4.4 Les marques d'énonciation audiovisuelles

 

Les différents personnages intervenant dans un dispositif d'énonciation modulent leur rapport aux spectateurs en utilisant toutes les ressources de la parole, du geste, de la voix, et même de l'écriture. Tout ce que nous avons dit plus haut au sujet des effets de ces différents modes de communication doit être pris en compte lorsqu'il s'agit d'apprécier l'action de leur combinaison au sein d'un dispositif audio-scripto-visuel: le registre dans lequel les personnages s'expriment (récit ou discours), les pronoms personnels utilisés, les actes illocutionnaires effectués, l'implicite de leur discours et les calculs inférentiels que nécessite leur compréhension, les postures, les regards et les gestes, la hauteur, l'intensité et les intonations de la voix. Il est évident, par exemple, qu'un énoncé comme «Ouvrez les yeux pour que le SIDA ne vous les ferme pas,. - slogan d'une des premières campagnes belges de prévention contre le SIDA - est conçu pour produire un effet sensiblement différent que cet autre énoncé: «Ta santé est aussi celle des autres» - autre slogan, d'une autre campagne contre le SIDA. Le premier suppose un énonciateur distant (il s'exprime à la deuxième personne du pluriel) s'adressant à une masse indifférenciée d'individus. L'acte illocutionnaire qu'il effectue est évidemment du type prescriptif: un ordre assorti d'une menace. Dans la mesure où la tournure linguistique d'une phrase écrite contient des indications sur la manière (intonation) dont elle doit être prononcée, on comprend, à la seule lecture de cet énoncé, que le ton est ferme. Le second énoncé est de toute évidence prononcé par un individu plus familier (deuxième personne du singulier) s'adressant à un autre individu et non plus à une masse. Formellement, l'acte illocutionnaire accompli est une constatation. On comprend que cette constatation implique une sorte de prescription (du genre: «Fais attention à la maladie afin de ne pas nuire aux autres») mais l'usage de l'indirection et l'appel aux capacités inférentielles du destinataire font de celui-ci un égal, capable de raisonnement. Enfin, la tournure linguistique de cet énoncé semble indiquer une élévation finale de l'intonation qui laisse le propos ouvert, à charge au destinataire de le poursuivre. On pourrait dire que ces énoncés sont tout deux persuasifs, qu'ils poursuivent un même but. Mais cette notion de persuasion est trop générale; elle rassemble en effet dans une même catégorie des actes de communication qui peuvent être très différents. Du point de vue psychosociologique, le slogan «Ouvrez les yeux [...].. effectue - ou tente d'effectuer - un véritable assujettissement des individus à une instance transcendante, autoritaire et menaçante, instance relativement indéterminée mais qui évoque immanquablement toutes les figures supérieures qui marquent les débuts de l'existence sociale: le père, certaines représentations divines, les maîtres, etc.; instance qui n'est pas sans évoquer le Surmoi des psychanalystes. Du même point de vue psychosociologique, le slogan «Ta santé [...]» situe les destinataires comme des individus autonomes, susceptibles d'entrer en

 

 

Source


Meunier J.P. & Peraya D, Introduction aux théories de la communication. Analyse sémiopagmatique de la communication médiatique, Bruxelles: De Boek, 1993; p. 247.

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