[Next] [Previous] [Up] [Top]

chapitre 2 Modèles de l'individu et de l'acteur social

2-2.4 L'homme - utilisateur de symboles


Intuitivement, beaucoup de chercheurs seraient probablement d'accord pour dire que les trois modèles idéal-typiques purs présentés (l'acteur téléologique/rationnel, l'acteur sociologique et l'acteur dramaturgique) ont leur utilité pour décrire certains aspects de l'action et de la décision individuelle. Le plus souvent en science politique, on rencontre une sorte d'acteur rationnel, surtout lorsqu'il s'agit d'études de décision, alors que les modèles sociologique et dramaturgique sont moins fréquemment utilisés. Ceci est dû au fait que le rôle du décideur politique possède sans doute une rationalité subjective (il résout consciemment des problèmes) et une rationalité objective (il existe des principes de décision acceptés). Toutefois, il ne faut pas oublier que ces rôles sont également hautement normatifs, principe qui opère plutôt de façon moins explicite. Dans la discussion du deuxième modèle de Parsons (51), nous avons donné en exemple la manière dont on pourrait intégrer la volonté qui poursuit un but et le rôle qui suit une norme. Rappelons quelques traits de ce modèle séduisant: l'action ou plutôt l'orientation de l'action, est un produit de l'interaction symboliquement médiatisée de la culture, de la société et la personnalité. L'acteur-décideur est défini comme utilisateur de symboles à la poursuite de buts idéaux et matériaux, déclenchés par des pulsions et des dispositions, mais également par des impulsions externes. La situation qui fait réagir l'acteur n'est pas un simple stimulus. A travers le filtre de la perception, elle est une construction symbolique complexe influencée de motivations et d'intérêts. Ces perceptions symboliquement construites déclenchent à leur tour un processus de résolution de problèmes complexes guidé (à nouveau) par des motivations et des intérêts qui tiennent compte des contraintes sociales et culturelles. La résolution de problèmes dans le monde social n'est pas simple. Les attentes et les recettes d'action ne sont pas toujours bien définies, mais l'environnement exige une solution et l'individu lui doit son "apparence" ou même sa position. Voilà de nouveau Goffman! La relation de l'individu avec le monde est instable et doit être gérée par toute une panoplie de savoir spécialisé.

Le but que nous nous posons est la construction de modèles représentant les mécanismes internes des décideurs. Ainsi, il nous faut maintenant examiner la relation des modèles discutés avec le langage et la pensée. Dans le modèle téléologique-rationnel, le langage n'est que le médium de l'action. Il sert à représenter et manipuler les faits. Dans le modèle sociologique et même dans les modèles de Parsons, le langage fait partie de l' ordre qu'il faut reproduire. Finalement, l'acteur dramaturgique utilise le langage comme médium d'expression. En exagérant un peu, on pourrait dire que dans ces modèles, l'acteur n'est qu'un simple utilisateur du langage. Il est incapable de réfléchir sur sa volonté, sur les normes qu'il suit ou encore sur les mécanismes qui garantissent son interaction avec l'environnement. Il est certes vrai que la plus grande partie du comportement humain se fait sans réflexion, voire dans un état semi-conscient. Toutefois, il serait exagéré de prétendre que les décisions politiques se font à l'aide de recettes internalisées. Prenons l'exemple d'une simple action stratégique. S'il faut réfléchir sur ce que pense l'opposant, on tombe vite dans une spirale qui amène vers une action réflexive. Le fait que nous ayons très souvent affaire à l'action non-réflexive ne cautionne pas les modèles d'action non-réflexifs. Cela justifie seulement l'emploi de modèles limités à des fins bien précises. Mieux vaut partir avec une théorie générale et correcte qui pourra ensuite être réduite pour les besoins d'une analyse empirique déterminée.

Le modèle interactionniste qu'on peut relier à des traditions de recherche aussi différentes que l'interactionnisme symbolique (Mead 34, 38, 64. 82) et la philosophie pragmatique du langage (Wittgenstein 53), Austin 56, Searle 69) nous donne quelques indications sur le sens vers lequel nous devons nous orienter. Le langage ainsi que les autres systèmes symboliques gagnent de l'importance, le concept de l'action est presque remplacé par celui de l'interaction symbolique. Dans la vision un peu idéaliste de Habermas, le langage devient un médium pleinement développé pour la pensée et la communication. Un acteur pense et parle sur le monde objectif (faits), sur le monde social (normes) et sur le monde subjectif (expression de la personne). Ce modèle insiste également sur l'importance de l'interaction et de la communication: l'ego et l'acteur vivent dans un monde de vie (all. "Lebenswelt") commun, dont les actes de parole contiennent à la fois un contenu propositionnel, des offres interpersonnelles et une exposition d'intentions; les principes de décision (rationalité), les normes sociales et les mécanismes interpersonnels agissent souvent très directement comme principes pilotes de l'action ou comme contraintes de l'action à respecter. Néanmoins, un modèle idéal devrait tenir compte de la capacité humaine de révision et d'apprentissage ( qui précède l'action pleinement réflexive). Ces mécanismes ne fonctionnent que si l'on donne à l'acteur la capacité de traiter des symboles. Aussi, nous définissons le décideur individuel comme système intentionnel qui possède un pouvoir symbolique et réflexif et qui dépend d'interactions sociales et, par là, d'ordres symboliques internalisés ou représentés de manière interne. En conclusion, nous retrouvons notre système de traitement d'information auto-organisateur. Il perd néanmoins de son autonomie et un peu de sa rationlité.


THESE présentée par Daniel Schneider - 19 OCT 94
[Next] [Previous] [Up] [Top]

Generated with WebMaker