SYNTHESE DE L'EXERCICE ARGUE & GRAPH, STAF16
QUESTIONNAIRE SUR LE STYLE PEDAGOGIQUE

Caroline Schreiber
novembre 1998
Travaux

SOMMAIRE
 

 

remonter Rappel de l'énoncé

Cette activité sert d'évaluation à ce qui précède [i.e. l'activité de répondre au questionnaire].

  1. Sélectionnez une question du questionnaire [portant sur le style pédagogique en matière de technologies éducatives].
  2. Consultez la liste des arguments de l'ensemble du groupe (réponses solo et duo).
  3. Explorez les liens théoriques afin de rédiger une synthèse de la question. Celle-ci comprendra deux parties : enjeux théoriques et opinion personnelle.
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remonter Analyse descriptive des réponses

Les dix questions sont interdépendantes ou tout du moins inter-reliées. Mais puisqu'il faut en choisir une pour commencer à dénouer la pelote de l'argumentation psycho-intuitivo-pédagogique, choisissons la première. Il s'agira donc de la question : Dans un didacticiel, si un élève commet une erreur, il est préférable de :

  1. Informer l'élève de son erreur et lui donner la réponse correcte.
  2. Informer l'élève de son erreur et lui fournir un indice qui l'oriente vers la bonne réponse.
  3. Afficher une icône qui clignote, l'élève peut cliquer sur cette icône pour demander de l'aide au tuteur.
  4. Laisser à l'élève un certain temps de réflexion pour qu'il trouve son erreur par lui-même.

Dix-neuf personnes plus ou moins novices en matière d'enseignement (moins que plus) ont répondu en temps limité à cette question. Leurs réponses, individuelles puis lorsqu'elles ont été "négociées" par paires, se répartissent comme suit :

  1. Informer l'élève de son erreur et lui donner la réponse correcte : 0% en solo et 0% en duo.
  2. Informer l'élève de son erreur et lui fournir un indice qui l'oriente vers la bonne réponse : 37% en solo et 11% en duo.
  3. Afficher une icône qui clignote, l'élève peut cliquer sur cette icône pour demander de l'aide au tuteur : 58% en solo et 78% en duo.
  4. Laisser à l'élève un certain temps de réflexion pour qu'il trouve son erreur par lui-même : 5% en solo et 11% en duo.

Si l'on se donne le droit de considérer ces différences comme significatives, on peut conclure que la première réponse ne fait aucun adepte dans la population d'où est tiré cet échantillon (question manifestement trop "extrême" ou "ringarde" ?) alors que la majorité des suffrages se portent sur les réponses intermédiaires, avec un avantage certain pour la réponse 3, réponse peut-être à la fois la moins "risquée" sur le plan éthique et sur le plan théorique (il semblerait en effet que sur l'ensemble du questionnaire, les propositions théoriques "médianes" ou "mitigées" soit toujours présentes, et localisées au milieu des autres).

On peut également remarquer que la majorité, non satisfaite de se situer dans l'intermédiaire, fait encore plus "corps" lorsqu'un consensus par paire doit être trouvé (contrairement à ce que l'on pourrait croire, la force de persuasion semble être plutôt l'apanage des individus à positions médianes... à moins qu'on en appelle au fameux processus de normalisation !). Le centre est décidément le point de toutes les convergences (Gauss avait donc raison) ! Il nous faudra par conséquent essayer de comprendre, sur un plan théorique (ou éthique), le concept qui sous-tend cette adhésion collective.

En ce qui concerne les arguments utilisés pour justifier ces choix, nous remarquons que :

  1. La réponse 1 n'a évidemment pas d'argumentaire associé.
  2. La réponse 2 recrute ses adeptes par opposition à la réponse 1 : l'idée dominante ici est que l'élève doit se rendre compte rapidement de son erreur mais ne doit pas être exposé directement à la solution (pour des raisons d'activité de l'élève, d'effort, de meilleure mémorisation, de guidage, de plus grande motivation). On ne doit pas trop lui mâcher le travail (tiens, resterait-il des signes d'une lointaine mais toujours présente morale judéo-chrétienne ?), même si le système doit intervenir très tôt, pour éviter de passer à côté d'une erreur (ah! la sacro-sainte erreur !).
  3. La réponse 3 (majoritaire en solo et "quasi-totalitaire" en duo) est justifiée par l'idée qu'il faut laisser l'élève libre. Pas complètement libre (suggestion faite par un sondé au néo-libéralisme) mais assez libre pour décider de se servir de l'aide qu'on lui suggère par le clignotement (suggère seulement, pour ne pas tomber dans le paternalisme). L'élève doit être "maître" de son parcours, doit "pouvoir choisir", "être autonome", responsable, etc. (et éventuellement coupable, non ?).
  4. La réponse 4 (très minoritaire) n'est pas justifiée par la seule personne qui l'a choisie, personne qui se débrouille quand même, "en privé" pour convaince son partenaire du bien fondé de sa solution (le partenaire avait pourtant choisi auparavant une réponse très éloignée). On retrouve tout de même en duo une trace de la "négociation" entre les partenaires : "bon, avec une limite dans le temps et le nombre de réponses".

Je vais laisser là l'analyse des influences réciproques du travail collaboratif (terme plus à la mode que "négociatif" ou "compromisant"), pour tenter une interprétation des enjeux théoriques sous-tendant ces quatre propositions de réponse.

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remonter enjeux théoriques

Chacune des réponses proposées à cette question fait manifestement référence à un courant théorique ayant fait "foi" à une époque quelconque de la recherche psycho-pédagogique. On retrouve dans les propositions proposées la grande opposition classique entre Behaviorisme et Cognitivisme, ce dernier ayant aujourd'hui gagné la bataille des esprits (et du pouvoir).

La distinction que nous venons de tirer entre cognitivisme et behaviorisme quant à l'immédiateté du feedback n'est qu'une première ébauche grossière de la question. En effet, nous retrouvons en filigrane du problème, une autre question importante qui ne sépare pas de manière aussi nette les behavioristes et les cognitivistes : celle du statut de l'erreur. En effet, même si pour les cognitivistes, l'erreur est toujours bénéfique (car motif à métacognition, ou indicateur de représentations mentales inadéquates à détruire), parmi les behavioristes, nous retrouvons plusieurs écoles apportant des réponses différentes quant au statut de l'erreur. Il existe (ou existait) au moins trois positions différentes parmi les behavioristes :

Nous voyons donc qu'en deça de l'immédiateté du feedback se joue une autre problématique théorique, non explicite dans la question 1 du questionnaire, à savoir le statut des erreurs dans une situation d'apprentissage. Faut-il les provoquer (car elles permettent de réfléchir, selon les cognitivistes) ou les éviter (car elles embrouillent l'apprenant, et souvent le frustre émotionnellement, selon Skinner). Si les strutures métacognitives que les cognitivistes présupposent existent réellement et sont transférables, leur point de vue se justifie. Si elles n'existent pas (et que les stratégies d'apprentissage ne sont en fait qu'un contenu comme un autre à apprendre, comme le suggère Skinner), alors l'éducation d'inspiration cognitiviste résulte peut-être plus en un embrouillamini et un retard des acquisitions (en introduisant une complexité non conforme aux "capacités d'apprentissage" de la plupart des élèves). L'erreur n'a peut-être une chance d'être bénéfique que pour celui qui possède déjà assez bien la question (un pédagogue ou un chercheur universitaire ?) et qui ne trouve dans celle-ci qu'une petite étape à franchir vers un horizon théorique déjà presqu'à sa portée... On pourrait ici encore citer Skinner : "livré à lui-même dans un environnement donné, l'élève apprendra quelque chose, assurément, mais il n'aura pas pour autant reçu une instruction. L'école de l'expérience n'est pas du tout l'école, non pas qu'on n'y apprenne rien, mais parce que personne n'y enseigne. L'enseignement est une manière expéditive et concentrée de provoquer l'apprentissage ; un individu qui bénéficie d'un enseignement apprend plus vite" ("La révolution scientifique de l'enseignement", 1969, p. 10).

Tout est donc affaire de situations d'apprentissage précises, de méthodologie choisie pour présenter un contenu, de type de contenu, de but de cet apprentissage, de connaissances antérieures de l'élève dans ce domaine, de sa maîtrise momentanée de l'étape où il est, de sa confiance dans son raisonnement (acquise antérieurement), de ses capacités (acquises aussi) à produire seul une nouvelle réponse, d'un recours nécessaire à la motivation intrinsèque que nous donne notre impression de liberté... Je ne pense donc pas que l'on puisse répondre de manière catégorique sur ce qu'il convient ou non de faire... [Mais je suis en train de donner mon opinion ! Il faut donc vite passer à la section suivante...].

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remonter Opinion personnelle

Dans un didacticiel (comme partout d'ailleurs), je pense qu'il est généralement préférable que l'élève ne commette pas d'erreur, surtout en début d'acquisition. Les erreurs les plus fréquentes devraient être analysées avant (dans la phase de pré-test du logiciel), et la progression devrait être assez fine et bien pensée pour que l'élève soit amené le plus loin possible sans erreur. Ceci ne signifie pas qu'une fois une "connaissance" acquise, il ne soit pas utile de le faire réfléchir sur la manière d'être arrivé à la solution, sur les autres voies possibles qui aboutissent à la même réponse explicite, et sur celles qui aboutissent à des "erreurs" (cette réflexion peut être en partie effectuée dans le tutoriel, mais l'interaction sociale avec les autres enfants et l'enseignant me semble constituer un plus irremplaçable à ce niveau). Ceci permettra de bien discriminer les contextes, les situations et les réponses adaptées au but, de celles qui n'y conduisent pas. Je suis en accord avec Skinner pour voir dans le succès le meilleur renforcement intrinsèque des activités, ce qui évite bien des problèmes de démotivation, de frustration, de confusion (pour la frustration, la machine présente certainement un avantage sur l'humain : il est moins "dévalorisant" de se faire corriger par une machine que par une personne, étant donné la dépersonnalisation du jugement et donc le moindre "coût psychologique" de l'erreur). Il est évident que cette solution ne suppose pas des élèves passifs, mais actifs dans la construction de leurs réponses. Actifs et guidés, ceci de manière de moins en moins explicite (prompted and vanished) pour rendre leur acquisition indépendante par la suite d'une telle aide.

Cependant, pour revenir à la question 1 elle-même, que faire lorsque l'Erreur paraît ? Je me serais "casée" dans la réponse 2 (informer l'élève de son erreur et lui fournir un indice qui l'oriente dans la bonne direction) car : 1) c'est la réponse la mieux définie parmi les quatre choix, et 2) il me paraît utile de faire savoir immédiatement à l'élève qu'un élément "cloche" dans son parcours d'apprentissage. Ceci ne signifie pas qu'il ne faille pas réfléchir à la cause de cette erreur, avec et sans l'élève, mais que l'on ne peut réfléchir efficacement que lorsque l'erreur et son contexte de production sont clairement identifiés. Si des tas d'autres réponses et raisonnements s'intercalent entre l'erreur et sa mise en évidence, on perd l'opportunité d'une situation claire, pour le sujet et pour l'enseignant.

En ce qui concerne la question du contrôle, il ne faudrait pas céder trop vite, dans nos rationalisations, à nos idéaux philosophiques de liberté. Même si l'enseignant fait comme-ci l'élève avait le choix, ce dernier sait bien, s'il veut être adapté au système scolaire, qu'il faut qu'il appuie sur le bouton clignotant (qu'on ne fait d'ailleurs pas clignoter par hasard, mais pour le rendre attractif, attirant, donc "forcer" implicitement le choix). Si on fait semblant de lui laisser le choix, il me semble important de reconnaître que c'est avant tout pour l'engager davantage, et non en raison du respect du libre-arbitre de l'individu.

Quoiqu'il en soit, je pense qu'il faut s'engager dans des solutions qui montrent effectivement une amélioration des performances individuelles [désolée pour la lapalissade !]. La meilleure solution, en matière de design de didacticiel, est certainement celle qui donne le meilleur résultat, en fonction d'un but explicite : l'apprentissage (sa rapidité, sa stabilité, sa généralisation à d'autres situations... mais aussi à un maximum d'apprenants apprenant dans des conditions qui les rendent "heureux d'apprendre"). Il me semble donc tout aussi important de mener des études comparatives (expérimentales et sur le terrain) que d'essayer de convaincre les autres du bien-fondé de sa position théorique. Je trouve [mais peut-être est-ce là seulement un effet de mon ignorance en la matière] qu'il est souvent fait une trop faible part à l'analyse réelle du comportement, au profit d'une querelle pseudo-scientifique nourrie d'idéologie sur notre vision philosophique de l'être humain... Mais il est vrai que ce qui rend les problèmes d'éducation (et de psychologie en général) si passionnants, c'est certainement leur enracinement dans notre vision subjective des autres, du monde et de nous-même. Conformément à ce dernier point, je terminerai donc cette synthèse en référence à une utopie sociale et non à une donnée expérimentale : "The English public school of the ninetheen century produced brave men -by setting up almost unsurmountable barriers and making the most of the few who came over. But selection isn't education. Its crops of brave men will always be small, and the waste enormous.(...) In Walden II, we have a different objective. We made every man a brave man. They all come over the barriers. Some require more preparation than others, but they all come over. The traditionnal use of adversity is to select the strong. We control adversity to build strength" (Skinner, 1948, Walden II, pp. 113-114).

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