Staf 15 - Résumé d'article
Véronique Grin

 

Résumé - La résolution de problèmes : bilan et perspectives
Jean-François Richard (1994)


Introduction

Dans cet article, la résolution de problèmes est traitée en relation avec les connaissances du quotidien; cela n'implique donc pas de posséder des connaissances spécialisées, comme c'est le cas dans les domaines professionnels ou dans celui de la didactique.

Quels sont les éléments saillants en résolution de problème depuis l'introduction de la perspective du traitement de l'information ?

Les grandes orientations

Un certain nombre de travaux sont liés à l'apprentissage par l'action et montrent l'importance de celui-ci tant dans l'élaboration des sous-buts que dans la découverte des propriétés de la situation qui sont pertinentes pour la solution.

D'autres travaux se démarquent plus ou moins nettement de cette perspective. Les uns manifestent très nettement une résurgence des préoccupations gestaltistes autour de notions comme celles de fixation ou d'impasse. Du point de vue empirique, l'impasse est définie comme un état caractérisé par un temps de réponse long, voire un refus de choix, des retours en arrière ou des violations de consigne. Du point de vue théorique, une impasse est définie comme un état dans lequel, compte tenu de la représentation que se fait le sujet du problème et des contraintes sur les actions qui en découlent, aucune action n'est possible.

Un autre courant de recherche s'inspire de l'école de Genève, école pour laquelle la découverte d'une procédure pour résoudre un problème est conçue comme l'activation et l'adaptation de schèmes. C'est un cas particulier du mécanisme d'assimilation-accommodation. En tant qu'assimilation de la situation à des schèmes, la procédure entraîne une attribution de significations aux objets auxquels ils sont appliqués, significations qui correspondent aux propriétés fonctionnelles associées aux schèmes et concourent ainsi à la représentation de la situation. En tant qu'accommodation, la procédure dérive d'un aujstement des schèmes, mais procède éventuellement d'une remise en cause aboutissant à une réorganisation, dans le cas où il y a conflit entre les attentes liées au schème et le constat des résultats de l'action. La perpective genevoise, comme la perspective gestaltiste, insiste sur le rôle des significations et sur l'idée que si la construction d'une structure de buts est essentielle, elle n'est pas le tout de la résolution de problème.

Une autre orientation de recherche a consisté à mettre en relation les aspects comportementaux de la résolution de problèmes avec les aspects langagiers. Les études sur la verbalisation jouent un rôle majeur dans la résolution de problèmes complexes. L'étude des marques verbales présentes dans les commentaires permet d'identifier différents processus de la résolution comme la formation des buts, l'évaluation des actions, l'anticipation, etc.

Les faits importants

Premier fait

Le premier fait concerne l'interprétation et l'analyse de la situation et porte sur deux aspects; d'une part la compréhension du problème, d'autre part la sélection du point de vue approprié au problème. Les résultats de certaines recherches sur la tour de Hanoï montrent que le processus de solution se divise en deux phases : l'une, appelée phase exploratoire, au cours de laquelle le sujet ne se rapproche pas du but, et une phase finale, se caractérisant par la présence de sous-buts. On peut donc affirmer que la phase exploratoire est consacrée à la compréhension du problème et qu'au terme de cette phase le sujet a construit une représentation du problème qui lui permet de faire une planification. Pour ce qui est de la sélection du point de vue pertinent pour le problème, il est connu que cela constitue la difficulté principale de bon nombre de problèmes. La solution serait de prendre un autre point de vue sur le problème, en quelque sorte il faudrait "sortir du cadre".

Second fait

Le second fait important est le phénomène appelé transfert analogique; il consiste dans le fait que dans une nouvelle situation ce sont les procédures connues qui sont activées, à savoir celles qui réalisent le même but dans un autre contexte. Le transfert analogique est particulièrement manifeste dans l'apprentissage de l'utilisation de dispositifs comme la calculatrice ou encore le traitement de texte. La notion de transfert analogique peut être comparée à celle de schème familier.

Cette notion peut également être rapprochée de celle de mécanisation de la pensée; dans ces notions, la mise en oeuvre de la procédure est immédiate et ne passe pas par une analyse de la situation.

Selon Boder (1992), "Un schème familier est un schème au sens piagétien, qui a la particularité d'être facilement accessible, c'est-à-dire reconnu comme un outil privilégié dans un certain nombre de situations... Nous pensons que c'est autour de ces schèmes familiers que s'organise dynamiquement, pour le sujet, la représentation du problème et du but."

D'après Richard, le transfert analogique doit être rattaché au phénomène de difficulté de changement de point de vue. Lorsque les sujets adoptent un point de vue inadéquat, c'est parce qu'ils appliquent la procédure qu'ils ont l'habitude d'appliquer dans de telles situations. On pourrait penser que ce processus constitue un obstacle à la réflexion, mais Richard a la conviction inverse. Pour lui, "le transfert analogique est la condition de l'automatisation des processus de solution et donc de l'efficacité du fonctionnement mental. Si en face d'une situation nouvelle, nous nous mettions systématiquement à l'analyser pour voir si on peut lui appliquer les procédures que nous connaissons, notre fonctionnement mental serait extrêmement lent, et il n'est pas du tout sûr que nous ferions une meilleure analyse, car nous nous priverions des informations que nous obtenons en retour par notre action et qui sont en général extrêmement pertinentes pour faire apparaître les différences entre la situation présente et la situation connue dont nous empruntons la procédure." Selon Richard, le transfert analogique n'est pas l'importation aveugle d'une procédure, car il prend en compte les significations possibles de la situation et sélectionne des interprétations compatibles avec les procédures utilisées.

D'après Richard, pour comprendre la résolution de problème, il faut tenir compte à la fois de l'apprentissage par l'action, du transfert analogique et de la difficulté de changement de point de vue sur le problème.

Les perspectives théoriques dans la résolution de problème

Presque tous les modèles de résolution de problème sont des modèles de règles.

Les modèles de planification

Ces modèles, développés principalement pour les situations de Tour de Hanoï par Klahr (1978), Klahr et Robinson (1981) et Karat (1982), contiennent des règles de formation de buts et des règles de décision permettant de décider dans les cas où il n'y a pas de but permettant de choisir entre les actions possibles.

Les modèles d'apprentissage par l'action

Ces modèles visent à rendre compte de l'apprentissage par l'action, à savoir la découverte progressive de buts de plus en plus élaborés. Le système SOAR (Laird, Newell & Rosenbloom, 1987) est la tentative la plus élaborée d'un modèle général portant à la fois sur la résolution de problème et sur l'apprentissage et utilisant le formalisme des règles de production.

Les modèles de description de stratégies

Cette classe de modèles décrit des stratégies de résolution de tâches diverses, comme le raisonnement cinématique ou encore l'application de relations de classification ou de relations d'ordre dans des situations où les éléments sur lesquels il faut opérer sont disposés spatialement. A cette orientation se rattachent un ensemble de recherches qui se proposent d'analyser des situations de tests en termes de stratégies cognitives.

Les modèles probabilistes

Une autre catégorie de modèles est de nature assez différente à la fois par le formalisme utilisé et par les mécanismes pris en compte. Ces modèles diffèrent des précédents par les processus pris en compte, qui sont l'évaluation de l'écart au but, la mémorisation des états déjà rencontrés, le respect et la compréhension des consignes, la capacité de la mémoire de travail.

Un modèle de contrainte

Un essai a été tenté par Richard, Poitrenaud et Tijus (1993) pour représenter dans un même formalisme ces différents processus, à savoir que la représentation d'un problème est décrite comme une liste ordonnée de contraintes, une contrainte étant définie comme une restriction sur les actions possibles dans chaque état de l'espace-problème et est exprimée sous la forme d'un tableau indiquant pour chaque état quelles sont les actions permises et quelles sont les actions interdites par la contrainte en question. L'idée de base du modèle est que le sujet essaie de respecter l'ensemble de ces contraintes, mais que dans certains cas il ne peut pas : ce sont les situations d'impasse où aucune action n'est permise. On peut alors accepter de ne pas respecter la contrainte la moins importante.

Bilan

On constate que ces modèles possèdent trois grands défauts :

Le futur de la résolution de problème

Jusqu'à maintenant, l'attention des chercheurs s'était plutôt focalisée sur les activités d'élaboration de buts et de planification, c'est-à-dire sur des phases de la résolution de problème qui sont tardives; en effet, la planification n'intervient qu'à un certain stade, car elle suppose une élaboration suffisamment approfondie de la représentation du problème, comportant notamment la décomposition de l'action globale en sous-actions. Ce n'est qu'une fois que la représentation est assez riche que des règles générales de production de buts peuvent intervenir, rendant ainsi possible une planification. Richard suppose que les chercheurs vont désormais s'intéresser à la modélisation des phases précoces pendant lesquelles se fixe l'interprétation de la situation.

Première proposition

Richard pense que l'on va assister à une convergence des modèles de compréhension et des modèles de résolution de problème. Pour expliquer à la fois le transfert analogique et le fait qu'il induit une interprétation de la situation en sélectionnant des significations compatibles avec sa mise en oeuvre, nous avons besoin de mécanismes d'actions des savoir-faire et d'activation des significations.

Pour pouvoir faire interagir les savoir-faire et l'attribution des significations, il faut disposer d'une représentation des procédures sur laquelle on puisse faire agir un mécanisme d'activation. Or, la structure sur laquelle il est le plus facile de le faire est le réseau sémantique, dans lequel les objets sont organisés par des relations d'inclusion de classes (cf. PROCOPE, développé par Poitrenaud, Richard et Tijus, 1990). Dans le système PROCOPE, les objets sont catégorisés par les procédures et organisés en un réseau sémantique, de sorte qu'agir sur un objet, c'est préalablement le catégoriser afin de déterminer quels buts lui sont applicables en fonction des classes auxquelles il appartient et ensuite accéder aux procédures qui permettent de réaliser ces buts.

Seconde proposition

Selon Richard, la distinction entre problèmes bien définis et problémes mal définis est appelée à disparaître; en effet, les problèmes dits bien définis ne sont tels d'après lui que parce que le sujet a une connaissance du domaine qui lui permet de bien comprendre le problème. Donc de ce point de vue tous les problèmes relatifs à des situations non familières pour lesquels le sujet n'a pas d'expertise sont des problèmes mal définis.

Résoudre un problème, c'est dans chaque état successif rechercher parmi les actions permises par la situation celle qui permet de se rapprocher le plus du but ou de s'en éloigner le moins. Cela suppose que l'on fasse des compromis, que l'on sacrifie des buts ou que l'on sacrifie des propriétés des objets en n'en tenant pas compte et en tentant des actions qui ne respectent pas ces propriétés. La notion cruciale ici est celle de voisinage, voisinage par rapport aux objets et par rapport aux buts. Dans les deux cas, le voisinage est défini par la proximité dans un réseau sémantique.

Cette représentation de la résolution de problème, qui permet de définir un mécanisme de décision consistant à rechercher le meilleur compromis, permet aussi de poser le problème de la compréhension du problème. Une telle représentation permet d'envisager que ce que le sujet sait faire intervient dans la façon d'interpréter la consigne.

Troisième proposition

Richard se demande ce qu'est vraiment une situation de résolution de problème et affirme que jusque là on a pris comme prototypes les situations de type casse-tête, celles où le sujet n'a pas de procédure disponible. Il y a d'autres situations où il existe plusieurs procédures disponibles pour réaliser le but et où il faut en choisir une. Donc lorsqu'il y a plusieurs procédures applicables qui réalisent le but de la même façon, pour choisir entre elles, on va faire intervenir des contraintes de mise en oeuvre de ces procédures. Richard propose trois catégories de contraintes, celles liées aux buts, celles liées aux conditions de la situation et celles liées à l'exécution des procédures.

Conclusion

Richard conclut en affirmant que l'on peut envisager un modèle de la résolution de problème qui couvre non seulement les cas où il y a absence de procédure, mais aussi ceux où l'on doit choisir entre plusieurs procédures plus ou moins satisfaisantes. Pour lui, un tel modèle serait un modèle de gestion de l'activité. Il suppose que les années qui viennent verront une évolution dans ce sens.


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