SECTION 3

 

PRAGMATIQUE

DES COMMUNICATIONS

AUDIO-SCRIPTO-VISUELLES

 

CHAPITRE 1

 

COMMUNICATION ET RELATION

 

1 INTRODUCTION

Toute communication est un acte et un acte social. Issue de la relation sociale, la communication forme, maintient ou transforme la relation. On peut figurer graphiquement cela au moyen d'un de ces schémas en boucle auxquels nous a habitués la pensée systémique.

 

 

 

Tel quel, ce schéma synthétise assez bien l'idée centrale de la linguistique pragmatique. Mais il n'y a aucune raison de ne pas le généraliser. Tous les modes de communication, en effet, ont quelque chose à voir avec la relation sociale: la parole et la gestualité non verbale bien sûr, mais aussi l'écrit, l'image, le son, et toutes les combinaisons de ces matières signifiantes que l'on peut observer dans les médias. Inscrivons cette diversité de modes de communication dans notre schéma.

 

Relation - Communication | paroles, gestesimages, sons, écrits,...

 

Cependant on se doute que ces modes de communication n'agissent pas de la même façon. Une des manières de les définir consisterait précisément à caractériser la façon spécifique dont chacun s'inscrit dans (et agit sur) I'interaction sociale.

Mais quelle extension doit on donner au terme de relation ?

A un premier niveau d'interprétation, le lien communication/relation concerne ce qui se passe au moment même de la communication. Nous avons déjà évoqué le fait (cf. ici même, Section 1, Chapitres 3 et 5) que tout acte de parole confère à celui qui l'effectue, et au moment même où il l'effectue, une certaine position sociale par rapport à celui auquel il s'adresse. Rappelons une fois encore une des propositions essentielles de la pragmatique: «En accomplissant un acte illocutionnaire le locuteur s'assigne un certain rôle et assigne à l'auditeur un rôle complémentaire: en donnant un ordre, le locuteur exprime sa volonté que l'auditeur suive une conduite donnée, et se pose comme ayant l'autorité qu'il faut pour que l'auditeur soit obligé de suivre la conduite en question simplement parce que c'est la volonté du locuteur» (Récanati, 1981: 18).

Mais à un second niveau d'interprétation, il faut considérer le contexte plus large dans lequel s'effectue un acte de parole et sur lequel il peut porter ses effets. Tout acte de parole s'inscrit dans une interaction qui, elle même, s'inscrit dans un système plus vaste de rapports sociaux. Une école, par exemple, est un ensemble de positions et de rôles assez bien définis (le directeur, les maîtres les élèves, etc.) impliquant des relations et des modes de communication - dont certains types d'acte de parole comme l'ordre, le conseil, la recommandation, les félicitations, etc. - facilement reconnaissables. Les interactions qui y ont cours forment un système et toute modification durable de certaines d'entre elles entraîne forcément des transformations en chaîne Ainsi, la portée d'un acte de communication doit se mesurer à ses effets immédiats et à ses effets à long terme sur la relation.

 

paroles, gestes,

Contexte social Relation Communication images, sons,

écrits,...

 

Il est important d'avoir à l'esprit ces interdépendances lorsqu'on veut apprécier tous les effets possibles d'une communication ou d'un ensemble de communications. Ces mises au point étant faites, il sera utile, avant d'affronter les communications proprement dites, de préciser quelques aspects de la relation sociale.

 

2 LA RELATION SOCIALE

Les linguistes et psychosociologues pragmaticiens ont jeté un pont entre la communication, la psychosociologie et la sociologie. Des passerelles avaient déjà été établies ainsi que le montrent, exemple parmi d'autres, les études de psychologie sociale sur l'influence. Mais avec la pragmatique, il n'est plus guère possible de considérer la langue et plus généralement les systèmes de communication - comme des entités autonomes. Le pont ainsi établi oblige à relier des notions issues de domaines différents. On a vu qu'un linguiste comme Ducrot utilise un vocabulaire juridique pour caractériser cette sorte de transformation de la réalité qu'implique un énoncé verbal tandis que Récanati se sert de la notion sociologique de rôle (cf. ici même, Section 7, Chapitre 5, 2.2). Ces auteurs et d'autres ont ouvert une voie dans laquelle se sont engagés, depuis, de nombreux chercheurs en communication.

Le chevauchement des disciplines a donc normalement attiré l'attention sur des notions se situant à la charnière entre la communication et le social. Mais il convient sans doute d'élargir le point de vue trop restrictif auquel se sont trop souvent limités linguistes et psychosociologues. Il faut tenter de comprendre, au delà des points de contact entre domaines, les corrélations plus profondes qui les lient. Dans cette optique, il faut s'interroger sur la nature de la relation sociale et surtout, il faut tenter d'en préciser les aspects dont on pressent l'interdépendance avec les modes de communication.

Puisque la communication est action et transformation, ce sont les notions qui dénotent les mouvements dont la relation sociale est le lieu qui sont les plus intéressantes à considérer. Ces notions, on va le voir, se présentent souvent sous forme de couples de termes antagonistes. Ainsi peut on observer dans la relation sociale des mouvements de fusion ou, au contraire de différenciation - voire d'exclusion.

La vie, avons nous vu, commence dans l'indifférenciation par rapport à autrui, indifférenciation qui se manifeste dans les comportements primitifs de mimétisme affectif (Wallon). Cette indifférenciation est par ailleurs recherchée dans l'identification au parent ou au congénère (Freud, Lacan). On admettra que ce mimétisme est coextensif à la relation sociale, qu'il constitue une forme primitive de communication et une base permanente pour celle ci à tous les niveaux du développement humain. On peut penser, avec Moscovici ( 1985), que ce mimétisme est au fondement du désir humain comme désir d'unité ou de cohésion. Cohésion avec l'image de soi à laquelle on s'identifie, cohésion avec d'autres dans les groupements que l'on constitue avec eux. Que l'on pense ici aux multiples manifestations du plaisir d'être ensemble, de partager les mêmes actions, les mêmes sentiments ou idées, de se fondre dans une foule, d'appartenir à un même groupe, de faire corps avec d'autres dans une institution, une entreprise, une nation, une région, un public, enfin, une classe sociale.

Mais ces mouvements fusionnels sont indissociables de mouvements symétriques de différenciation, de discrimination, d'exclusion. Qu'il s'agisse d'individus ou de groupes, la cohésion et l'identité ne s'obtiennent que par opposition au différent. Chaque individu construit son moi propre - cette image à laquelle il s'identifie - par une rupture de liens mimétiques à autrui, par repli sur soi, par distinction. Chaque groupe social construit sa propre cohésion sur l'exclusion d'autres groupes considérés comme étrangers. On le sait, les différences et les ségrégations sont paradoxalement le produit du désir d'unité. Les différences ne sont pas un donné pur et simple; elles sont largement construites par les hommes dans leur recherche de cohésion. L'individu humain cherche à faire un avec soi - c'est le narcissisme , un avec l'autre dans le couple - c'est le narcissisme de couple , un avec d'autres dans le groupe - c'est le narcissisme de groupe. Et à chacun de ces niveaux, l'unité comporte nécessairement une certaine dose d'exclusion: telle est la condition de son existence même. Bien sûr, I'exclusion connaît de multiples degrés et nuances qui vont de la violence guerrière (exclusion physique d'autrui) aux petites distinctions - de conduites, de langage, etc. - qui font les petites exclusions entre gens se reconnaissant par ailleurs comme appartenant à une même société. Mais le principe est toujours le même: l'unité et la cohésion reposent sur la différence et l'exclusion. Ce que les nuances évoquées nous indiquent, c'est l'immense complexité des rapports sociaux engendrés par un principe simple. C'est que ce principe simple implique un enchaînement de différenciations s'emboîtant les unes dans les autres: le tissu social se fragmente en communautés opposées mais à l'intérieur de chaque communauté, il faut bien que des groupes se différencient à leur tour tout en se reconnaissant appartenir à une même communauté; et à l'intérieur des groupes: des petits groupes, des dyades, des couples, des individus, etc. A certains moments, ce sont les grandes unités qui polarisent toutes les énergies, diluant les barrières entre les petites unités tandis qu'à d'autres moments, ce sont ces petites unités qui, précipitant à nouveau - au sens chimique mot précipiter font se décomposer les grandes unités. Selon Atlan, tout système - biologique, social - repose sur un compromis entre redondance et variété (1979). Selon Morin, tout système est unitas multiplex, à la fois un et multiple (1977). Et pour l'un et l'autre, les rapports varient entre l'un et le multiple, la redondance et la variété, selon les cultures et les moments historiques. La communication inscrit nécessairement ses effets dans ces mouvements.

Le couple fusion/différenciation conduit à un autre couple, celui que constituent les notions de centration et de décentration. La notion de centration renvoie à tous les «centrismes», observables aux divers niveaux du tissu social: égocentrisme, sociocentrisme, ethnocentrisme, etc. En fait, les mouvements de cent rations que désignent ces termes sont parfaitement corrélatifs des mouvements de fusion et de différenciation que nous venons d'évoquer: ils impliquent qu'une unité sociale, par opposition à d'autres, s'éprouve comme centre d'un monde. Qu'il s'agisse d'individus ou de groupes, le centrisme est une forme de repli sur soi. Autrement dit encore, une forme d autosufffisance entraînant la marginalisation de tout ce qui entoure le soi. La marginalisation, comme I'exclusion, comporte une infinité de degrés et de nuances que reflètent les désignations qui s'y rapportent; par exemple: déni, rejet, indifférence, inféodation, subordination, etc. La centration, somme toute, est une implication du mouvement de fusion/différenciation. Mais cette notion permet de caractériser avec plus de précision ces phénomènes par lesquels les membres d'un ensemble social soudent leur unité en se donnant un centre de référence: dieu, roi, chef, président, leader, meneur, supérieur, ... Un centre de référence, c'està-dire une entité dans laquelle chaque membre se reconnaît et à laquelle il s'identifie, resserrant du même coup ses liens avec les autres membres. Pour engendrer la cohésion, le centre doit lui-même manifester la plus grande cohésion. C'est ce qu'a bien montré la psychologie des foules de Le Bon à Freud. Le chef, écrit Freud, n'aime personne, «il est doué d'une nature de maître, son narcissisme est absolu, mais il est plein d'assurance et indépendant.» ( 1967: 151). C'est I'autosuffisance du centre, en quelque sorte, qui garantit aux membres du groupe leur autosuffisance globale à l'égard des autres groupes. Mais ici aussi, les degrés et nuances ne manquent pas: que l'on pense simplement à la différence qui sépare le centrisme absolu des dictatures du polycentrisme des sociétés démocratiques.

Qu'en est-il, maintenant de la notion de décentration ? Elle se situe évidemment exactement à l'opposé de la notion de centrisme. Mais son intérêt vient du fait qu'elle implique une sorte de dépassement. Il y a décentration lorsque un être social - un individu, un groupe, etc. devient capable (au-delà des clivages et des différences) de reprendre à son compte la position des autres, de comprendre leur point de vue, leur vécu, leur pensée, etc. J. Piaget faisait grand cas de cette notion qu'il considérait comme le fondement du développement social et cognitif de I'individu. C'est par décen ration, pensait-il, que l'individu dépasse I'égocentrisme primitif: la reconnaissance du point de vue de l'autre permet la reconnaissance de la particularité de son propre point de vue et c'est la nécessité de cette double reconnaissance qui, sur le plan social, permet l'émergence de l'échange et de la coopération, et qui, sur le plan cognitif, favorise la formation du raisonnement logique: «Comment naît donc le besoin de vérification ? C'est assurément le choc de notre pensée avec celle des autres qui produit en nous le doute et le besoin de prouver [...]. C'est le besoin social de partager la pensce des autres, de communiquer la nôtre et de convaincre, qui est à l'origine de notre besoin de vérification. La preuve est née de la discussion» (1978: 164). Mais ce processus de décentration n'entraîne pas un dépassement simple de I'égocentrisme. Il ne s'accomplit pas une fois pour toutes dans une évolution qui ne comporterait que deux états: I'égocentrisme et la reconnaissance mutuelle: La décentration constituerait plutôt un exigence continue, corrélative de mouvements de différenciation ininterrompus. L'enjeu de la décentration, c'est la complexité sociale, c'est à dire la capacité qu'ont les hommes de reconnaître toujours plus de différences chez leurs semblables et de transformer leurs rapports afin de rendre possible la nécessaire articulation de ces différences

Pour être un peu plus concret, imaginons comment se jouent les mécanismes de centration et de décentration dans une interaction sociale. Soit une rencontre entre un individu A et un individu B. Pour qu'il y ait début d'interaction, il faut au moins que l'un deux (disons A) saisisse le sens des comportements de l'autre (leur orientation dans l'environnement, l'intention qui les anime, etc.). Il faut pour cela ce minimum de décentration que permet le corps propre avec sa capacité à entrer en résonance mimétique avec le corps d'autrui. A partir de là, plusieurs évolutions sont possibles. Par exemple, A peut rejeter B ou afficher de l'indifférence à son égard. A peut aussi tenter de s'assimiler B, c'est à dire d'intégrer les comportements de celui ci à ses propres projets; il possède pour cela une panoplie d'attitudes et d'actes de communication, tels que la menace physique ou morale, l'intimation ou l'intimidation, la séduction, la conviction, la persuasion, etc. Dans ce cas, on voit bien que la centration sur soi domine largement la décentration. Mais dans d'autres cas, la décentration peut se poursuivre au delà de ce minimum que nous venons de décrire et viser des couches beaucoup plus profondes du comportement ou de la pensée d'autrui. La disponibilité de A - ou simplement la résistance de B - peut le motiver à tenter de ressentir les perceptions et sentiments de B, de pénétrer ses pensées, comprendre leur fondement dans une histoire individuelle et collective, etc. (In tel mouvement de décentration ne peut que rétroagir sur l'autoperception de A lui même et, si la décentration est réciproque, le rapport A/B évoluera normalement vers des formes plus complexes de reconnaissance mutuelle et d'échange. On peut caractériser ce processus de complexification par une autre notion largement utilisée par les psychosociologues: celle de passage au métaniveau. La décentration, en effet, lorsqu'elle atteint un certain degré de profondeur, suppose que chaque sujet dépasse son propre point de vue et se situe à un niveau - un métaniveau - d'où il puisse échanger et confronter les différents points de vue. Cependant un métaniveau doit toujours être considéré comme un niveau et les points de vue qui s'y affirmeront demanderont à leur tour à être dépassés. La complexification est donc bien un mouvement continu, mais il n'est malheureusement pas irréversible: il connaît des progressions et des régressions. Il est des situations tendues - des points de bifurcation - qui peuvent, avec la même facilité, basculer vers l'affrontement des points de vue ou, au contraire, évoluer vers leur dépassement. Bien entendu, cette évolution, toujours incertaine, ne concerne pas que des individus. Le A et le B peuvent aussi bien représenter des groupes, des nations ou encore des cultures. Le problème des rapports interculturels est en grande partie un problème de centration/décentration et de passage, souvent difficile, au métaniveau. L'éthnocentrisme et le sociocentrisme procèdent d'un excès de centration sur soi ou, ce qui revient au même, d'un défaut de décentration. Le fait que l'on se pose actuellement beaucoup de questions à leur sujet est un indice: on se situerait à un point d'instabilité, à un point de bifurcation dans l'évolution sociale à partir duquel les hommes peuvent soit basculer dans des formes convulsives de repli sur soi et d'exclusion, soit effectuer un mouvement lent et difficile de décentration et de passage au métaniveau. Rien n'est jamais certain dans l'évolution des rapports sociaux.

La relation sociale, à tous les niveaux, des rapports interindividuels aux rapports interculturels, est donc continuellement traversée - travaillée, pourrait on dire - par des mouvements contradictoires de fusion/ différenciation et de centration/décentration, mouvements dont l'évolution conduit à des simplifications (repli sur soi, fermeture, exclusion du différent) ou à des complexifications (passage au métaniveau, articulation des différences dans un ensemble plus complexe).

On ne saurait clore ces quelques considérations rapides sur la relation sociale sans évoquer les fameuses interactions symétriques et complémentaires des psychosociologues de Palo Alto On sait que pour Bateson, l'interaction sociale peut évoluer soit vers la symétrie, soit vers la complémentarité. La symétrie, c'est la lutte des rivaux qui confine souvent à l'escalade. Le prototype en est la vantardise. La symétrie, indique Watzlawick, «se caractérise donc par l'égalité et la minimisation des différences“ (1972: 67). Chacun veut être au moins autant que l'autre. On dira, dans notre perspective, que la symétrie est une manifestation tout à fait caractéristique de l'exclusion sociale. Le terme d'égalité utilisé par Watzlawick ne doit pas faire illusion. Le but du vantard n'est pas simplement d'égaler son alter ego. Il est plutôt de le remplacer, de l'évincer ou au moins de le rejeter à la périphérie. La symétrie est en fait un terme commode pour désigner les phases conflictuelles de la lutte pour l'occupation du centre. La complémentarité, c'est l'ajustement des comportements différents dans un tout, une Gestalt. Dans une relation complémentaire, précise Watzlawick, il y a deux positions différentes possibles. L'un des partenaires occupe une position [...1 supérieure, première ou «haute» (one up); et l'autre, la position correspondante dite inférieure, seconde, ou «basse» (one down). (op.cit.: 67). On dira ici que la complémentarité désigne ces articulations et ajustements réciproques de conduite autour d'un centre organisateur. La complémentarité est assez proche du phénomène de hiérarchisation; elle en est en tout cas à la base.

On le voit, toutes les notions qu'on vient d'évoquer sont solidaires. Elles composent une constellation conceptuelle dans laquelle chaque terme conduit aux autres. La fusion mimétique implique la différenciation et ces deux notions impliquent celles de symétrie, complémentarité et centration; enfin, cette dernière conduit naturellement à la décentration et à ses potentialités de complexification. Un examen plus approfondi permettrait de mettre en évidence mille degrés et nuances dans la signification de ces notions et dans les relations qu'elles entretiennent. On laissera au lecteur le soin de le faire. Le rappel de ces notions avait surtout pour but de faire entrevoir la multiplicité des questions que suggère le rapport relation/communication.

Dire que tout mode de communication - et même toute communication particulière - interagit avec la relation sociale, suppose, on le voit maintenant, une interrogation sur la manière dont la communication produit ses effets sur les grands mouvements de fusion, différenciation, centration, décentration, etc. et sur les conséquences que cela peut avoir pour les groupes et les individus.

 

3 LES GRANDS MODES DE COMMUNICATION

 

L'histoire humaine et sociale nous a légué une multiplicité de modes de communication: la gestualité, la parole, l'image, l'écriture, etc. qui peuvent fonctionner séparément mais qui, dans beaucoup de cas, se combinent et interagissent dans des actes particuliers de communication. Définir les modalités de la relation sociale induites par ces modes de communication représente une tâche trop importante pour qu'on puisse l'entreprendre ici dans le détail. On se bornera à formuler quelques propositions générales dans le cadre de l'hypothèse, formulée plus haut, d'une évolution génétique des signes.

Une première proposition a trait aux relations opposées de fusion mimétique et de différenciation. On peut la formuler comme suit: selon qu'ils sont plus ou moins analogiques ou digitaux, les modes de communication induisent, au niveau des protagonistes de la communication, des relations plus ou moins fondées sur la fusion mimétique ou sur la différence. Cette proposition découle directement de l'idée d'une progression de l'indifférenciation sociale vers une plus grande différenciation corrélative d'une évolution des modes indiciels et iconiques (analogiques au sens large) vers des modes plus digitaux. A partir du moment où l'on admet cette corrélation, il faut aussi admettre que l'usage des modes analogiques et digitaux dans la communication s'imbrique étroitement avec les degrés de différenciation impliqués dans la relation sociale.

Une seconde proposition générale découle de la première et concerne les phénomènes de centration/décentration dans la relation sociale. De tels phénomènes existent toujours quel que soit le mode de communication utilisé. Même le mode de communication le plus analogique repose sur un minimum de différenciation entre les individus communicants, et dès qu'il y a différenciation, il existe nécessairement des mouvements de centration et de décentration à l'intérieur de la relation. Cependant, on admettra que les modes analogiques et digitaux [...].

Source


Meunier J.P. & Peraya D, Introduction aux théories de la communication. Analyse sémiopagmatique de la communication médiatique, Bruxelles: De Boek, 1993; pp. 201-208.

 

pdf 10.11.96