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Près de neuf cents millions d'analphabètes dans le monde

Les stratégies définies ces dernières années pour promouvoir l'éducation universelle n'ont pas donné les résultats attendus. Réunie à Dakar par l'Unesco, la communauté internationale réitère ses objectifs en matière de scolarisation de base, en particulier pour les filles
Mis à jour le vendredi 28 avril 2000

DAKAR de notre correspondante Brigitte Breuillac

«Il y a dix ans, nous nous sommes fixés pour objectif d'assurer une éducation de base pour tous. Or, nous sommes encore loin du but.» En s'adressant aux participants au Forum mondial sur l'éducation qui s'est ouvert à Dakar, mercredi 26 avril, Kofi Annan n'a pas cherché à travestir la réalité. Le secrétaire général des Nations unies a d'emblée cité des chiffres peu encourageants. «Il y a encore 880 millions d'analphabètes dans le monde, dont la plupart sont des femmes… Plus de 110 millions d'enfants d'âge scolaire ne vont pas à l'école», a-t-il constaté. L'évidence s'impose donc. Les engagements pris par la communauté internationale, en 1990, lors de la Conférence mondiale sur l'éducation qui avait pour cadre Jomtien en Thaïlande, n'ont pas été tenus.

Il avait alors été décidé d'universaliser l'enseignement primaire pour tous les enfants d'ici l'an 2000, de réduire le taux d'analphabétisme des adultes, en particulier des femmes, et de dresser un bilan, à l'occasion du Forum de Dakar. Celui-ci s'avère plutôt contrasté. L'évaluation faite par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation (Unesco) fait apparaître que la situation s'est très nettement améliorée en Amérique latine et en Asie de l'Est. Là, l'objectif de l'accès universel à l'enseignement primaire est sur le point d'être atteint. En revanche, il en va tout autrement en Afrique sub-saharienne où le taux net de scolarisation reste le plus faible et n'a progressé que de 54 à 60 % en dix ans. «Cette région du monde est à la traîne, a expliqué Surangalitsho Makatshwa, le vice-ministre sud-africain de l'éducation, du fait des conflits armés et des ravages causés par le sida et le paludisme. Autre facteur aggravant relevé par l'Unesco, la part du PNB destinée à l'enseignement primaire n'a pas augmenté en Afrique centrale et de lOuest.»

Pour évaluer la situation en matière d'éducation dans les différentes régions du monde, l'Unesco a en effet collecté d'innombrables données statistiques dans 180 pays. Ce qui ne semble toutefois pas avoir impressionné le nouveau chef de l'Etat sénégalais. « La croissance des études est plus forte que la croissance économique », a observé Abdoulaye Wade, dans son discours de bienvenue, tout en s'excusant pour son «langage peu conformiste».

Il est toutefois un point sur lequel tous les partenaires de ce Forum se montrent d'accord. Que ce soit l'Unesco, le Programme des nations unies pour le développement (PNUD), le Fonds des nations unies pour la population (Fnuap), le Fonds international de secours à l'enfance (Unicef), la Banque mondiale ou les ONG, tous reconnaissent que l'éducation est une clé de la réduction de la pauvreté. Mais les ONG ne cachent pas leur déception face au bilan enregistré. Et les organisations françaises qui travaillent sur le terrain se sont associées dans une campagne intitulée «Demain le monde…» pour sensibiliser l'opinion et les pouvoirs publics en faisant signer un chèque symbolique dont le montant de six milliards de dollars (environ 5,5 milliards d'euros) correspond à la somme qu'il faudrait ajouter annuellement pour atteindre l'objectif de scolarisation universelle. La question du financement du système éducatif a bien entendu été abordée par d'autres intervenants. James Wolfensohn, le président de la Banque mondiale, a souligné que son institution avait tenu ses promesses, en doublant ses crédits pour l'éducation, au cours de la décennie écoulée.

FAIRE AVEC LES RÉALITÉS LOCALES

Cela étant, d'autres voies que le seul accroissement des dépenses de l'Etat se dégagent pour réduire l'analphabétisme dans les pays en développement. «L'école chère répondant aux normes ne peut être répandue partout, estime Jacques Bugnicourt qui dirige l'ONG Enda Tiers-Monde au Sénégal. Il est possible de faire à faible coût pour beaucoup. Tout local libre à un moment donné devient un lieu possible de formation et de culture.»

Ce point de vue n'est nullement rejeté par les institutions internationales. Comme l'a reconnu Koïchiro Matsuura, le directeur général de l'Unesco, «l'enseignement formel a été la principale cible des efforts déployés en matière d'éducation, au détriment des voies non formelles». Et pour répondre aux besoins éducatifs de chaque société, M. Matsuura estime quil faut adapter les contenus et les méthodes aux réalités socio-culturelles. Ce qui n'est pas loin de ce que pense le patron d'Enda Tiers-Monde pour lequel «le Nord doit se garder d'imposer au Sud ses modèles éducatifs».

En s'orientant notamment dans cette direction, l'objectif de l'éducation pour tous serait-il alors réalisable ? Les partenaires du Forum de Dakar le pensent. Et ils envisagent d'adopter un cadre d'action pour atteindre cet objectif d'ici à 2015. Une date qui correspond à celle que ce sont fixées les institutions multinationales pour réduire de moitié la pauvreté dans le monde. Les ONG françaises se montrent pour l'instant sceptiques. «Nous ne sentons pas une forte volonté politique pour que cela devienne une réalité», estime Yannick Simbron qui préside la campagne «Demain le Monde». Mais avant même la clôture de ce Forum, vendredi 28 avril, M. Annan a donné le coup d'envoi d'une initiative en faveur de l'éducation des filles qui représentent les deux-tiers des enfants non scolarisés. Car il y a des exemples encourageants comme la Guinée où, a indiqué le secrétaire général des Nations unies, des «puits et des moulins mécaniques ont été donnés aux familles pour alléger la charge de travaux imposée aux filles et leur permettre ainsi d'aller à l'école». D'ailleurs pour gagner la bataille de l'éducation des filles, M. Annan a insisté sur la contribution précieuse que peuvent apporter les ONG. «Je vous le promets, a-t-il dit, nous vous écouterons.»

Source: http://www.lemonde.fr/article/0,2320,52501,00.html