou quelque part, pourquoi s’en tenir à cette alternative ? Pourquoi pas : partout et quelque part ?

Ce rappel peut sembler trivial, mais il me semble important dans le contexte qui nous réunit. En ce qui me concerne, je ne souhaite pas penser l’unité spécifique en faisant l’impasse sur les enjeux du programme. L’unité " médias et informatique " n’épuise pas la compétence technologique, et elle doit contribuer, à sa manière, au développement d’autres compétences : concevoir, construire et gérer des situations d’apprentissage et d’enseignement ; travailler en équipe et coopérer avec d’autres professionnels ; entretenir un rapport critique et autonome aux savoirs ; réfléchir sur sa pratique, innover, se former. Cette articulation du local et du global, du spécifique et du transversal a des conséquences pratiques. Elle oriente nécessairement le travail de formation.

 

Apprentissage, production et recherche : pourquoi choisir ?

 

Si je récapitule, disons que les technologies peuvent être théoriquement considérées comme une dimension incontournable de la culture scolaire et des pratiques enseignantes, et qu’une unité spécifique a du sens si elle assume ce postulat jusqu’au bout, en pensant sa contribution dans un cadre pédagogique général. Parmi les pôles entre lesquels je ne pense ni nécessaire ni prudent de choisir, je vois :

L’enjeu de l’unité " médias et informatique ", c’est d’" initier " les futurs enseignants aux outils technologiques de l’action pédagogique. En travaillant à tous les niveaux de cette action : utilisation, production et réflexion sur les technologies, dans la perspective d’un développement durable de la compétence et de la culture collectives. Certains travaux d’étudiants peuvent pencher plutôt d’un côté ou plutôt d’un autre, c’est une affaire de différenciation pédagogique et de sensibilité des formateurs. Mais l’économie générale de l’unité n’a pas besoin, de mon point de vue, de trancher entre activisme et contemplation. Si la formation des maîtres à sa place à l’Univesité, c’est parce que la recherche et l’enseignement sont les deux faces d’une même médaille, orientées vers le développement didactique et pédagogique. Quel que soit le domaine finalement investi par les étudiants, je ne crois pas qu’il faille choisir entre une " problématique de recherche " et un " produit à réaliser ". Produire un hypertexte, un logiciel interactif ou un diaporama – pour des élèves ou avec des élèves – ce n’est de l’activisme que si l’on s’aligne sur les intentions spontanées des étudiants. Mais qui nous y condamne ? C’est précisément tout l’enjeu du détour pédagogique : aller pêcher l’élève là où il se trouve (et pas là où nous pensons qu’il devrait être), et l’amener progressivement vers soi sans jamais rompre le fil qui permet d’entretenir l’échange dans la zone proximale de développement. Proposer, aux étudiants, de produire un produit, et passer tout le reste de l’unité à les déplacer pour leur montrer qu’on ne produit rien de bon sans les outils de la recherche et la théorisation, c’est comme cela que je pourrais résumer mes propres intentions. Savoir ce qu’il en advient au bout du compte, c’est évidemment une autre affaire. Mais comment continuer d’enseigner sans l’aiguillon de la frustration ?