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chapitre 4 La modélisation des processus cognitifs

4-2.2 Les heuristiques de la gestion d'un environnement complexe


Opérations cognitives de base portant sur des relations

Maintenant que nous avons donné une idée de l'heuristique principale pour s'attaquer à un problème, nous allons continuer la discussion à l'autre bout, c'est-à-dire le savoir épistémique. Nous allons introduire trois types de "réseaux sémantiques" importants pour la décision politique, ainsi que les opérations que l'on peut leur appliquer. Ces réseaux ont une importance particulière pour la modélisation du décideur qui raisonne sur l'ensemble de l'environnement politique (comme le fait le sujet expérimental dans la ville simulée de Lohhausen).

Un grand nombre des connaissances du décideur semble être incorporé dans une structure de réseau. Chaque noeud du réseau représente une certaine connaissance (un fait sur le monde) et chaque noeud est lié avec d'autres noeuds par certaines relations. Pour la résolution de problème, trois types des relations semblent être plus particulièrement intéressants:

  1. La relation ensemble-partie (en anglais souvent appelée "has" ou "part-of" relation) intègre les éléments d'un objet. Par exemple, "la Suisse a 25 cantons" ou "Genève fait partie de la Suisse".

  2. La relation cause-effet concerne les causalités, par exemple "trop d'étrangers provoquent des sentiments anti-étrangers".

  3. La relation d'abstraction (en anglais souvent appelée "is-a relation") intègre un objet dans une classe d'objets. Par exemple, "la démocratie directe est une forme de démocratie".

Pour chacune de ces relations, un certain nombre d'heuristiques doit exister pour exploiter l'information implicite dans ce type de structures de connaissances (cf. Dörner 83:399 ff). Nous allons discuter les plus importantes:

L'analyse de composantes permet de retrouver les parties d'un ensemble et l'existence de relations entre les parties. Pour un grand nombre de problèmes à résoudre, il faut savoir comment décomposer l'objet auquel on a affaire. Par exemple, une transaction immobilière est composée d'un immeuble (l'objet légal), d'un vendeur et d'un acheteur (les sujets légaux) et de certaines relations comme des contrats ou encore des transactions d'argent. En termes techniques, il s'agit d'effectuer des "recherches vers le bas" dans des hiérarchies ensemble-partie. Comme les objets d'une décision font également partie d'une structure plus élevée, on possède également l'analyse d'insertion qui permet de retrouver l'objet "supérieur" auquel l'objet présent appartient. Par exemple, une transaction immobilière peut faire partie d'une opération de "take-over" commercial.

L'analyse de dépendances nous suggère comment et dans quelle mesure un objet dépend d'un autre. En d'autres termes, ce type d'analyse cherche dans le réseau l'insertion d'un objet dans une structure causale. Plus techniquement, on parle de "recherche causale en arrière"; étant donné un fait (état d'un objet), on cherche sa ou ses causes et ainsi de suite jusqu'à ce que l'on décide de s'arrêter ou jusqu'à ce qu'il ne reste plus de causes. Ce type d'analyse est complété par l'analyse des effets, souvent utilisé pour évaluer les conséquences d'un plan d'action. Etant donné un fait (état d'un objet) on cherche "en avant" pour trouver ce qu'un changement de l'état pourrait provoquer ou a déjà provoqué. Ces deux types d'analyse sont très importants quand un décideur est confonté à un système dynamique comme le système politique national. Il devient aussi évident que ce genre de raisonnement respose sur un modèle que le décideur possède de son environnement. D'où l'importance cruciale de la mémoire avec ses connaissances préalables que nous n'arrêtons pas de souligner.

A part les hiérarchies ensemble-partie et les structures causales, nous utilisons des hiérarchies d'abstraction et les analyses de subordination et de superordination qui leur sont liées. Très souvent, il est impossible pour le décideur de connaître directement les propriétés d'un objet qu'il est censé manipuler cognitivement. Si l'objet mental est défini en termes trop généraux pour trouver une solution intéressante au problème, il faut chercher des objets de substitution que l'on sait mieux manipuler. Par exemple, si la notion de "transfert immobilier" est trop vague pour trouver un moyen de lutter contre le trop grand nombre d'acquisitions d'immeubles par des étrangers, il convient de trouver un objet plus concret et plus simple qui n'englobe peut-être pas l'ensemble du fait initial, mais qui permet de résoudre une grand partie du problème. Par exemple, dans le cas de ces acquisitions étrangères, on peut se limiter à résoudre le problème des résidences secondaires, s'il s'avère que ces dernières font le gros de ces transactions. Parfois, il existe un problème cognitif opposé. Par exemple, si beaucoup de journaux s'inquiètent du nombre élevé d'acquisitions d'immeubles par des étrangers, le décideur politique va s'inquiéter aussi, pas forcément parce qu'il s'inquiète de ces acquisitions mais parce qu'il voit qu'un problème est perçu dans la population et qu'il faut donc agir.

Ces hiérarchies d'abstraction peuvent servir à des raisonnements analogiques. Ainsi une éventuelle perception populaire qu'il y a trop d'acquisitions étrangères pourrait être traduite dans une catégorie de problèmes plus abstraits pour laquelle on connaît des solutions. Ainsi on pourrait décider que, lorsque les gens estiment que les prix trop élevés posent problème, c'est que la pression de la demande est trop forte. Dans ce cas, on peut d'abord prendre des mesures plus simples pour calmer le marché comme instaurer un long délai de revente pour freiner les spéculateurs. Si, par exemple, le décideur trouve que les acquisitions sont gênantes puisqu'elles engendrent de vilaines constructions dans de jolis sites de montagne, il peut penser à imposer à ces communes une réglementation plus sévère de la construction. Ces "transferts d'abstraction" permettent également d'éviter des décisions. On peut par exemple déclarer que ces acquisitions sont un résultat de notre liberté de marché (et une conséquence) et que toute réglementation est contraire à ce principe important de la liberté du commerce.

Après avoir défini ces quelques opérations cognitives de base, nous pouvons discuter plus en détail le comportement du décideur dans un environnement complexe dont on a présenté le modèle dans la section 4-1.3 "Le décideur dans un environnement complexe" [p. 109]. Rappelons que dans ce modèle de la décision complexe de Dörner (83:398), le décideur commence son activité en observant les variables "critiques". Chaque déviation l'incite à créer des intentions vers une action et ensuite d'agir réellement. Une fois réglés les problèmes importants, il se tourne vers la recherche de problèmes. Examinons les points les plus importants de ce modèle:

La planification de l'agenda

En règle générale, un décideur politique ne doit pas seulement tenter de résoudre un seul problème (y compris un ensemble de sous-problèmes interdépendants). Beaucoup de choses exigent son attention. Pour s'en sortir, il lui faut une sorte d'agenda qui règle les priorités. En simplifiant un peu le phénomène, Dörner postule l'existence d'une liste d'intentions. Ces intentions peuvent être engendrées par une analyse de buts ou directement par une pression venant de l'environnement (cf. Dörner 83:408ff.) Par rapport à ce modèle, une intention est la volonté de réduire la différence (partiellement ou totalement) entre l'état courrant d'un fait (variable dans l'environnement) et son état désiré. La question est de savoir combien de ressources allouer à chaque intention et dans quel ordre les traiter. Dans le cas idéal, le décideur cherche d'abord à trouver des dépendances parmi les intentions dans la liste. Si un problème à résoudre est engendré par un autre, il peut être éliminé de la liste des intentions. Ensuite, le décideur doit trouver une liste de priorités parmi les intentions restantes. Cette opération n'est pas simple. Dörner (83:408ff.) définit la formule suivante pour mesurer et opérationaliser la pression de sélection pi:

pi = ii (ui + ai) si

ii = importance de l'intention i
ui = urgence actuelle
ai = poids d'actualité
si = probabilité de succès

Nous n'allons pas montrer en détail comment opérationnaliser chaque argument de cette fonction. Sans exemple empirique, cela n'aurait pas de sens. Une intention dans ce modèle est définie en tant que variable critique qu'il s'agit de modifier. En conséquence, l'importance d'une intention est définie en fonction de la manière dont cette variable influence des buts universaux importants. L'urgence actuelle est fonction de l'importance, de la vitesse et de l'accélération avec lesquelles la variable s'écarte de son état désiré. En termes plus simples, on peut dire qu'un problème est urgent (a) s'il est mauvais ou (b) s'il se dégrade si rapidement que le coût d'interventions futures est estimé beaucoup trop cher, ou les deux (a+b). L'urgence actuelle de la formule tient compte en plus de la faisabilité. Souvent l'urgence actuelle d'un problème est cyclique. Par exemple, une décision collective peut être prise seulement lorsque les membres du corps de décision sont présents (ou qu'il existe une majorité qualitative). Le poids d'actualité mesure l'attention cognitive que la personne donne à une intention. Ce facteur cognitif est difficile à modéliser et il joue plutôt un rôle auxiliaire dans ce modèle. La probabilité de succès que Dörner appelle aussi compétence actuelle (Dörner 83:412ff.) est fonction de la compétence heuristique et épistémique du décideur et du temps disponible pour la tâche. Dans ce contexte, la compétence épistémique mesure ce que l'acteur sait (activement) déjà pour résoudre le problème, la compétence heuristique fait référence à ses connaissances (acquises) pour trouver une solution au problème. Si la solution est inconnue, le temps devient un facteur important. Les problèmes qui demandent trop de temps ne peuvent pas être résolus.

Les processus impliqués dans la planification de l'agenda forment une structure que Dörner (83:413) appelle la mémoire d'intentions. En fait, il postule que les intentions dans notre liste pointent sur des collections d'information sur l'importance, l'urgence, la probabilité de succès, le temps de résolution estimé, l'état courrant, l'état désiré, etc. Ces structures d'intention doivent "lutter" pour leur influence sur le système de pilotage central à l'aide de la pression de sélection dont on vient de donner une formule ci-dessus. Une autre fonction de ce processus de planification est d'éliminer les intentions qui ne méritent pas d'être traitées parce qu'elles ne sont pas assez importantes ou qu'elles sont intraitables. Etant donné qu'un calcul optimal des priorités de sélection est difficile, il faut, à notre avis, postuler une sorte de procédure de sélection quasi-rationnelle qui privilégie clairement les tâches les plus importantes et qui choisit les autres avec une sorte de raisonnement de "satisfycing".

Le traitement des intentions

Une fois que le décideur a décidé de traiter une intention de résolution de problème, il essaie, en règle générale, de comprendre la fonction de la variable critique dans le système. Il existe plusieurs activités cognitives impliquées dans cette tâche (cf. Dörner 83:419ff.). Le décideur peut tout d'abord effectuer une analyse de dépendances, c'est-à-dire évaluer quelles autres variables influencent la variable critique qui pose le problème et dans quelle mesure. Par exemple, pour savoir pourquoi beaucoup d'étrangers acquièrent des immeubles en Suisse, il faut analyser les motifs des demandeurs et il faut regarder l'offre. Les motifs d'un placement dans l'immobilier peuvent être des motifs de sécurité mais aussi représenter des aspects financiers comme l'aide au placement immobilier individuel. Une fois les variables (causes) trouvées comme dans cet exemple, on peut examiner s'il est possible d'intervenir dessus. Pour analyser les effets d'un problème (état d'une variable), la personne peut effectuer une analyse des effets. Il est intéressant de savoir si le problème est vraiment un problème et dans quelle mesure son amélioration ne risque pas de créer d'autres problèmes plus graves. Par exemple, limiter les acquisitions étrangères peut mettre en danger l'industrie du tourisme. Autre exemple, combattre le chômage par la création de postes de travail par l'Etat peut augmenter l'inflation. L'analyse des effets est également une étape importante pour évaluer une intervention éventuelle sur les variables qui causent le problème. Les exemples précédents montrent également qu'une analyse de dépendances peut servir à estimer si un problème est important ou non. Elle peut, par exemple, aider à démontrer que le problème soulevé par l'environnement est un faux problème car il ne cause pas d'effets négatifs importants dans le système.

Parfois une variable critique n'est pas suffisamment "empirique" ou précise pour l'analyse des dépendances et des effets. Dans ce cas, une analyse des composantes peut aider. Inversement, les variables affectées par un changement de la variable critique peuvent être insérées dans des structures globales plus importantes. Par exemple, il est important de savoir que l'industrie immobilière d'une région est un moteur important de conjoncture et que toute diminution d'activité peut avoir des conséquences sur le reste de l'économie.

L'analyse la plus importante à ce niveau général d'opération est naturellement l'analyse des dépendances. Il est aussi clair qu'un décideur la fait d'une façon très lacunaire et même déformée puisque son image de l'environnement peut être caractérisée de la même façon. Le décideur (en tout cas selon les observations cliniques de Dörner) arrête en règle générale cette analyse quand il pense qu'il a trouvé un bon moyen de manipuler une variable critique qui pose problème grâce à une autre. On privilègie donc les explications mono-causales. Ensuite, il effectue une rapide analyse de conséquences pour estimer s'il existe des effets indésirés pour une intervention avant de transformer son plan en action. Les solutions les plus mauvaises sont en règle générale déjà filtrées automatiquement par sa perception de ce qu'il est possible de faire. La constitution, la législation et le droit international font parfois barrière dans ce sens. Donc, malgré tout, le décideur est souvent assez limité quant au choix d'actions. Cette limitation est multiple et produit des contraintes d'action et des contraintes de ressources cognitives pour sa perception de l'environnement et du problème.

A la recherche d'un problème

Dans le modèle du décideur dans l'environnement complexe de Dörner, le décideur doit activement chercher un problème. Il procède par l'analyse d'un but général qui est attaché à son rôle de décideur. Un rôle de décideur définit implicitement un certain environnement de résolution de problème. Dans la ville de Lohhausen, le but était par exemple de satisfaire tous les habitants. Un tel but n'est pas opérationnel. Dans ce cas, il doit être abordé avec une analyse de composantes et de dépendances. Les sous-buts qui en résultent doivent être ordonnés dans une hiérarchie d'importance relative qui contient au moins les sous-buts qualifiés importants. Toutefois, cette structure de connaissance n'est pas trop détaillée car la capacité humaine à mémoriser ce type de connaissances est assez limitée. Dans les expériences de Lohhausen, ces sous-buts ont varié entre sujets en fonction de leur personnalité. La même chose est sans doute vraie pour les parlementaires, ministres et autres décideurs politiques importants. Enfin, dans les expériences de Dörner (83), les besoins de base des citoyens comme la nourriture, le logement, le travail, etc. semblent avoir eu la priorité. Si une telle analyse du but général (ou le rappel d'une telle analyse déjà effectuée) ne conduit à aucun "succès", le décideur peut également chercher un problème par d'autres voies. Il peut par exemple interroger son environnement ou d'autres décideurs. Dans les expériences de Lohhausen comme dans la réalité, des problèmes importants qui surgissent peuvent interrompre à tout moment l'activité normale. Dörner a utilisé le terme de "matrice d'alarme" pour ces variables qui se font "entendre" toutes seules.

Le modèle général de Dörner (83) interprète la décision comme un phénomène intégré. Il est clair que ce modèle est un idéal-type et qu'il est difficile de séparer et de cataloguer aussi bien les activités du décideur. Toutefois, il nous offre un cadre très intéressant pour toute modélisation du décideur qui tient compte de ses limites et de son environnement. La résolution de problèmes proprement dite n'est pas très poussée dans ces travaux puisqu'il s'agit d'étudier la capacité des sujets à comprendre et à gérer un environnement complexe. Ainsi, le sujet manipule les variables par des mesures assez simples, comme allouer/retirer de l'argent, rajouter/enlever des quantités, etc. Nous allons voir dans le prochain chapitre comment l'intelligence artificielle peut suggérer la modélisation de tâches plus complexes.

L'interaction entre buts

En ce qui concerne la modélisation de la perception et la gestion d'un environnement complexe, le modèle de Dörner (qu'on a succintement présenté) est à nos yeux assez complet. La critique majeure qu'on peut lui adresser est que l'importance des conflits et de la coordination des buts et des tâches a été quelque peu négligée. En outre, ce modèle ne s'intéresse pas suffisamment aux structures de connaissances impliquées dans la résolution de problèmes proprement dite. Les recherches de Wilensky (83) à Berkeley ont conduit à un modèle de planification dans des situations de vie quotidienne. Son modèle (comme d'habitude en intelligence artificielle) est limité à la modélisation de problèmes relativement simples. Il manque de largeur, mais il va en profondeur. La notion clef de la résolution de problèmes est celle de la planification des activités. C'est pour cela que le décideur de Wilensky est appelé "planificateur". Ici, nous allons juste examiner brièvement les spécifications générales du "planificateur" selon Wilensky (83: 19-20):

  1. En mémoire, les plans sont associés avec les types de buts qu'ils peuvent résoudre.

  2. Des plans associés à un but spécifique peuvent être retrouvés dans la mémoire simplement en spécifiant le but.

  3. Le planificateur peut projeter des "futurs" plausibles et hypothétiques grâce à ses connaissances du monde et grâce à sa propre mémoire de plans.

  4. Les buts du planificateur sont inférés à partir de la situation dans laquelle il se trouve.

  5. Le planificateur est capable de détecter des interactions entre les buts.

  6. Ces interactions doivent être prises en compte dans tout processus de planification.

  7. Le planificateur peut générer et modifier des plans pour poursuivre des buts;

  8. Il peut évaluer des scénarios alternatifs

  9. et il peut abandonner des buts pour en sauvegarder d'autres.

Ces spécifications d'un planificateur "common sense" montrent l'importance du comportement téléologique coordonné pour la réussite de l'activité du décideur. Les buts sont des fractions de connaissances extrêmement efficaces pour organiser le comportement d'un décideur. Examinons la structure du processus de planification selon Wilensky (83:21): tout d'abord le planificateur se trouve dans une situation qui lui suggère d'évoquer un but. En règle générale (en tout cas pour les activités "de tous les jours" du domaine d'étude Wilensky), il existe au moins un plan pour chaque type de but et la personne n'aura pas de difficulté à le retrouver dans sa mémoire (points 1 et 2). Pour la plupart des buts quotidiens, il existe des plans simples et fiables. Autrement dit, la résolution du "problème quotidien" est simple en soi. Toutefois le plan ne peut pas être appliqué sans tenir compte d'effets secondaires possibles. Par exemple, lorsqu'on a faim, il suffit d'aller manger, mais aller manger peut rentrer en conflit avec un autre but, comme celui de rester présent sur son lieu de travail. Ce phénomène est également très présent en politique. Etant donné que le décideur est rarement obligé de connaître tous les détails d'un plan mis en action, il est relativement facile de choisir un plan, par contre il est difficile d'en estimer les effets. Toute action politique affecte un grand nombre de choses et des conflits entre des buts importants peuvent naître. Pour éviter ces conflits, le planificateur doit simuler partiellement les effets d'une éventuelle exécution de plan (points 3,4). Il s'agit d'un équivalent à l'analyse des effets de Dörner. Il doit détecter les interactions entre ses buts et en tenir compte (points 6,7) dans le processus de planification. Souvent un but poursuivi peut être affecté par d'autres plans que l'agent envisage de poursuivre. On peut faire une correspondance entre les buts du planificateur de Wilensky et l'état désiré de certaines variables de l'environnement de Dörner. Les buts actifs chez Dörner sont par exemple les "intentions", les variables critiques surveillées en permanence
*1 et les variables trouvées dans des analyses d'effets. Le planificateur doit être prêt à abandonner un plan pour protéger certains buts.

Même pour des activités simples, il est fréquent qu'il ne suffise pas de construire un bon plan d'action, encore faut-il savoir le réviser durant son exécution (point 7). En politique, la problématique se pose de façon similaire. Les circonstances qui ont conduit à l'élaboration et à l'exécution d'un plan peuvent changer, à un moment donné, d'autres problèmes deviennent plus importants, une partie du plan (un sous-plan) peut rater son objectif, etc. Evidemment, il existe de grandes différences entre les plans qui sont mis en exécution sur des longues durées (comme une politique fiscale par exemple) et des décisions portant sur un cas simple comme par exemple l'autorisation donnée par un fonctionnaire d'effectuer un certain transfert commercial. Cette instabilité inhérente à toute planification humaine a été contrôlée très rapidement dans l'évolution de nos sociétés. Par le biais du droit et de ses différents instruments et par la création d'institutions, l'Etat a su canaliser les choix d'actions possibles des acteurs et par là, diminuer les charges cognitives que l'acteur aurait dans un environnement complètement anarchique. Ce type de "programmation sociale" ne ramène pas seulement le coût moyen d'une décision à un niveau acceptable, mais elle permet d'éviter un grand nombre de conflits. Par exemple, la législation actuelle rend assez difficile la génération de décisions qui pourraient fondamentalement nuire à l'économie de marché.

Toutefois, l'existence de routines dans le politique et dans le quotidien n'empêche pas la nécessité de coordination. Wilensky (83:21), pour la planification des tâches quotidiennes va très loin:

"after a period of plan proposing and editing, a task network of proposed actions results. This task network is a highly structured description of what the planner currently intends to do, containing intended actions, goals, and so on, along with numerous relations between these plan components."

Nous ne sommes pas très d'accord avec cette description vantant la place de la planification. Il est vrai qu'une certaine structure de planification doit exister mais elle n'est pas hautement structurée dans la plupart des cas. Il est vrai, qu'un déplacement en ville ayant pour but plusieurs activités se planifie et il doit s'intégrer dans la journée. Toutefois, il nous semble qu'assez rapidement, certains objets clés sont insérés dans un agenda organisé plus ou moins linéairement et le reste est organisé plus ou moins au hasard. C'est surtout la structure de l'environnement qui impose un ordre aux activités d'un acteur. Enfin, nous sommes d'accord avec Wilensky qui postule l'existence de "réseaux de tâches à faire". C'est une conséquence du fait que plusieurs intentions d'actions doivent être coordonnées car les problèmes sont interdépendants et les ressources humaines et institutionnelles sont partagées. Mais nous postulons, qu'en politique, les plans élaborés par un décideur sont souvent très vagues et qu'ils se précisent seulement en cours d'implantation. Un plan n'est donc, dans le cas extrême, rien d'autre qu'une intention de déclencher une action et elle déclenche juste un plan précis pour cette tâche plus simple. Ainsi, quand un parlementaire perçoit un problème, il lui suffit par exemple de rédiger un postulat pour mettre en route la "machinerie" politique.

Nous avons déjà mis en avant cette fermeture progressive de la décision à plusieurs occasions au début de ce chapitre et dans les chapitres précédents. Même Wilensky (83:22) admet que l'exécution d'un réseau de tâches exige une expansion, un remplissage de détails non considérés lors de l'élaboration des plans et de leur coordination. Notre critique est donc une critique de degré et non de principe. A notre avis, ces réseaux de tâches sont moins précis et le rôle structurant de la situation d'action est beaucoup plus important que celui suggéré par Wilensky.

Opérations cognitives de base portant sur des relations
La planification de l'agenda
Le traitement des intentions
A la recherche d'un problème
L'interaction entre buts

THESE présentée par Daniel Schneider - 19 OCT 94

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