Fiche de lecture pour Staf 13

Résumé de l'article de
Bernard Darras : L'image, une vue de l'esprit.
Etude comparée de la pensée figurative et de la pensée visuelle.

Recherches en communication,1998 (9):77-99.

A partir d'une expérimentation portant sur la résolution de problèmes graphiques par des enfants et des adultes, l'auteur met en lumière un phénomène universel, bien que généralement caché : au-delà du fait qu'enseignants et élèves partagent un même système de signes (qu'ils pourraient donc exploiter pour promouvoir des échanges iconiques dans leur pratique pédagogique), il ressort que la production graphique d'adultes profanes est très proche de celle des enfants, avec laquelle elle partage un même "air de famille" (souvent qualifié d'immature, ou d'enfantin) et une même tendance à la stéréotypie. L'auteur s'interroge sur la contradiction qui émane du dynamisme innovant et la créativité exacerbée dont font preuve - dans notre société - les milieux artistiques et professionnels, face à l'immobilisme dans lequel semble stagner le graphisme des adultes profanes.

Il avance une hypothèse cognitiviste, sémiotique et systémique qui permet de répondre à cette question en la reformulant dans le cadre des processus de la communication plurimédias ordinaire. Considérant la stéréotypie comme un processus cognitif normal et non comme une conduite sociale ou artistique appauvrissante, il adopte un point de vue radicalement différent sur l'interprétation du fonctionnement des signes et de leur fonction.

Darras différencie pensée visuelle et pensée figurative, en ce que la première se réfère à l'expérience visuelle (perceptions optiques) et la seconde à l'expérience cognitive (reconstruction du matériau visuel dans le réseau et le jeu des catégories cognitives). Dans le monde graphique, il en résulte des signes différents qui peuvent se ranger en deux grandes catégories : les similis et les schémas, ainsi que des registres communicationnels différents.

Adhérant à l'idée que l'imagerie mentale fonctionne comme un pont entre la perception et la mémoire, Darras distingue quatre sources principales d'informations : archétypes, stéréotypes, images mentales et perceptions.

Les similis se fondent sur la similarité avec l'expérience optique directe et tendent à se faire accepter comme réplique du réel. Leur domaine de validation varie selon les cultures, mais notre culture occidentale qui privilégie aujourd'hui largement des modes visuels comme la photo, le cinéma, la vidéo, les médias, fait une large part à l'image dite "tabulaire", c'est-à-dire en 2 dimensions sur un espace plan, synoptiques (vues ensemble), synchroniques (représentation d'un seul instant) et à tendance idéologique unitaire (un seul point de vue).

Pour expliquer les schémas, Darras a recours à la mise en évidence de 3 niveaux d'abstraction cognitive (de base, subordonné et super-ordonné) dont il décrit les propriétés. Il montre ensuite que loin d'être une simplification ou une sélection de ces propriétés distinctives, la schématisation en est plutôt la neutralisation et que selon son origine cognitive, un schéma sera constitué de propriétés très générales (niveau super-ordonné), plus distinctives (niveau de base, iconotype ou pictogramme) ou détaillées (niveau subordonné).

Les schémas issus du niveau de base (iconotypes) sont des résumés cognitifs à la fois généraux consensuels et assez distinctifs, et se fixent généralement dans l'enfance. Ils se laissent facilement répéter et sont donc d'excellents outils de la communication ordinaire. Les processus de répétition enclenchent la mémoire procédurale qui contribue à stabiliser et automatiser leur production. Sachant que l'avantage des automatismes est de réduire le coût et la charge mentale, on peut assimiler les iconotypes à des routines parfaitement adaptées à un environnement stable. Les iconotypes, schémas relativement flexibles et adaptables en fonction du contexte de communication, sont ainsi le résultat de l'action des résumés cognitifs d'une part et des procédures automatiques résultant de leurs manifestations répétées d'autre part. Les pictogrammes sont des iconotypes qui ont été validés et stabilisés durablement (évolution possible vers un système d'écriture) par une communauté d'usagers.

Darras compare et distingue ensuite les signes selon leur relation avec l'environnement (autonomie, interactivité), leur finalité (stéréotypie, prototypie ou unicité); leur organisation spatiale (réticulaire, linéaire, scénique) et leur zone de diffusion (locale, générale, universelle); leur organisation temporelle (dynamique, séquentielle ou synchronique) et leur temps de production, délai de diffusion et durée de conservation.

En conclusion, Darras estime que l'arrivée des images technologiques a fait éclater le monde apparemment unifié de l'image dont la production entre actuellement dans sa phase de démocratisation. Il a montré que les signes constitués (schéma, dessin, peinture, photo...)bien que possédant tous une composante iconique, ne sont pas de même origine cognitive ni de même nature sémiotique. Leurs finalités et fonctions constituent cependant des systèmes relativement autonomes qu'il importe de distinguer et comprendre pour éviter les confusions qui nuisent à leur exploitation.

Camille Bierens de Haan
mars 2000