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chapitre 9 Conclusion

9-2.4 La modélisation de constructions théoriques


L'objet d'une modélisation peut être une théorie politique. Au lieu de l'exprimer verbalement comme c'est souvent le cas en science politique, on peut construire des modèles comme l'ont fait David Sylvan et Glassner (85) pour certaines théories rationalistes du politique. L'avantage de ce type de modélisation est selon les auteurs (Sylvan et Glassner 85:151) "... [to be] able to proceed with their analysis in a rigourous, replicable fashion, taking advantage of the power of formal languages to explore connections, derive new hypotheses, and develop a more systematic understanding of related empirical phenomena".

Une théorie rationaliste comme celle de Simmel peut être modélisée en termes de combinaisons et de transformations d'éléments (Sylvan et Glassner 85:108). Dans le cas le plus simple, la combinaison est une opération intellectuelle qui associe à un concept (par exemple "bureaucratie") un certain nombre d'autres termes (par exemple "organisation hiérarchique", "distribution interne d'autorité", etc.). En utilisant des grammaires génératives ou des propositions logiques, on peut exprimer des constructions plus complexes. Une transformation est une opération qui consiste à substituer des éléments dans une expression. Dans ce contexte, une transformation sert à décrire par exemple les lois de l'évolution sociale. Autrement dit, le modéliseur doit extraire des grammaires (par exemple des jeux de règles) qui définissent les transformations possibles. Les problèmes techniques pour modéliser combinaisons et transformations sont assez semblables. Pour leur modélisation de la théorie de Simmel, les auteurs utilisent par exemple des éléments de la théorie des ensembles et de la logique.

Modéliser des théories politiques et sociales avec un formalisme informatique est une approche intéressante. Au-delà du fait qu'on rend explicite une construction intellectuelle et qu'on teste sa conhérence interne, la modélisation a le mérite d'aller au-delà d'une simple formalisation. Exprimé sous forme d'expressions logiques, un modèle permet en principe d'effectuer de nouvelles déductions qui ne se retrouvent pas dans le texte. Toutefois, le cas de Simmel montre que ce n'est pas simple. L'auteur utilise très peu de synonymes et de liens entre ses propositions (Sylvan et Glassner 85: 149). Il s'agit là d'une faiblesse que l'on retrouve dans beaucoup de théories structuralistes (l'ensemble n'est guère plus que la somme des parties). Dans ce cas, le modéliseur peut rajouter ces éléments "systémiques" à la modélisation, mais il s'agirait d'une extension à la théorie. Dans ce sens, le modèle informatique deviendrait le point de départ pour une entreprise de perfectionnement théorique.

Ainsi on rajoute une nouvelle dimension à la fonction de communication des modèles IA. Non seulement, ils nous permettent de dialoguer sur un sujet empirique de façon explicite et détaillée, mais (potentiellement) également sur l'ensemble des constructions théoriques. La stratégie épistémologique choisie par Majeski et David Sylvan (93) pour analyser les décisions est la même (cf. 4-5.4 "La modélisation de relations constitutives en politique" [p. 161]). Ils considèrent les expressions verbales des décideurs comme des théories sur des phénomènes réels. Pour chaque phénomène référencé il peut exister plusieurs mondes (théories) construits qui mettent en évidence d'autres objets et d'autres relations. Leurs analyses empiriques portent sur la composition de ces théories "naives" et sur leur mise en relation. Par exemple, comment un décideur construit une recommendation d'action à partir d'une description de la situation, de buts, de moyens d'action à disposition et de missions à remplir. On ne se pose pas la question de savoir comment une situation cause une autre, mais comment les acteurs dans une culture assemblent les choses. Cette perspective de "comment on construit le monde" est une démarche anthropologique. La question du modéliseur commence par "comment" et non pas "pourquoi". Ce "comment" laisse la place à des alternatives. Une culture de décision se définit donc en quelque sorte par un ensemble de recettes possibles qui s'appliquent à un ensemble de interprétations possibles de situations, dont une est dominante à un certain moment donné de l'histoire.

La modélisation cognitiviste de la décision implique une causalité, on explique la décision en attribuant certaines structures de connaissances au décideur. Les analyses de Sylvan et Majeski sur les relations constitutives dégagent un "langage" utilisé par un groupe de décideurs pour parler d'un domaine et pour formuler des décisions. Essentiellement ils tentent de reconstruire une "culture". Sur un premier plan, il s'agit d'ici de deux approches incompatibles. Toutefois, rien n'empêche le modéliseur "cognitiviste" de reprendre les relations constitutives dominantes dans un domaine observé et de les interpréter comme des règles causales.


THESE présentée par Daniel Schneider - 19 OCT 94
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