[...] Dans notre perspective, nous dirons que les manifestations iconiques du principe de contiguité, tout comme ses manifestations verbales (la métonymie au sens propre), sont les héritières de l'indice, ce premier mode de signification apparaissant dans la genèse de la fonction sémiotique. Et de fait, comme Metz en exprime l'idée, ces manifestations restent fortement liées à l'expérience des choses. D'une certaine manière, la tomate renvoie à l'italianité comme, dans l'expérience primitive de l'enfant, le craquement d'une porte annonce l'arrivée de la mère, où la partie visible d'un objet permet d'anticiper la partie invisible. C'est cela qui fait écrire à Lakoff: «La métaphore et la métonymie sont des catégories différentes de processus. La métaphore est principalement un moyen de concevoir une chose en terme d'une autre, et sa fonction première est la compréhension. La métonymie, au contraire, a avant tout une fonction référentielle: elle nous permet d'utiliser une entité pour tenir lieu d'une autre» (1985: 45).

Cela fait penser que, s'il y a certaines formes de codage dans l'image, ces formes doivent relever plus de la contiguité que de la similarité. Ce n'est pas pour rien que Barthes, dont le but est bien la découverte du code dans l'image, insiste sur la métonymie (tomate + poivron + couleurs = italianité). Le signe de connotation qui a, selon Barthes, pour signifiant la composition de la publicité et pour signifié la «nature morte“ est moins probant. La liaison est moins inscrite dans les choses, il faut sentir la similitude. Quoi qu'il en soit, cette dissymétrie n'est pas essentielle à la compréhension du sens de l'image. Plus important pour celle-ci est l'enchevêtrement des liaisons métonymico-métaphoriques.

Ce n'est pas seulement globalement que l'image évoque d'autres images par similarité et/ou contiguïté Chaque partie d'une image peut jouer un rôle déterminant dans la formation des trajets associatifs qui déterminent le sens global de l'image. Par exemple, dans la photographie d'Almasy, les souliers bien cirés du personnage de gauche peuvent à eux seuls rappeler, par similarité avec certaines représentations stéréotypées, les chaussures d'un «maffieux~. Cette similarité ressentie induit alors par contiguïté un contexte caractéristique et la scène prend l'allure d'une conversation ayant pour objet une plainte, un règlement de compte, une menace, etc. Mais les mêmes souliers peuvent aussi apparaître immédiatement comme ceux d'un fonctionnaire, auquel cas le contexte induit change radicalement ainsi que la scène visible.

Sur le dessin de couverture d'un dépliant consacré aux soins dentaires, deux éléments apparaissent: une bouche nantie d'une dentition superbe et cinq étoiles. Sur l'image, les étoiles entrent en résonance avec les dents blanches, rendant celles-ci plus brillantes (comme des étoiles). Mais les étoiles sont aussi là pour évoquer le contexte des hôtels de luxe et associer à ce contexte le propriétaire de la dentition parfaite dessinée sur l'image. Et, comme celui-ci peut être le lecteur lui-même, ainsi que l'indique le slogan («des soins cinq étoiles pour vos dents») (cf. illustr. 8), ce dernier peut participer imaginairement à l'ambiance des salons de palaces.

illustration 8-12

Source: dépliant publié par Infor-Santé, service d'éducation à la santé des mutualités chrétiennes, Belgique.

Chaque élément d'une image peut être à l'origine d'une chaîne d'associations qui infléchit le sens des autres parties et celui du tout. Ainsi se constituent de véritables réseaux métonymico-métaphoriques combinant les effets de l'image globale à ceux des parties qui la composent.

Considérons un troisième exemple, l'image «the tie that binds» qui a fait l'objet d'une analyse très fouillée de la part de Fresnault-Deruelle (1983: 155 et seq.), analyse mettant bien en évidence le rôle des parties dans la constitution des réseaux métonymico-métaphoriques (cf. illustr. 9). L'image (à l'origine une carte postale), montre un homme dont on évoque le cou et le col, lequel col est décoré d'une cravate ayant forme de femme: une femme-cravate.

illustration 9-13

13 Source: FRESNAULT-DERUELLE, op.cit.: 156.

Différents réseaux associatifs peuvent être déclenchés par cette scène. L'association femme-cravate conduit, explique Fresnault-Deruelle, à une idée comme «se faire cravater» et de là à l'idée que le mariage est une entrave. Mais si l'attention du lecteur se centre sur les pointes du col dont la ressemblance avec les oreilles d'une chauve-souris pourra paraître évidente à certains, la femme-cravate se transformera en femme-vampire. «Quelque chose de sinistre sourd de cette scène de cauchemar. Pendue au cou de l'homme, la petite créature a la tête tournée vers cette partie du corps du partenaire mythologiquement sensible depuis que se colportent les histoires de vampire (on songe à la veine jugulaire): comme 'assoiffée d'amour' parce que 'brûlant de passion', la femme, monstrueusement, semble se désaltérer. Nous connaissons, par ailleurs, cette façon qu'a la mante religieuse de dévorer le mâle pendant l'accouplement. Or, à bien y regarder, le fantasme de la métamorphose peut jouer présentement, pour peu qu'on accepte de voir dans les pointes rabattues du col cassé de l'homme à la fois la forme (Gestalt) d'une coiffe de nonne [...] et celle des oreilles dressées de la chauve-souris. De la nonne (religieuse) à l'horrible insecte carnassier (mante religieuse), puis de ce dernier au vampire (chauve-souris, 'buveuse de santé') un court-circuit s'opère donc qui renforce notre délire...» (op.cit.: 158). Si le regard du lecteur donne du relief à la forme du trou de serrure qui occupe le centre de l'image, une nouvelle configuration, toute différente, tendra à s'imposer: «le matériel graphique ostensiblement offert à la divagation se restructure pour coïncider à présent avec la figure d'un trou de serrure (pour tel lecteur c'est d'abord cette forme qui se sera imposée ... ). Alors, derrière la porte, tel un voyeur j'épie une pénétration; la tête de la femme commence à s'immiscer dans l'ouverture-fenêtre dessinée par le col. Femme-phallus d'autant plus rêvée (apte à jouer ce rôle) que la cravate fait l'homme l...]. (op.cit.: 160). Mais le regard peut encore s'accrocher à d'autres éléments et faire valoir d'autres assimilations. L'image, en effet, s'offre à toutes sortes d'interprétations. La position de la femme les bras en croix ne peut pas ne pas évoquer, par similarité, la figure bien connue de la crucifixion et toute l'ambiance de sacrifice qui y est attachée. Dès lors, la femme-vampire se mue en figure de l'abnégation et l'homme, de victime qu'il était, se transforme en symbole d'égocentrisme mâle. On mesure bien, sur cette image, toutes les implications d'une seule métaphore sur l'ensemble des éléments d'une image La femme-vampire implique la perception de l'homme comme victime tandis que la femme-Christ implique la perception de l'homme comme maître. Dans le jeu de ces implications, le plastron et le col raide pourront paraître tour à tour métaphoriquement comme linceul, ou comme cuirasse ou encore comme un insigne de virilité. Il y a toujours une certaine cohérence dans l'ensemble des implications d'un réseau d'associations métonymico-métaphoriques.

Les trois images que nous venons d'examiner- surtout la dernière - illustrent bien cette créativité métonymico-métaphorique que Guy Gauthier met au principe de la communication visuelle: «[...] l'image ne se construit pas à partir de règles (dont tout énonciateur dispose à l'avance et dont il peut faire le même usage que son voisin) mais de stratégies (qui impliquent des cheminements que le destinataire peut remonter en fin de parcours sans être en mesure de les prévoir) à base métaphorique [...] c'est la créativité qui est bien à la base de la communication visuelle ce qui ne dispense pas l'image d'avoir recours au lexique des objets» ( 1982: 188).

Cependant, bien que leur sens relève du même principe, les trois images en question présentent certaines différences. La photographie d'Amalsy est un fragment de réel transposé sur la pellicule. Sans doute, ce fragment a-t-il été bien choisi et cadré, mais il n'a pas fait l'objet d'autres manipulations. C'est sans doute pourquoi son sens reste largement imprévisible et dépend en grande partie de l'expérience personnelle du destinataire. L'image de la femme-cravate au contraire, est le résultat d'un montage, d'une sorte de collage de formes culturellement très marquées (la cravate, la croix, la chauve-souris ...). La superposition de ces formes - ou leur condensation au sens freudien du terme - est à l'origine de multiples trajets associatifs comme on vient de le voir, mais ces trajets ne sont pas imprévisibles. L'image a été manipulée pour les susciter. L'image aux étoiles est également le produit d'un collage mais les associations qu'elle est capable de susciter apparaissent moins nombreuses; elle est moins polysémique. Ces dernières observations conduisent à s'interroger sur les possibilités de montages et finalement de codage des éléments iconiques.

 

20 MONTAGE ET CODAGE

Il sera sans doute utile, afin de bien situer ces problèmes relatifs au montage et au codage de résumer en quelques points les acquis des pages précédentes.

1 D'une façon générale, l'analogique s'oppose au digital comme le positif au négatif.

2 D'une façon générale également, l'analogique ne peut servir de base aux opérations de la logique digitale.

3 Les icônes sont polysémiques au sens où elles sollicitent différentes sortes d'accommodations mimétiques; chacune de ces accommodations fait surgir une configuration significative cohérente (Gestalt) enveloppant le visible et l'invisible.

4 Les variations d'accommodations perceptives dépendent des associations par contigu té (métonymie) et/ou similarité (métaphore) par lesquelles les images ou éléments sont perçus en fonction d'autres images ou éléments.

 

Source


Meunier J.P. & Peraya D, Introduction aux théories de la communication. Analyse sémiopagmatique de la communication médiatique, Bruxelles: De Boek, 1993; pp. 181-185.

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