CHAPITRE 3

 

UNE PREMIERE APPROCHE

DE L'ENONCIATION

1 CONTENU ET RELATION

 

Lors de la présentation de l'évolution des théories et des modèles de la communication, nous avons évoqué l'importance de la distinction entre contenu et relation. Au moment où l'on cesse d'envisager les messages en faisant abstraction de toute référence à leur réalisation concrète, il ne peut plus être question d'analyser les significations indépendamment des sujets communicants et des contextes dans lesquels ceux ci justement communiquent.

Mais dès que les messages se voient considérés comme parties d'une situation concrète, dès qu'ils sont envisagés sous l'angle du discours, c'est-à-dire comme des actes avec toutes leurs implications relationnelles, on est conduit à reconnaître, dans le message, deux aspects, l'un relatif au contenu et l'autre, à la relation. Aussi les philosophes du langage et les linguistes ont ils été amenés à distinguer dans un énoncé verbal un sens descriptif ou propositionnel - son contenu informatif - et un sens pragmatique. Si le sens descriptif concerne le fait qu'un énoncé verbal représente un «état de choses» auquel il fait référence, le sens pragmatique désigne quant à lui le fait qu'un énoncé assume une fonction illocutoire, c'est à dire qu'il met en relation, sous un certain rapport, les interlocuteurs.

Pour les linguistes, les éléments de la signification qui déterminent le sens pragmatique sont essentiellement linguistiques: le mode verbal, l'ordre des mots, certains verbes comme «ordonner», «promettre», que l'on a appelés les performatifs explicites, etc. Mais, comme ils le reconnaissent eux mêmes, de nombreux éléments interviennent que la linguistique ne prend traditionnellement pas en charge; ce sont, par exemple, les éléments dits extra linguistiques ou «suprasegmentaux» la prosodie, I'intonation, la mélodie, les inflexions de voix ainsi que la qualité vocale. Dans de très nombreux cas, en effet, aucun marqueur de force illocutoire syntaxique ou sémantique ne permet de discriminer deux énonciations différentes, possédant donc deux sens pragmatiques différents. On doit en conséquence accepter que ces aspects de type analogique jouent alors un rôle dans la communication et dans la compréhension des aspects relationnels.

De leur côté, les psychosociologues accordent naturellement davantage d'importance aux aspects non verbaux de la communication. Le contenu de la communication se transmettrait essentiellement par le biais du code verbal, par les modalités digitales de la communication, tandis que les aspects relationnels emprunteraient essentiellement ses modalités analogiques: la posture, la mimique, le gestuel, les caractéristiques vocales, etc. Ces aspects qui accompagnent le dire et constituent la manière de dire structurent la relation autant, sinon plus que le dire lui même. Tout ce qui constitue la manière de dire détermine le rapport entre les interlocuteurs et concerne au plus près leurs images d'eux mêmes telles qu'elles se jouent dans ce rapport (cf. ci dessous, Chapitre 5, Le dit et le montré).

 

2 L'ENONCE COMME IMAGE DE L'ENONCIATION

Le concept d'énonciation s'est imposé comme un des fondements des théories du langage et de la communication. Mais en considérant les faits de paroles, c'est à dire le discours en acte, on définit un cadre de référence où le concept d'énonciation, subsumant l'ensemble des faits psychosociologiques, physiques, physiologiques et linguistiques, possède une telle extension que les linguistes ont craint de lui voir perdre toute pertinence linguistique. Aussi, tout en reconnaissant la dimension pragmatique du sens d'un énoncé, ont ils tenté de recentrer ce concept et de définir l'énonciation en termes strictement linguistiques: «J'appellerai 'énonciation' le fait que constitue l'apparition d'un énoncé - apparition que la sémantique linguistique décrit généralement comme l'apparition d'une phrase» (Ducrot, 1980 b: 33). Ce concept doit donc être entendu au sens strictement sémantique, en faisant abstraction de toute référence à l'activité psychologique ou même physiologique dont l'énoncé est le produit puisqu'«il n'implique même pas l'hypothèse que l'énoncé est produit par un sujet parlant» (op.cit.: 34)1[...].

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1 Ce point de vue, qui demeure donc indifférent à la nature empirique des sujets parlants, a été considéré comme réducteur et, en conséquence, a fait l'objet de critiques que résume assez bien ce point de vue de Ghiglione: «Et si les auteurs prennent soin de préciser que les différents sujets avec lesquels ils opèrent ne doivent pas être confondus avec les sujets concrets de l'empire extra linguistique, en revanche, ils ne disent rien sur le type de liens qu'il serait éventuellement possible d'établir entre sujet linguistique et sujet extra linguistique» ( 1986: 92).

 

Source


Meunier J.P. & Peraya D, Introduction aux théories de la communication. Analyse sémiopagmatique de la communication médiatique, Bruxelles: De Boek, 1993; pp. 69-70.

 

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