Staf 11
Celestin Freinet | Sara Tassini |
Paul Dourish | Alain Chassot |
Walter Kintsch | |
Saint Thomas | Francoise Dubouchet |
1. En quoi un hypertexte est-il plus ou
moins approprié qu'un texte linéaire pour permettre à l'apprenant
de se construire un modèle mental du contenu du texte ?
Si on considère un texte traditionnel, son organisation correspond à un "lecteur moyen", et ne tient pas compte des facteurs individuels (connaissances initiales des lecteurs par exemple.). Certaines aides existent parfois pour des textes complexes, comme des notes en bas de page et des glossaires mais leur consultation demande un effort supplémentaire que peu de lecteurs font et qui de toute façon perturbe le cours normal de la lecture. En ce sens, les liens hypertextes pourraient améliorer l'adaptation du texte au lecteur en minimisant l'effort nécessaire pour accéder aux informations utiles. Dans ce cas un hypertexte peut donc être plus approprié pour comprendre un texte qu'un texte imprimé, cependant, il n'apporte que des informations supplémentaires sans changer la structure linéaire du texte.
Je
pense que la question posée, en qualifiant spécifiquement un texte
de linéaire ne se réfère pas vraiment à ce type
d'hypertextes mais ceux-ci étant très fréquemment utilisés,
notamment dans les encyclopédies, il convenait tout de même de
les signaler. En opposant texte linéaire à hypertexte, la question
fait référence à la caractéristique de non-linéarité
des hypertextes comme le met en évidence la définition de Jean-François
ROUET :
"Les systèmes hypertextes sont des logiciels permettant une présentation
"non-linéaire" de l'information, par l'intermédiaire
de l'ordinateur. Par opposition aux textes imprimés, qui possèdent
une structure "linéaire", les hypertextes permettent au lecteur
de naviguer dans l'information plus ou moins librement, en fonction de ses besoins
et intérêts."
Thèse de doctorat en sciences cognitives, 1994.
Dès lors pour répondre à la question, il faut se demander quels sont les avantages que peuvent présenter cette structure en réseau pour la compréhension et l'apprentissage. La question en utilisant le terme "d'apprenant" et non seulement de lecteur, induit une vision plus large que la simple compréhension du texte selon le modèle proposé par Kintch et Van Dijk (Kintch, 1988, Kintch et Van Dijk, 1978, Van Dijk et Kintch, 1983).
Avantages
supposés des hypertextes
En premier lieu, la structure non linéaire d'un hypertexte et son système
de navigation flexible donne la possibilité de laisser aux apprenants
le choix de leur propre parcours d'apprentissage.
A cela il convient d'ajouter que, d'après Rouet, les système hypermedias
matérialisent des relations sémantiques entre les documents individuels
qui font généralement partie des connaissances à acquérir.
On peut supposer aussi que le passage d'une unité d'information à
une autre permet à l'esprit de générer des hypothèses,
validées ou non par la suite, favorables à l'apprentissage et
comme le souligne Spiro et ses collègues (Spiro, Feltovich& Coulson,
1991) dans la Théorie de la Flexibilité cognitive, les hypertextes
qui associent des informations de différents types permettent les recoupements
et les changements de perspectives. Selon ces auteurs, pour construire des connaissances
approfondies et flexibles, l'étudiants doit se trouver exposé
plusieurs fois aux mêmes "situations" d'apprentissage (textes,
illustrations, études de cas, problèmes à résoudre)
mais selon des perspectives différentes. Les hypertextes seraient donc
selon eux des outils appropriés puisqu'ils permettent de restructurer
les informations à l'infini.
On peut ajouter encore que le parcours personnels qu'effectue l'apprenant dans
le réseau de connaissances que représente un hypertexte va favoriser
la construction d'une carte mentale lui permettant la structuration des connaissances
et par la même favoriser la construction d'un modèle mental du
contenu du texte. En outre, la lecture d'hypertextes encourage également
un traitement relationnel profond du fait des décisions de navigation
que l'utilisateur doit prendre que n'induisent généralement pas
la lecture de textes traditionnels et qui serait bénéfique pour
la mémorisation de textes /Wenger et Payne (1996).
Ces
caractéristiques permettraient donc de supposer que les hypertextes offrent
de grandes possibilités d'utilisations dans l'optique d'un modèle
constructiviste en modifiant profondément la relation pédagogique
triangulaire classique enseignant, apprenant, savoir, laissant par là
même à l'apprenant la possibilité de construire ses connaissances.
Tous ces arguments convergent à démontrer qu'un hypertexte grâce
à sa structure non linéaire est plus approprié qu'un texte
linéaire pour permettre à l'apprenant de se construire un modèle
mental du contenu de celui-ci .
En fait, tout converge à démontrer " théoriquement"
la supériorité des hypertextes sur des textes linéaires
pour la compréhension et l'apprentissage mais des études ont prouvé
que ce n'était pas si simple et comme le souligne J-F. Rouet "il
ne suffit pas que la technologie offre des possibilités nouvelles et
intéressantes, encore faut-il que ces possibilités soient pertinentes
par rapport aux besoins des usagers."
Sans
entrer dans les détails, on peut dire que les recherches montrent que
les systèmes hypertextes sont des outils complexes, difficiles à
utiliser, et sources de nombreux problèmes cognitifs: désorientations,
noyades dans l'information, surcharge cognitive (Edward & Hardmann, 1989).
Une étude intéressante sur de jeunes élèves (Shin,
Schallert, Savenye, 1994) résume assez bien les conclusions de la plupart
recherches sur des sujets plus âgés :
" En ce qui concerne l'achèvement d'une tâche, l'apprentissage
et sa rapidité, une structure hiérarchique convient mieux aux
jeunes élèves ayant peu de connaissances préalables du
contenu; à ceux pour lesquels le domaine est plus familier profitera
davantage une structure en réseau assortie d'un guidage.
" Le guidage est nécessaire en structure de réseau pour éviter
la désorientation; il est superflu en structure hiérarchique.
Cela montrent bien que pour comprendre, un lecteur s'appuie sur ses connaissances préalables, dans ce cas sur les connaissances de la matière et dans le cas d' un lecteur "moyen" sur sa connaissance des structures textuelles standardisées des textes imprimés. On peut dire que si le lecteur possède déjà une connaissance préalable de la matière et s'il a déjà intégré les nouveaux modes de repérage et d'organisation propres aux hypertextes dans son répertoire des stratégies de lecture, alors un hypertexte est plus approprié qu'un texte linéaire pour lui permettre de se construire un modèle mental du contenu du texte. Mais les études montrent que ces conditions sont très rarement réunis chez la plupart des lecteurs et encore moins chez les adolescents. L'article de J-F Rouet montre aussi que, pour l'instant, la lisibilité des hypertextes et donc leur efficacité dépend du respect des règles qui prévalent pour la compréhension des textes classiques, à savoir une structure rhétorique claire, signalée par des marqueurs facilement identifiables par l'utilisateur et une grande cohérence interne.
Faut-il
alors conclure que loin d'être appropriés, les hypertextes pourraient
au mieux ne rien apporter et au pire avoir des effets négatifs en accroissant
l'écart entre les "bons" élèves déjà
expérimentés et les "mauvais", entre ceux qui sont familiarisés
depuis l'enfance aux hypermédias (et c'est souvent les mêmes que
les bons) et ceux qui n'en ont pas eu accès en augmentant encore les
différences de chances entre classes socio-culturelles (sans oublier
l'écart qui peut se creuser entre les générations). Ce
risque existe bel et bien, mais faut-il jeter le bébé avec l'eau
du bain ? Doit-on rejeter un outil parce qu'on ne sait pas s'en servir ? Pour
ma part, je pense que dans une optique socio-constructiviste, les hypertextes
offrent de grandes possibilités et peuvent se montrer plus appropriés
que des textes linéaires à la compréhension et surtout
à l'appropriation des connaissances. De plus, du fait de l'intense activité
cognitive que leur utilisation suppose, ils peuvent également permettre
de lutter contre la passivité intellectuelle qui caractérise tant
les élèves ayant connu des échecs scolaires, mais pour
cela, il faut, comme le souligne Rouet qu'il y ait "compatibilité
cognitive" entre les apprenants et le système et donc connaître
mieux les activités cognitives mis en uvre lors de l'utilisation
de ces systèmes. Je pense en tant qu'enseignante que nous devons utiliser
ces outils car à long terme, je suis persuadée qu'ils porteront
leur fruit, mais il faut les utiliser prudemment et surtout progressivement
en tenant compte des capacités cognitives et des systèmes de références
de nos élèves. L'expérience montre que les systèmes
hypertextes sont des outils complexes et difficiles à utiliser, nous
devons donc avoir la sagesse de préparer nos élèves à
élargir peu à peu leurs systèmes de références
en nous appuyant sur ceux qu'ils possèdent déjà et les
entraîner à développer les capacités cognitives qu'ils
mettent en uvre (pour autant qu'on les connaissent, et c'est là
le rôle des chercheurs). Pour cela, nous devons faire preuve de pragmatisme
et ne pas chercher à tout prix, tout de suite, le contrôle total
par l'apprenant d'un système complexe en réseau, il faut peut-être
provisoirement mettre en veilleuse nos idéaux constructivistes en n'ayant
pas peur de guider nos élèves au début de leur apprentissage.
En général, les expériences indiquent que la performance
des utilisateurs évolue positivement avec la pratique du système,
c'est donc à nous, enseignants, de permettre aux élèves
de se familiariser progressivement avec ces nouveaux outils afin qu'ils puissent
se faire une représentation cohérente de leur fonctionnement.
En leur offrant la possibilité d' utiliser des systèmes de plus
en plus complexes et en augmentant peu à peu le contrôle des élèves
sur leur parcours d'apprentissage, on peut espérer que les hypertextes
pourront effectivement être plus appropriés que les textes linéaires
pour la construction des modèles mentaux.
2. Quels sont les modèles pédagogiques
qui peuvent être mis en oeuvre à travers l'utilisation ou la construction
d'un hypertexte ?
Un
exemple très représentatif de modèle pédagogique
qui peut être mise en oeuvre à travers la construction d'un hypertexte
est le " Project based learning " ou le projet qui se base sur l'apprentissage,
conçu par Celestin Freinet dans les années 20-30 du siècle
dernier. Le " project based learning " est un modèle d'apprentissage
et d'enseignement, il sollicite les apprenants à résoudre des
problèmes ou d'autres devoirs concrets ; le travail des élèves
est soit autonome, soit par groupes. La construction des connaissances se fait
surtout par les activités liées à la résolution
des problèmes du projet. Les questions traitées sont concrètes
et réelles. Il ne suffit donc pas de faire travailler les élèves.
Il faut leur donner le temps d'apprendre et leur apporter l'aide qui leur permettra
de s'investir davantage.
L'essor de la psychologie cognitive, celui de la pensée systémique
et l'influence croissante d'un courant pédagogique personnaliste ou humaniste
déjà perceptible chez Freinet, ont renouvelé la problématique
de la pédagogie de maîtrise. On cherche moins, aujourd'hui, chez
les continuateurs du projet, à définir des actions de remédiation
qu'à construire au préalable un contexte d'apprentissage auto-porteur.
L'aide apportée à l'élève s'oriente vers la conscience
d'apprendre et vers l'autonomie de l'élève, celle-ci devant principalement
être prise au sens intellectuel. La pédagogie de maîtrise
prend aujourd'hui en compte le système-classe - au sens systémique
-, joue sur l'organisation du temps et des apprentissages pour susciter entre
pairs des échanges finalisés, car on est là pour apprendre.
C'est donc une pédagogie essentiellement interactive, qui ne peut se
satisfaire d'échanges purement affectifs et entend s'inscrire dans la
durée pour accorder à l'élève tout le temps dont
il a besoin pour apprendre, mais aussi, pour prévenir certaines dérives,
toutes les aides qui lui permettront d'appendre plus vite. La volonté
de maîtriser les apprentissages la conduit par ailleurs à utiliser
les échanges interactifs comme support au projet d'apprentissage de l'élève,
qui fait chaque jour le point sur ses avancées et sur ses manques lors
d'un moment capital de BILAN. La voie ouverte par FREINET est là encore
respectée, bien que parfois infléchie pour prendre en compte les
contrainte propres de l'étayage par apprentissage vicariant.
Les activités des étudiants consistent à rechercher du
matériel, prendre des décisions, partager le travail au sein du
groupe, gérer le temps, résoudre de problèmes, présenter
le produit final
alors on peu imaginer de donner comme tâche à
un classe : créer des hypertextes sur un sujet à choix.
Le socio-constructivisme est alors un modèle qui peut aussi être mis en oeuvre dans les hypertextes, même si a priori ceux-ci semblent ne guère s'y prêter. Le concept de navigation sociale est ici très important. Dourish a d'ailleurs insisté sur la dimension sociale de l'espace virtuel : pour qu'il y ait interaction sociale, seule garante de la confrontation d'idée qui devrait être bénéfique à l'apprentissage individuel, il n'est pas judicieux de laisser l'élève seul face à l'ordinateur sans qu'il ne soit confronté à l'altérité. Une solution consisterait ainsi à le sortir en quelque sorte de son cocon en l'informant des choix de navigation, par exemple, effectués par les autres utilisateurs. Ce choix de créer un esprit communautaire se révélerait très profitable à l'individu (postulat du socio-constructivisme).
Ted
Nelson est philosophe de formation. C'est lui qui a inventé, dans le
milieu des années soixante, les mots "hypertexte" et "hypermédia"
pour désigner de nouveaux médias utilisant la puissance informatique
de l'ordinateur.
Pour lui, la principale et la plus importante des caractéristiques de
l'hypertexte est sa non-linéarité. Lorsqu'un utilisateur écrit
ou lit un hypertexte, il n'est pas contraint par la linéarité
de son support. Au contraire du livre, que l'on écrit et que l'on lit
page après page, l'hypertexte est un ensemble de "pages" que
l'on peut "feuilleter" d'une multitude de façons possibles.
Libéré des contraintes liées au support papier, l'hypertexte
rend alors possible, l'émergence de nouvelles modalités d'écriture
et de lecture.
L'hypertexte est une procédure informatique qui permet de relier un mot,
un paragraphe, un icône ou une image à autre mot, un autre paragraphe,
une autre icône ou une autre image. Cette procédure donne à
l'utilisateur la possibilité de choisir son cheminement à l'intérieur
d'un document. En cliquant à l'aide de sa souris sur le mot ou l'icône
qui l'intéresse, l'utilisateur est immédiatement dirigé
vers la partie du document qui s'y rattache. Il se construit donc son propre
parcours de lecture en fonction de ses préoccupations et de ses intérêts.
L'hypertexte est par conséquent un document virtuel - qui n'est jamais
globalement perceptible - dont l'actualisation d'une des potentialités
est conditionné par l'effectivité de la lecture. Cette propriété
de l'hypertexte en fait un document "interactif" dans lequel le lecteur
tient une place prépondérante.
Liée à son interactivité, la non-linéarité
de l'hypertexte est, elle aussi, une propriété essentielle de
l'hypertextualité.
Au contraire de la majeure partie des autres types de documents, l'hypertexte
peut s'écrire et se lire de manière non-linéaire. Lorsque
vous lisez un livre, vous le lisez (en principe) en commençant par le
début, puis page par page, ligne par ligne, jusqu'à la fin...
L'écriture et la lecture d'un hypertexte ne s'effectuent pas de la même
manière ; elles procèdent plutôt par sauts d'un fragment
à un autre, par ajouts et retraits de noeuds et de liens, par constructions
et déconstructions de réseaux et d'unités d'information.
L'intérêt de l'hypertexte pour la pédagogie n'est pas si
évident qu'on pourrait le croire. En effet, bien que ce système
soit de plus en plus employé dans des programmes d'Education Assistée
par Ordinateur (EAO), certains hésitent encore à l'utiliser. La
principale raison est strictement pédagogique : la structure très
souple de l'hypertexte et les modalités de lecture que cette structure
induit sont contraires à certains principes pédagogiques.
L'hypertexte ne risque-t-il pas de transmettre aux apprenants des connaissances
non suffisamment structurées, pour ne pas dire anarchiques ?
Ainsi, il existe des projets de recherche dans lesquels on tente de concevoir
des hypertextes intelligents capables de se créer un modèle de
leur utilisateur et donc d'interagir avec lui en conséquence
L'hypertexte est de plus en plus utilisé dans des programmes d'éducation
Assistée par Ordinateur (EAO). Cependant, cette utilisation ne va pas
sans poser certains problèmes. En effet, l'hypertexte risque d'introduire
quelques changements dans la manière dont on se représente l'enseignement,
l'enseignant, le but de l'éducation, voire l'école elle-même.
Ainsi, le rôle du professeur est-il à redéfinir. Jusqu'à
aujourd'hui, l'enseignant était destiné à transmettre des
connaissances et à s'assurer que ces connaissances étaient bien
acquises. Avec l'hypertexte, l'acquisition de connaissances devient moins importante
pour l'élève que sa capacité à savoir les rechercher,
les classer, les ordonner et les relier les unes aux autres. Le rôle de
l'enseignant est alors moins de transmettre des connaissances que de faire acquérir
à l'apprenant cette capacité à rechercher et à organiser
des informations. Il doit montrer comment se servir de toutes les possibilités
offertes par l'hypertexte et enseigner comment interagir intelligemment avec
lui.
Les modalités du travail scolaire évoluent également. Landow,
qui mène depuis 1986 à l'IRIS (Institute for Research and Information
in Scholarship ; Brown University) des expériences scolaires avec des
hypertextes, explique dans son livre combien les étudiants sont motivés
et intéressés par ce nouveau type d'enseignement. Professeur de
Lettres, il nous montre l'utilité de l'hypertexte dans l'enseignement
de la littérature : sur un gros système hypermédia, Landow
crée un hypertexte sur un sujet donné. Le rôle des étudiants
est alors de créer d'autres noeuds et d'autres liens sur ceux conçus
par leur professeur. L'intérêt de l'hypertexte est multiple : il
permet d'expliciter les différents sens possibles d'un même texte
; de manifester les correspondances entre ce texte et les autres textes d'un
même auteur ou d'une même époque ; d'exposer le contexte
culturel, social, politique et religieux de ce texte, etc.
En outre, l'hypertexte étant partagé par les autres professeurs
d'une même classe, rien n'empêche les étudiants (et les profs)
de créer des liens entre des cours différents mais dont les thèmes
abordés se recouvrent. Enfin, l'hypertexte favorise le travail collaboratif
: les élèves s'échangent leurs informations, construisent
ensemble un même hypertexte, utilisent les informations laissées
par leurs prédécesseurs, le temps scolaire est gérer de
manière totalement différente : les étudiants ne sont pas
obligés de s'en tenir au programme.
Dans un enseignement dont le principal support est l'hypertexte, le professeur
est davantage un animateur qu'une personne qui sait en face d'autres personnes
qui ne savent pas. A l'inverse, les étudiants sont plus actifs, plus
responsables et plus engagés dans leurs études. Les modalités
du travail ne sont plus les mêmes : le travail est davantage collaboratif,
responsable et créatif.
L'une des principales propriétés de l'hypertexte est qu'il est
interactif : entre le document et son utilisateur s'installe un rapport qui
n'est pas unilatéral mais symétrique. Pour le dire autrement,
la communication n'est pas à sens unique mais à double sens. A
l'inverse du texte, il existe une véritable inter-action entre l'hypertexte
et son lecteur. Ce dernier peut, par exemple, se créer son propre cheminement
dans le document, il peut choisir de ne pas lire ou regarder telle partie, il
peut aller directement à l'essentiel ou ne pas approfondir tel ou tel
aspect. La lecture d'un hyperdocument est à géométrie variable,
elle est fonction des intérêts du lecteur, de ce qu'il connaît
déjà et/ou de ce qu'il veut apprendre.
Ce sont les réquisits supposés de la lecture et de la compréhension
qui déterminent la manière de programmer efficacement un hypertexte
(D'où l'intérêt, pour la conception de systèmes hypertextes,
des recherches de la psychologie cognitive sur les processus de la lecture...).
La pédagogie de maîtrise cherche à redéfinir les
rôles respectifs du maître et de l'élève dans une
perspective ergonomique qui donne légitimement sa place au confort des
acteurs du système, élèves et enseignants, voire au plaisir
d'enseigner et au "bonheur d'apprendre", car une réforme de
l'enseignement ne peut réussir que si les acteurs du système,
maîtres et élèves, y trouvent leur compte. Pour le maître,
le sentiment d'exercer un métier plus gratifiant, grâce à
une meilleure réussite de ses élèves. Pour l'élève,
celui de se persuader très vite que toutes les notions du programme,
conformément au vu du législateur mais grâce à
un "emploi du temps" qui devra prendra quelques libertés avec
les textes, lui sont désormais accessibles.
Motiver l'enfant et lui permettre de s'investir dans ses apprentissages était
paradoxalement un problème de gestion du temps scolaire ! Ce que FREINET
avait également pressenti.
*
3. Dans une pédagogie constructiviste,
reste-t-il une place pour une transmission directe des connaissances sous forme
d'hypertexte ?
Nous avons souligné
plus haut que les hypertextes proposent des ouvertures très intéressantes
dans l'optique d'un modèle pédagogique constructiviste, en laissant
à l'apprenant la possibilité de construire ses connaissances.
Nous n'insisterons pas sur la distinction entre hypertexte linéaire et
non linéaire, puisque dans les deux cas l'élève peut utiliser,
à des degrés certes divers, l'information contenue dans l'hypertexte
pour la confronter à son propre savoir et re-construire un modèle
"personnel" qu'il s'approprie, et donc intègre, plus facilement
("situation model").
Ce qui nous intéresse ici,
dans cette optique constructiviste, est de clarifier la place que laisse l'hypertexte
à la transmission directe de connaissances.
Tout d'abord, si l'on adhère au principe de flexibilité cognitive
qui souligne qu'il faut laisser à l'élève la possibilité
de structurer ses connaissances en empruntant des voies très différenciées,
on comprend facilement qu'il est important de ne pas dédaigner le fond
pour privilégier la forme. Clarifions cette idée...
En fait, d'aucun reproche au choix pédagogique constructiviste de favoriser
la méthode d'apprentissage à l'apprentissage lui-même (c'est
un reproche que nous entendons souvent formuler en salle des maîtres,
lorsque les discussions s'orientent sur les nouveaux plans d'étude qui
font des choix résolument constructiviste). Selon ses détracteurs
les plus virulents, le choix d'un constructivisme radical délaisserait
même complètement le savoir, pour se concentrer sur les processus,
en ne respectant plus le principe cité plus haut.
Ainsi, si l'on ne mettait en exergue que les avantages des hypertextes qui touchent
à la navigation (découverte guidée, modularité des
unités-problèmes qui se calquerait sur un modèle de la
réalité que l'on veut faire découvrir à l'élève,
etc.), on occulterait ce qui, dans les hypertextes, se met au service de la
transmission directe de savoir.
En fait, un bon hypertexte constructiviste devra, selon nous, viser un équilibre
entre le contenu et le contenant, entre une présentation claire des notions
et concepts incontournables pour une maîtrise du sujet et une maîtrise
de l'outil transférable dans d'autres unités-problèmes.
4. Les métaphores spatiales facilitent-elles
la navigation dans un hypertexte ?
La plupart des concepteurs d'hypertextes sont d'accord pour souligner
l'intérêt des métaphores dans l'interface d'un hypertexte.
On retrouve, au niveau formel et symbolique, quelques similitudes intéressantes
: un même usage des métaphores par exemple.
Celles-ci permettent au lecteur-utilisateur de trouver des repères pour
sa "navigation" dans l'hyperdocument. Ainsi, par exemple, les métaphores
du "bouton", du "champ", ou de la "carte" - dans
l'interface d'Hypercard et d'autres logiciels hypermédia - donnent à
l'utilisateur de ces logiciels un univers de référence qui leur
permet de ne pas être désorienté par "l'hypertextualité"
du document.
Une autre similitude réside dans l'attention accordée, dans les
deux techniques, à la nature des liens entre les idées ou les
concepts. Bien qu'à des niveaux de formalisation totalement différents,
et également pour des raisons différentes, dans les deux cas,
on retrouve fortement problématisée la question de l'ordre, de
la cohésion et de l'organisation des images ou des concepts.
Ainsi que le note Bolter, les hypertextes ont comme objectivé, incarné
et automatisé les techniques mentales des arts de la mémoire.
Les deux technologies, à des niveaux différents, ont en commun
les mêmes problématiques, les mêmes questions et parfois
aussi les mêmes réponses (usage des métaphores par exemple...)
Ces similitudes aux niveaux formels et symboliques ne doivent évidemment
pas nous faire oublier deux différences fondamentales entre les ars mémorativa
et l'hypertexte : d'une part, le modèle utilisé au niveau épistémologique,
et d'autre part, la technique employée au niveau médiologique
(pour reprendre une expression de R. Debray)
La première différence essentielle réside dans le choix
du modèle. En effet, si les recherches sur l'hypertexte tentent, pour
la majeure partie, de recréer - dans l'extériorité machinique
de l'ordinateur - une "mémoire artificielle" modelée
sur la mémoire humaine, les ars mémorativa cherchaient, au contraire,
à créer - dans l'intériorité psychique de chacun
- une "mémoire artificielle" modelée sur les principes
fondamentaux qui régulent l'univers. Autrement dit, alors que les premiers
utilisent un modèle extrait de leur intériorité pour le
projeter, dans une machine, hors d'eux-mêmes, les seconds recherchent
à l'extérieur, dans le monde, les principes qui vont leur permettre
de construire en eux (introjection) une "mémoire artificielle"
supérieure à la "naturelle". Pour le dire plus simplement,
alors que les théoriciens des ars mémorativa conçoivent
la "mémoire artificielle" comme un "miroir du monde",
ceux de l'hypertexte voient dans l'ordinateur-hypermédia un "miroir
de l'esprit".
Cette inversion symétrique s'explique sans doute par la deuxième
différence essentielle, celle qui a trait à la technique.
Dès son apparition, les concepteurs d'ordinateurs ont voulu simuler notre
manière de penser quand ce n'était pas la structure même
de notre cerveau. Les théoriciens de l'hypertextualité s'inspirant
considérablement des recherches en Intelligence Artificielle, on comprend
alors pourquoi le modèle le plus souvent retenu pour élaborer
des hypertextes - comme systèmes de classification et d'organisation
des connaissances - soit l'esprit de l'homme plutôt que la structure de
l'univers...
*
* sources: Observing Classroom Processes in Project-Based Learning Using
Multimedia : A Tool for Evaluators de William R.Penuel, Barbara Means,
Centre for Technology in Learning SRI Internetional
PBL Overview
HYPERTEXTES ET HYPERMEDIA (DEA Info-Com, Juillet 94) de Yan Claeyssen