Dispositif de recherche et campus virtuel : intégration et influence réciproques D. OTT, D. PERAYA TECFA (Université de Genève) http://tecfa.unige.ch Introduction L'unité des technologies éducatives de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Education de l'Université de Genève, TECFA, a été créée il y a près de dix ans. Elle a pour mandat l'enseignement et la recherche dans le domaine des technologies éducatives et, à ce titre, a très tôt été impliquée dans le développement de la formation à distance en Suisse, notamment en collaboration avec le Département de l'Instruction Publique (depuis 1989), l'Office fédéral pour l'Education et la Science (1991, 1996) et la Conférence Universitaire Suisse (CUS) en 1996 et 1997. Au niveau de l'enseignement, TECFA a développé une offre de formation aux premier, second et troisième cycles. Dans ce dernier cas, il s'agit d'un DES en sciences et technologies de l'apprentissage et de la formation (STAF) organisé sur un mode dual, présentiel et à distance. Cette formation est organisée sur deux ans et comporte dix unités de cours, deux séminaires, un stage et un mémoire. L'une des caractéristiques de ce diplôme tient au statut très particulier que nous accordons aux technologies dans le cadre de l'organisation de la formation. Celles-ci doivent être considérées comme des outils professionnels, des contenus d'enseignement mais aussi des moyens d'enseignement, comme des dispositifs techno-sémiotiques de représentation et de traitement de l'information - alliant donc artefacts technologiques et systèmes sémiotiques -, des objets de recherche et enfin, comme des moyens de recherche. Deux facteurs récents ont profondément modifié notre conception et notre modèle de l'utilisation pédagogique du Web. D'une part, le bilan de six années d'expérience dont quatre entièrement consacrées à l'enseignement à distance, à la construction de ressources pour l'enseignement et l'apprentissage médiatisés par le Web et Internet et, d'autre part, notre participation au projet de campus virtuel suisse pour l'enseignement supérieur et universitaire promu récemment par la CUS. Les projets de recherche suisses (FNRS) et européens (DELTA, TEMPUS, HUMANITIES, SOCRATES, etc.) auxquels nous avons participé et ceux dans lesquels nous nous engageons actuellement (Learnett et EUN-Schoolnet) constituent pour nous un terrain privilégié d'expérimentation et d'évaluation du modèle que nous tentons progressivement de mettre en place. Le projet Poschiavo Nous développerons à titre d'exemple la recherche que nous menons dans le cadre du projet du Val Poschiavo, région isolée des Grisons aux confins de la Suisse italienne. Il s'agissait au départ d'un projet de formation à distance portant sur l'écologie humaine et organisé selon un mode dual par l'Institut suisse de pédagogie pour la formation professionnelle (ISPFP- Lugano). Au cours de son développement, le projet a progressivement changé d'orientation et est devenu aujourd'hui un réel projet de développement régional dans lequel les technologies de la communication et de l'information, Internet et le Web jouent un rôle fondamental (Schürch,1997). L'idée de base est de permettre aux collectivités locales, géographiquement, culturellement et économiquement isolées, de briser grâce aux technologies de l'information et de la communication leur état de confinement. Dans les vallées, des groupes-projets se sont formés autour de thématiques culturelles, touristiques, sportives ou commerciales (promotion de produits régionaux, offre de services professionnels comme la traduction). Chaque projet se développe à partir d'un et grâce à un site Web qui en constitue donc le projet fédérateur et l'image de marque. Il est certain que les possibilités mais aussi les contraintes qu'apportent les technologies nouvelles à la publication de documents pédagogiques électroniques entraînent de profondes mutations dans les structures sémiotiques de base qui ont été longtemps celles de la page (Peraya, 1998), mais aussi dans l'emploi des plages visuelles et, plus généralement, des paratextes. Peraya et Nyssen (1995) ont proposé une grille d'analyse de la relation entre texte et paratexte qu'ils ont validée à partir d'un corpus de manuels scolaires de biologie et d'économie. Cette étude fait apparaître des différences notables entre les manuels de ces deux disciplines, permettant de postuler l'existence de deux types de discours strictement différenciés et caractérisés par un usage particulier des plages visuelles. Notre projet de recherche (financé par le Fond National de la Recherche Scientifique) s'intéresse aux conditions d'utilisation d'un tel instrument d'analyse, aux documents électroniques et, en conséquence, aux modifications que rend nécessaires son application à un matériel éducatif de type nouveau. La grille propose neuf catégories ou variables : identification, structuration, localisation, portée, nature, animation, son, fonction et hyperlien, chacune de celles-ci possédant un certain nombre de modalités. Les deux grilles, l'originale et la modifiée, sont disponibles sur le réseau afin de permettre leur comparaison et ainsi de mieux comprendre les implications des caractéristiques propres du support électronique (Ott, 1998). Notons enfin que, suite à l'expérimentation que nous décrivons ci-dessous, la grille subit pour l'instant quelques modifications mineures. Notre recherche d'une part utilise le matériel produit dans le cadre du projet afin de valider la grille et d'autre part possède une fonction d'évaluation et de régulation du projet Poschiavo. En effet, une fois validée, elle devrait permettre d'analyser les sites produits dans le cadre du projet et de renvoyer à leurs concepteurs/producteurs une image et une analyse assez fine de leur travail. On peut en effet supposer légitimement que dans un premier temps les utilisateurs, en phase d'appropriation de l'outil reproduisent sur un support nouveau des modes de faire anciens. Enfin, la grille produite devra servir ultérieurement d'instrument de formation du personnel de formation et d'encadrement, les " assistants de pratiques " (APFD) qui, dans le cadre du projet global, forment les participants de chaque projet local. La procédure de validation est classique: il s'agit de la méthode d'accord inter-juges. Cependant, la difficulté à rassembler dans un même lieu les experts, ainsi que le fait que le corpus utilisé se présente dans un format électronique (HTML), nous a amené à présenter le dispositif de validation et le questionnaire à travers le réseau, dans un format html. Cette option a le mérite de nous permettre d'effectuer de la recherche et du développement dans le cadre du futur Campus Virtuel Suisse. Concrètement, l'apprentissage de l'utilisation de la grille ainsi que son application peuvent se faire depuis n'importe quel PC du moment qu'il est relié à Internet. Les données des experts sont recueillies et enregistrées sur le serveur Web de TECFA au fur et à mesure de leur progression de l'application de la grille au " site-corpus ". Par ailleurs, durant la période d'apprentissage de la grille, les sujets ont la possibilité de communiquer entre eux ou de poser des questions à l'expérimentateur à l'aide d'une réalité virtuelle textuelle (RVT). Le dispositif d'apprentissage intégré, explication des variables et de leurs modalités, aide en ligne et RVT, porte le nom de Living pages. L'utilisation d'une réalité virtuelle textuelle comme moyen de médiation communicationnelle a le double avantage de s'intégrer parfaitement à Internet et donc dans notre dispositif expérimental ainsi que d'avoir fait déjà l'objet de nombreuses études au sein de TECFA, notamment les travaux de Jermann, P. (1996), Dillenbourg, P., Jermann, P., Buiu C., Traum, D. and Schneider, D. (1997) et Dillenbourg, P., Montandon L. & Traum D. (1997) ainsi que d'autres équipes de recherches. Enfin, toutes les interactions permettant l'apprentissage de la grille sont conservées dans un fichier log afin d'en permettre une analyse ultérieure. Mener une recherche à travers le réseau L'intégration à Internet des différentes phases de la recherche, c'est-à-dire l'apprentissage de la grille et son application à un corpus, soulève bien évidemment des questions de méthodologie liées aux contraintes expérimentales qu'induit la recherche en sciences humaines à distance, à l'implémentation des technologies dans le dispositif, ainsi qu'à l'organisation et la planification, notamment temporelle, du processus de validation. Parmi ces trois problèmes, il nous semble que les contraintes expérimentales demandent le plus de réflexion, les deux autres relevant plus des compétences d'ingénierie et d'administration du chercheur. Sans vouloir prétendre prévoir toutes les réactions du sujet face au dispositif, il est important de pouvoir d'une part lui fournir (par défaut) toute l'information dont il a besoin pour l'apprentissage de la grille, et d'autre part lui permettre d'obtenir de l'aide pour les questions qui pourraient subsister. C'est par rapport à ce dernier point que l'utilisation d'une réalité virtuelle textuelle nous semble intéressante, le sujet pouvant à tout moment durant son apprentissage interroger ses `pairs' co-apprenants ou l'expérimentateur. Par ailleurs, l'interface informatique du questionnaire prend en charge certaines fonctions de ce dernier, notamment en gérant la progression linéaire de l'évaluation des différents éléments du corpus et en avertissant le sujet si ses réponses sont incomplètes. Un tel dispositif participe du modèle général de campus virtuel sur lequel nous travaillons pour l'instant. Ses principes de base sont assez simples: · dissociation, d'une part, des ressources organisées sous forme d'une banque de données et, d'autre part, des matériaux d'enseignement basés et composés sur la base de ces ressources (actuellement disponibles, en cours d'élaboration, à créer); · organisation du campus virtuel sous la forme d'une métaphore spatiale qui constitue le principe d'organisation et d'articulation des ressources comme des enseignements et qui soit en même temps l'interface tant visuelle que cognitive pour les utilisateurs (apprenants, visiteurs); · organisation des enseignements sur la base d'activités organisées dans des "salles", dans des lieux virtuels spécialement conçus et aménagés pour permettre la réalisation des tâches exigées dans le cadre de ces activités. Ce dispositif constitue donc bien un de ces espaces de travail spécialisés, adapté à un type d'activité générique, mais aussi généralisable à d'autres tâches de même nature. Il s'intègre donc parfaitement au modèle proposé comme l'une de ses "niches d'apprentissage" organisée à travers un dispositif technologique de communication médiatisée. On l'aura compris, l'objet de cette présentation consiste moins à présenter l'expérimentation en cours qu'à interroger, à partir de la démarche qui la fonde, et le modèle de campus virtuel et l'apport des dispositifs technologiques à la méthodologie et aux démarches de recherche. Fonctionnalités désirées du dispositif La création du dispositif pour la recherche s'est faite en suivant des spécifications bien précises, requises d'une part par la composante pédagogique et d'application de la recherche, d'autre part par la démarche expérimentale en sciences humaines. Voyons rapidement les spécifications générales du dispositif ainsi que les solutions concrètes adoptées pour chacune d'entre elle. Premièrement, le sujet doit pouvoir apprendre les variables de la grille ainsi que ses modalités et l'appliquer; pour ce faire du matériel de formation et d'application a été produit et mis a disposition des sujets sous la forme d'un site Web. Deuxièmement, en raison des contraintes de distance et de temps énoncées plus haut, l'apprentissage de la grille lors de la première étape ainsi que son application durant la deuxième étape doivent pouvoir se faire avec une participation minimale de l'expérimentateur ; le matériel d'apprentissage a donc été mis à disposition sur le Web et un dispositif prenant en charge une grande partie du rôle de l'expérimentateur/formateur a aussi été créé. Troisièmement, et en continuité avec le point précédant, les réponses des sujets lors de l'évaluation de la grille doivent être complètes et correspondre aux contraintes et aux possibilités définies par la grille d'analyse ; le dispositif vérifie les réponses du sujet et détermine si elles sont complètes et non contradictoires, et dans le cas contraire demande à l'utilisateur de les modifier. Quatrièmement, il faut d'une certaine manière prévoir l'imprévisible. Bien que toute l'information essentielle soit mise à disposition des sujets, que la plupart de leurs réactions puisse être prévue et que le dispositif ait été construit en conséquence, il faut absolument éviter qu'une question ou qu'une difficulté ne les bloquent dans leur progression ; chacun d'eux peut à tout moment interagir avec ses pairs ou avec l'expérimentateur à travers une Réalité Virtuelle Textuelle (RVT). Ces spécifications ont permis de mettre au point le dispositif dont la description suit. Description des phases de la recherche et des outils correspondantants L'activité proposée au sujet est divisée en deux étapes séparées par un intervalle d'une semaine au maximum : l'apprentissage de la grille et son application, comme le montre le Schéma 1 ci-dessous. Par ailleurs, nous avons tenté d'organiser des séances d'apprentissage en petits groupes de 5-10 personnes, chacune travaillant sur un PC relié à Internet. Schéma 1 : Description de l'ensemble du dispositif de recherche. La première étape (Voir Figure 1, ci-dessous) consiste à apprendre la grille d'analyse des Unités d'Information (UI). On peut distinguer 3 composantes à cette étape : 1) En guise d'introduction, le sujet reçoit des conseils à l'utilisation du dispositif d'apprentissage ainsi qu'une aide à l'utilisation de la RVT. Ces conseils sont accessibles à tout moment. Ils se présentent sous la forme d'une page Web unique dont la lecture est facilitée par une table des matières. 1) L'apprentissage en tant que tel est basé sur une structure du document de type 'tourne pages' avec possibilité de retour. Chaque page correspond à la description d'une variable et de ses modalités. 1) Une RVT a été intégrée au dispositif afin de permettre au sujet apprenant de communiquer avec ses pairs et de pouvoir confronter son apprentissage ou ses doutes. Par ailleurs, l'apprenant peut quand il le désire contacter l'expérimentateur à travers la RVT pour lui poser des questions de compréhension ou de clarification. A chaque catégorie correspond une pièce (un lieu) dans la RVT ; chaque fois que l'apprenant 'tourne la page' et change de catégorie il est automatiquement transporté dans une nouvelle pièce virtuelle. Que l'espace de conversation soit spécifique à une thématique (une étape d'apprentissage correspond à un lieu dans le système de communication) permet de structurer et contextualiser la conversation. Dans notre pratique quotidienne nous parlons dans ce cas d'un espace virtuel discret en opposition à des dispositifs de communication en temps `réel' ouvert de type agora tels que les `chats' traditionnels. Une telle organisation discrète de l'espace virtuel correspond à la décomposition et à la progression tant thématique que didactique. Cette structuration topologique permet à l'apprenant de côtoyer en permanence d'autres apprenants étudiant la même matière que lui. Cette conception globale du dispositif repose sur une métaphore spatiale dont on sait l'importance pour l'orientation dans un dispositif virutel (Lakoff et Johnson, 1985 ; Denis et de Vega, 1993, Hesse, 1996 ; Dillenbourg, Mendelsohn, 1998). La RVT que nous utilisons est basée sur le TecfaMOO avec un interface utilisateur graphique qui permet aux utilisateurs de se passer des commandes en ligne pour les actions courantes. Comme toute RVT le TecfaMOO offre d'emblée des fonctionnalités intéressantes pour la recherche en Formation à Distance (FAD), dont notamment la possibilité d'obtenir automatiquement un `log' des interactions entre utilisateurs. Cette fonction, entre autres, en fait un moyen de recherche puissant. La réalisation de cette première étape dont nous venons de décrire le contenu prend entre 90 et 120 minutes en fonction du rythme de progression de l'utilisateur. Figures 1 et 2 : Copies d'écrans représentant les phases d'apprentissage et d'application La deuxième étape (Voir Figure 2, ci-dessus) est l'application de la grille en tant que tel. Cette étape se fait individuellement. Le dispositif n'offre plus aux sujets la possibilité de communiquer entre eux. Les sujets disposent dans une fenêtre du browser d'un formulaire proposant pour chacune des catégories leurs modalités. De cette façon les sujet peuvent facilement décrire une après l'autre les UI proposées. Le document dans lequel figurent celles-ci est présenté dans une seconde fenêtre du browser. Si les sujets oublient une donnée ou répondent de manière contradictoire, notamment pour la catégorie 'son' qui admet plusieurs possibilités dont certaines sont exclusives, le dispositif affiche un message et lui demande de compléter ou modifier le formulaire. Le site contenant le corpus d'UI à analyser est de nature pédagogique et porte sur une compétence technique d'utilisation d'un logiciel graphique ; chacune des UI y est clairement identifiée et numérotée. Les sujets évaluent successivement et dans l'ordre les différentes UI proposées. Chaque fois qu'ils finissent d'évaluer une UI et soumettent leurs réponses au serveur Web, celles-ci sont enregistrées dans un fichier. Puis un nouveau formulaire est généré et affiché dans son browser. Parallèlement, le dispositif affiche l'UI dans la seconde fenêtre du browser, épargnant aux sujets de devoir la rechercher manuellement. Par ailleurs, les utilisateurs peuvent à n'importe quel moment demander de l'aide en cliquant sur une icône. L'aide est constituée par le matériel d'apprentissage de la première étape, qui leur est fourni non plus sous la forme d'un 'tourne page' mais d'un document 'tout en un' avec une table des matières et un système de navigation interne. L'évaluation des 15 UI proposées exige entre 60 et 75 minutes. Technologies impliquées dans le dispositif Le dispositif est utilisable depuis n'importe quel PC équipé d'un browser (Netscape 3 ou plus récent, Java indispensable). Il est une combinaison de différentes technologies. · L'affichage dans le browser se fait bien sûr avec HTML, c'est-à-dire HyperText Markup Language qui est principalement un langage de mise en forme fortement standardisé, ce qui permet de l'utiliser avec des browsers de fabricants différents et à travers toute la gamme des plates-formes d'ordinateurs disponibles. · Nous utilisons PHP pour insérer du texte qui sera réutilisé dans d'autres pages HTML. Il s'agit d'un langage server-side HTML-embedded scripting language et permet, entre autres, d'insérer le contenu d'un fichier à l'intérieur d'un document HTML, évitant les tâches fastidieuses de copier/coller lors de la création de différentes page HTML ayant des contenus identiques, ainsi que la modification dans plusieurs documents d'un texte identique ; le contenu est stocké dans un fichier et les modifications ne doivent être apportées qu'à ce document. · La détection des données manquantes dans les réponses ou l'ouverture d'une nouvelle fenêtre du browser affichant l'aide à l'utilisation de la grille d'analyse, sont rendues possibles grâce à JavaScript. Ce langage permet de rendre interactifs des documents HTML qui sont a priori complètement statiques. · Python, un autre langage de scripting qui en conjonction avec un CGI (Common Gateway Interface) permet de générer automatiquement les formulaires successifs de description des différentes UI. · Finalement, le langage de programmation Java permet d'interfacer une fenêtre du browser avec la réalité virtuelle textuelle. On le voit, une recherche utilisant le Web comme interface entre le sujet, l'expérimentateur et le matériel à valider implique la maîtrise et l'intégration d'une vaste gamme d'outils. Par ailleurs, tout le dispositif est composé d'objets génériques constitués dynamiquement, ce qui facilite le recyclage du dispositif pour d'autres applications/enseignements. La réalisation du dispositif a pris environ 30 jours/homme de travail. Fonctions de l'expérimentateur prises en charge par le dispositif Lorsqu'en sciences humaines un expérimentateur fait passer une expérience, il décide par exemple de la quantité d'informations qu'il donne au sujet à travers les consignes, il construit un matériel expérimental suivant des besoins et des contraintes expérimentales, il assiste le sujet si celui-ci a besoin d'aide ou, au contraire, en fonction du déroulement et du mode de passation qu'il aura choisi, il le laisse avec ses doutes. Il en va de même lorsque les recherches se font à travers le Web, en tout cas pour celles dont on peut supposer qu'elles soient organisées sur ce type de média. L'expérimentateur-internaute peut construire son dispositif de manière à accompagner et guider le sujet ; c'est ce que nous entendons par les 'fonctions de l'expérimentateur prises en charge par le dispositif'. Cette réflexion sur les fonctions du dispositif semble évidente a posteriori, mais si elle n'est pas effectuée avec rigueur le risque existe de terminer la recherche avec des données manquantes ou d'avoir investi du temps à développer des fonctionnalités inutilisées par la suite. Dans la recherche présentée le dispositif prend en charge plusieurs fonctions de l'expérimentateur, dont les principales sont les suivantes. 1) L'exposé des contenus, c'est-à-dire des différentes variables de la grille d'analyse et leurs modalités respectives. 1) La progression linéaire lors de l'apprentissage de la grille catégorie par catégorie, ou lors de l'évaluation des UI les unes après les autres, est une décision prise lors de la création du dispositif, assurant autant que faire se peut un apprentissage complet durant la première étape ainsi que l'évaluation de toutes les UI de la deuxième étape. Notons que la progression linéaire est assouplie durant l'apprentissage permettant au sujet de revenir en arrière, alors qu'elle est stricte lors de l'évaluation interdisant les modifications après coup. 1) Dans une expérience classique l'une des tâches de l'expérimentateur est de s'assurer qu'il recueille bien toutes les données nécessaires. Dans notre cas c'est le dispositif qui prend en charge cette vérification et nous assure la récolte automatique de toutes les données. 1) Un autre rôle important de l'expérimentateur est de répondre aux éventuelles questions du sujet. Le dispositif médiatisé que nous avons conçu prend à charge cette fonction de façons distinctes. Premièrement, il offre durant les phases d'apprentissage et de passation une aide en ligne. Deuxièmement, durant la phase d'apprentissage, il propose un espace virtuel (social) d'interaction qui permet de médier la relation d'aide et d'accompagnement. Précisons que le modèle de dispositifs de communication et de formation basés sur des artefacts technologiques comporte deux dimensions : la médiatisation des contenus, c'est-à-dire la transposition des contenus et leur scénarisation à travers un " média " et la médiation de la relation interpersonnelle (Peraya, 1998 ; Glickman, 1997). Conclusions Nous ne présenterons pas ici les résultats de la validation ni l'analyse du pourcentage d'accord inter-juges pour deux raisons. Tout d'abord, le dépouillement et l'analyse ne sont encore que partiels et à ce stade ils n'apportent pas encore d'information significative. Ensuite, la discussion de ces résultats ne constitue pas l'objet principal de cette présentation. Disons cependant que la phase d'apprentissage a pu paraître trop brève aux participants et qu'il leur a manqué une phase d'appropriation avant l'application au site d'analyse. Ce reproche nous a été souvent adressé à travers le questionnaire d'évaluation du matériel que chacun devait remplir en fin de passation. Nous pensons d'ailleurs que c'est une des causes principales du manque de significativité des résultats que nous venons d'évoquer. Par contre, il est intéressant d'observer que l'interface de conversation en temps réel, dans l'environnement Living pages, a été largement sous-exploitée. On s'accorde à reconnaître au réseau Internet, de façon plus générale au cyberespace en tant que dispositif de communication et de formation médiatisés, des caractéristiques de " connectivité " et de collaboration. Pourtant, si les propriétés techniques du système semblent bien rendre possibles ces comportements relationnels et ces modes d'interaction, elles ne peuvent les induire per se. L'un des facteurs déterminants réside certainement dans la nature et l'organisation de la tâche proposée. Or, dans notre cas, il s'agissait d'un processus d'apprentissage individuel au sein duquel ni la collaboration ni l'échange à distance ne se sont vus intégrés au dispositif comme des composantes essentielles. Nous pensons certes que le dispositif technique influence les modes de communication, les formes de relation et le type de discours. Mais que la tâche n'inclue aucun processus d'appropriation ou de confrontation sociales, aucune forme de communication ne surgira spontanément. Enfin, nous pensons avoir montré que les moyens et les solutions mis en ?uvre correspondent bien aux trois principes fondateurs du campus virtuel tels que nous les avons énoncés au début de notre présentation. L'utilisation de technologies telles que PHP, qui permet la composition dynamique de pages HTML, constitue bien une illustration d'une structuration en ressources organisées et gérées comme une base de données. La concordance spatiale entre les espaces de communication et les étapes de la progression dans l'apprentissage des variables procède de notre adhésion aux recherches qui montrent l'importance de la métaphore comme principe d'organisation topologique mais aussi de structuration cognitive. Enfin, l'interface et plus généralement la structure du dispositif Living Pages ainsi créé constituent un objet générique qui pourrait être réutilisé avec d'autres contenus, pour d'autres activités de recherche. Il s'agit donc bien de la conception et de l'implémentation d'un objet générique structurant une activité et un processus de recherche indépendant d'un contenu ou d'une thématique particulière. Bibliographie Denis M., de Vega M. (1993), Modèles mentaux et imagerie mentale, In : M.F. Ehrlich, H. Tardieu, M. Cavazza (Eds), Les modèles mentaux. Approches cognitives des représentations, Paris, Masson, 79-100. Dillenbourg, P., Montandon L. & Traum D. 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