Staf 11 - période3 - groupe 1 - rédaction de F. Dubouchet

 

  1. En quoi un hypertexte est-il plus ou moins approprié qu'un texte linéaire pour permettre à l'apprenant de se construire un modèle mental du contenu du texte ?

 

Si on considère un texte traditionnel, son organisation correspond à un "lecteur moyen", et ne tient pas compte des facteurs individuels (connaissances initiales des lecteurs par exemple.). Certaines aides existent parfois pour des textes complexes, comme des notes en bas de page et des glossaires mais leur consultation demande un effort supplémentaire que peu de lecteurs font et qui de toute façon perturbe le cours normal de la lecture. En ce sens, les liens hypertextes pourraient améliorer l'adaptation du texte au lecteur en minimisant l'effort nécessaire pour accéder aux informations utiles. Dans ce cas un hypertexte peut donc être plus approprié pour comprendre un texte qu'un texte imprimé, cependant, il n'apporte que des informations supplémentaires sans changer la structure linéaire du texte.

Je pense que la question posée, en qualifiant spécifiquement un texte de linéaire ne se réfère pas vraiment à ce type d'hypertextes mais ceux-ci étant très fréquemment utilisés, notamment dans les encyclopédies, il convenait tout de même de les signaler. En opposant texte linéaire à hypertexte, la question fait référence à la caractéristique de non-linéarité des hypertextes comme le met en évidence la définition de Jean-François ROUET :

"Les systèmes hypertextes sont des logiciels permettant une présentation "non-linéaire" de l'information, par l'intermédiaire de l'ordinateur. Par opposition aux textes imprimés, qui possèdent une structure "linéaire", les hypertextes permettent au lecteur de naviguer dans l'information plus ou moins librement, en fonction de ses besoins et intérêts."

Thèse de doctorat en sciences cognitives, 1994.

Dès lors pour répondre à la question, il faut se demander quels sont les avantages que peuvent présenter cette structure en réseau pour la compréhension et l'apprentissage. La question en utilisant le terme "d'apprenant" et non seulement de lecteur, induit une vision plus large que la simple compréhension du texte selon le modèle proposé par Kintch et Van Dijk (Kintch, 1988, Kintch et Van Dijk, 1978, Van Dijk et Kintch, 1983).

Avantages supposésdes hypertextes

En premier lieu, la structure non linéaire d'un hypertexte et son système de navigation flexible donne la possibilité de laisser aux apprenants le choix de leur propre parcours d'apprentissage.

A cela il convient d'ajouter que, d'après Rouet, les système hypermedias matérialisent des relations sémantiques entre les documents individuels qui font généralement partie des connaissances à acquérir.

On peut supposer aussi que le passage d'une unité d'information à une autre permet à l'esprit de générer des hypothèses, validées ou non par la suite, favorables à l'apprentissage et comme le souligne Spiro et ses collègues (Spiro, Feltovich& Coulson, 1991) dans la Théorie de la Flexibilité cognitive, les hypertextes qui associent des informations de différents types permettent les recoupements et les changements de perspectives. Selon ces auteurs, pour construire des connaissances approfondies et flexibles, l'étudiants doit se trouver exposé plusieurs fois aux mêmes "situations" d'apprentissage (textes, illustrations, études de cas, problèmes à résoudre) mais selon des perspectives différentes. Les hypertextes seraient donc selon eux des outils appropriés puisqu'ils permettent de restructurer les informations à l'infini.

On peut ajouter encore que le parcours personnels qu'effectue l'apprenant dans le réseau de connaissances que représente un hypertexte va favoriser la construction d'une carte mentale lui permettant la structuration des connaissances et par la même favoriser la construction d'un modèle mental du contenu du texte. En outre, la lecture d'hypertextes encourage également un traitement relationnel profond du fait des décisions de navigation que l'utilisateur doit prendre que n'induisent généralement pas la lecture de textes traditionnels et qui serait bénéfique pour la mémorisation de textes /Wenger et Payne (1996).

Ces caractéristiques permettraient donc de supposer que les hypertextes offrent de grandes possibilités d'utilisations dans l'optique d'un modèle constructiviste en modifiant profon-dément la relation pédagogique triangulaire classique enseignant, apprenant, savoir, laissant par là même à l'apprenant la possibilité de construire ses connaissances.

Tous ces arguments convergent à démontrer qu'un hypertexte grâce à sa structure non linéaire est plus approprié qu'un texte linéaire pour permettre à l'apprenant de se construire un modèle mental du contenu de celui-ci .

En fait, tout converge à démontrer " théoriquement" la supériorité des hypertextes sur des textes linéaires pour la compréhension et l'apprentissage mais des études ont prouvé que ce n'était pas si simple et comme le souligne J-F. Rouet "il ne suffit pas que la technologie offre des possibilités nouvelles et intéressantes, encore faut-il que ces possibilités soient pertinentes par rapport aux besoins des usagers."

Sans entrer dans les détails, on peut dire que les recherches montrent que les systèmes hypertextes sont des outils complexes, difficiles à utiliser, et sources de nombreux problèmes cognitifs: désorientations, noyades dans l'information, surcharge cognitive (Edward & Hardmann, 1989).

Une étude intéressante sur de jeunes élèves (Shin, Schallert, Savenye, 1994) résume assez bien les conclusions de la plupart recherches sur des sujets plus âgés :

On est donc bien loin des objectifs constructivistes…

Cela montrent bien également que pour comprendre, un lecteur s'appuie sur ses connaissances préalables, dans ce cas sur les connaissances de la matière et dans le cas d' un lecteur "moyen" sur sa connaissance des structures textuelles standardisées des textes imprimés. On peut dire que si le lecteur possède déjà une connaissance préalable de la matière et s'il a déjà intégré les nouveaux modes de repérage et d'organisation propres aux hypertextes dans son répertoire des stratégies de lecture, alors un hypertexte est plus approprié qu'un texte linéaire pour lui permettre de se construire un modèle mental du contenu du texte. Mais les études montrent que ces conditions sont très rarement réunis chez la plupart des lecteurs et encore moins chez les adolescents. L'article de J-F Rouet montre aussi que, pour l'instant, la lisibilité des hypertextes et donc leur efficacité dépend du respect des règles qui prévalent pour la compréhension des textes classiques, à savoir une structure rhétorique claire, signalée par des marqueurs facilement identifiables par l'utilisateur et une grande cohérence interne.

Faut-il alors conclure que loin d'être appropriés, les hypertextes pourraient au mieux ne rien apporter et au pire avoir des effets négatifs en accroissant l'écart entre les "bons" élèves déjà expérimentés et les "mauvais", entre ceux qui sont familiarisés depuis l'enfance aux hypermédias (et c'est souvent les mêmes que les bons) et ceux qui n'en ont pas eu accès en augmentant encore les différences de chances entre classes socio-culturelles (sans oublier l'écart qui peut se creuser entre les générations). Ce risque existe bel et bien, mais faut-il jeter le bébé avec l'eau du bain ? Doit-on rejeter un outil parce qu'on ne sait pas s'en servir ? Pour ma part, je pense que dans une optique socio-constructiviste, les hypertextes offrent de grandes possibilités et peuvent se montrer plus appropriés que des textes linéaires à la compréhension et surtout à l'appropriation des connaissances. De plus, du fait de l'intense activité cognitive que leur utilisation suppose, ils peuvent également permettre de lutter contre la passivité intellectuelle qui caractérise tant les élèves ayant connu des échecs scolaires, mais pour cela, il faut, comme le souligne Rouet qu'il y ait "compatibilité cognitive" entre les apprenants et le système et donc connaître mieux les activités cognitives mis en œuvre lors de l'utilisation de ces systèmes. Je pense en tant qu'enseignante que nous devons utiliser ces outils car à long terme, je suis persuadée qu'ils porteront leur fruit, mais il faut les utiliser prudemment et surtout progressivement en tenant compte des capacités cognitives et des systèmes de références de nos élèves. L'expérience montre que les systèmes hypertextes sont des outils complexes et difficiles à utiliser, nous devons donc avoir la sagesse de préparer nos élèves à élargir peu à peu leurs systèmes de références en nous appuyant sur ceux qu'ils possèdent déjà et les entraîner à développer les capacités cognitives qu'ils mettent en œuvre (pour autant qu'on les connaissent, et c'est là, le rôle des chercheurs). Pour cela, nous devons faire preuve de pragmatisme et ne pas chercher à tout prix, tout de suite, le contrôle total par l'apprenant d'un système complexe en réseau, il faut peut-être provisoirement mettre en veilleuse nos idéaux constructivistes en n'ayant pas peur de guider nos élèves au début de leur apprentissage. En général, les expériences indiquent que la performance des utilisateurs évolue positivement avec la pratique du système, c'est donc à nous, enseignants, de permettre aux élèves de se familiariser progressivement avec ces nouveaux outils afin qu'ils puissent se faire une représentation cohérente de leur fonctionnement. En leur offrant la possibilité d' utiliser des systèmes de plus en plus complexes et en augmentant peu à peu le contrôle des élèves sur leur parcours d'apprentissage, on peut espérer que les hypertextes pourront effectivement être plus appropriés que les textes linéaires pour la construction des modèles mentaux.

 

 

Bibliographie:

Jean-François Rouet (1999) Interactivité et comptabilité cognitive dans les systèmes hypermédias. Revue des sciences de l'éducation, Vol. XXV, 1, pp. 87 à 104

Jean-François Rouet (1999) Technologies de l'information et Cognition Humaine : vers une Science des Usages?

Shin E.C.,Schallert D.L,Savenye W.C Effect of learner control, advisement, and prior knowledge on young students'learning in a hypertext environment, Educational Technology Research & Development (ETR&D), vol. 42, No 1,1994.