Rousseau en bref
Un génie, une conscience
Ses principales oeuvres
Chronologie des oeuvres de J-J Rousseau
Sa pensée
Ouvrages en ligne

La personne et l'oeuvre de Jean-Jacques Rousseau fascinent. Pour beaucoup, il est au centre de tout ce qui importe à notre monde : les idées de liberté, le concept d'égalité, le retour à la nature, les grands thèmes de la littérature, l'anthropologie et la psychanalyse, la Révolution française. Nul mieux que lui n'a annoncé les temps nouveaux, son rêve a accompagné la production d'un nouveau monde. Il a pris, dans tous les domaines qu'il a abordés, une position résolument novatrice. En plein XVIIIe siècle, il plaide pour les droits de chacun, il affirme que l'éducation doit tendre à former des hommes, il glorifie la fidélité conjugale fondée sur le seul sentiment, il proclame que la souveraineté est une et indivisible, il dénonce le théâtre-spectacle qui isole les individus, il met en garde sur les dangers de la théorie du progrès qui corrompt par des envies et des dissimulations, il prône un respect de la nature.
Titre Rédaction Publication
Narcisse ou l'Amant de lui-même 1732-1740  1753
Dissertation sur la musique moderne 1743 1743
Les Muses galantes 1743-1745 1781
Discours sur les sciences et les arts 1749-1750 1750
Le Devin du village 1752
Lettre sur la musique française 1752 1753
Discours sur l'origine et les fondements de l'Inégalité parmi les hommes 1753-1754 1755
Dictionnaire de musique 1753-1764 1767
Discours sur l'économie politique 1754 1758
Essai sur l'origine des langues 1754-1761 1781
Lettre à Voltaire sur la Providence 1756 1759
Julie ou La Nouvelle Héloïse 1756-1758 1761
Lettre à d'Alembert sur les spectacles 1758 1758
Emile ou de l'éducation 1758-1760 1762
Du Contrat social 1759-1761 1762
Le Lévite d'Ephraïm 1762 1781
Pygmalion 1762 1771
Lettre à Christophe de Beaumont 1762 1763
Lettres écrites de la montagne 1763-1764 1764
Projet de constitution pour la Corse 1764-1765  1861
Les Confessions 1764-1770 1782 (partie I-VI)
Considérations sur le gouvernement de Pologne 1770-1771 1782
Lettres sur la botanique à Madame Delessert 1771-1773 1781
Rousseau juge de Jean-Jacques (Dialogues) 1772-1776 1780 (1er dialogue)-1782
Rêveries du promeneur solitaire 1776-1778 1782

Jean-Jacques Rousseau a écrit plus de 16'000 pages dont une importante correspondance. Toutes ses théories, Rousseau les a exposées avec le feu de son éloquence, dans une langue admirablement travaillée qui résonne comme de la musique. Sans cesse, il dénonce avec véhémence les obstacles qui troublent les relations humaines : le besoin de paraître et de se faire valoir, la loi du plus fort, l'exploitation de l'homme par l'homme, les conventions sociales et les masques dont chacun croit nécessaire de s'affubler. Fils de son temps, il en est également le critique le plus aigu et le rêveur le plus généreux. Ses visions de l'histoire, de la morale, de la raison et de la nature en font un penseur d'avant-garde. Son oeuvre correspond paradoxalement, et plus que jamais, aux préoccupations de notre civilisation bouleversée. En un temps où les idéologies radicales marquent le pas, il est bon d'entendre une voix qui nous recommande, parce que le monde est plus complexe qu'on ne le croit, tout à la fois prudence dans la vie et risques dans la pensée. Pas plus que le progrès n'est nécessairement synonyme de bien être, pas plus la générosité en politique n'est toujours meilleure conseillère. En homme libre, il signe ses ouvrages et attire sur lui les persécutions. Dès ce moment, il offre sa vie à son oeuvre.
 

Manuscrit des "Rêveries du Promeneur Solitaire"
Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel
(fichier de 750 Ko)

 Chronologie des Oeuvres de Jean-Jacques Rousseau

Par Frédéric S. EIGELDINGER
(Université de Neuchâtel, Suisse)
frederic.eigeldinger@lettres.unine.ch

En l'absence d'une édition chronologique des Oeuvres de Rousseau – souhaitée et souhaitable–, il me paraît bon de soumettre au jugement des rousseauistes une lecture historique de ses textes, comme il est possible de lire aujourd'hui ceux de Voltaire ou de Diderot. Voici donc un projet qui comporte encore probablement des omissions, mais surtout beaucoup d'approximations et de points d'interrogation. Ceux et celles qui pourraient m'aider à corriger, préciser ou compléter ce travail en m'adressant leurs remarques sont les bienvenus. Ils suffit de me faire parvenir les remarques par e-mail à l'adresse ci-dessus. Merci.

Le rêveur de la modernité
Une oeuvre considérable
Avec La Nouvelle Héloïse, le Contrat Social et l'Emile, Rousseau va écrire en l'espace de quelques années ses trois grandes oeuvres qui marqueront autant de moments historiques dans notre pensée occidentale. Elles se présenteront comme autant de rêves construits sur les ailes de l'imagination, comme autant de fictions romanesques d'un genre bien particulier. Il ne s'agit pas seulement d'utopies dans lesquelles l'imagination transposerait la réalité d'ici-bas dans un autre monde plus conforme au désir profond de l'homme. Chez Rousseau, le rêve porte la marque d'un combat, il est le résultat d'un conflit vécu qui hante son esprit tourmenté, celui des rapports de l'homme avec ses semblables. Il est l'homme de tous les engagements et de tous les risques. Il n'y a pas un mot qui ne soit l'occasion d'un pari : celui de la vérité.

Son influence
L'impact de Rousseau dans la littérature est considérable. Le Contrat Social a été l'évangile de la Révolution. Les cahiers de doléances du Tiers-Etat, de la Noblesse, du Clergé sont pleins de ses idées. Il a inspiré le droit international et privé, la religion (le culte de l'Être Suprême) et la justice. A l'étranger, il a influencé presque toutes les littératures. En Allemagne, Werther de Goethe est un fils de Saint-Preux, les Brigands de Schiller sont sortis du Discours de l'Inégalité, Le marquis de Posa dans Don Carlos puise dans le Contrat Social ses doctrines humanitaires, Kant complétera le Vicaire savoyard, Fichte se réclamera de Jean-Jacques comme beaucoup de pédagogues, en particulier Pestalozzi. En Angleterre, c'est en lisant Rousseau que Byron sent sa haine croître contre l'humanité, le Bosquet de Clarens réapparaît dans Childe-Harold.
 

La nouvelle cité
Un visionnaire politique
La pensée politique de Rousseau, bien qu'inscrite dans les débats philosophiques du XVIIIe siècle, revêt un intérêt tout particulier parce qu'elle ne se limite pas à révéler les symptômes de l'injustice sociale, mais réclame une rénovation politique radicale et un renouveau moral. Il a notamment voulu promouvoir les conditions politiques de la dignité de l'homme. Trois oeuvres majeures jalonnent cette réflexion : le Discours sur les sciences et les arts (1750). Le Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes (1755) et le Contrat Social (1762).

Une pensée révolutionnaire
Avec Jean-Jacques Rousseau, la pensée politique s'oriente délibérément vers la vie de la démocratie. Le Contrat social ne peut, selon lui, donner naissance qu'à une seule forme d'Etat, celle où le peuple est souverain, à savoir l'exercice du régime démocratique, mais sans céder l'exercice de la souveraineté aux gouvernants. Il cherche la réponse à une question essentielle : existe-t-il un moyen de concilier la liberté avec l'ordre et les exigences d'une cohésion indispensable à la survie du genre humain ? Dans les discours révolutionnaires Rousseau est une référence constante, Marat passe pour avoir lu le Contrat Social au peuple de Paris dès 1788. Nombre de constitutions de pays se sont inspirées des écrits de Rousseau pour fonder leurs principes démocratiques, par exemple la Constitution américaine. Il tire sa grandeur de son oeuvre politique qui est passée à la postérité en fondant les grands principes de nos Etats modernes.
 

Un autre rapport à Dieu
La question de Dieu et de la religion
La Profession de foi du vicaire savoyard, que Rousseau a insérée dans l'Emile, est le principal texte qui, dans l'ensemble de son oeuvre, aborde la question de Dieu et de la religion. Elle fut aussi, en son temps, capable de dresser contre elle la quasi-totalité de ce que l'époque comptait de personnalités influentes depuis les penseurs matérialistes (d'Holbach, etc) jusqu'aux hommes d'églises, en passant par l'archevêque de Paris et les ministres réformés de Genève, tous se scandalisèrent de cette profession de foi qui valut à l'Emile d'être interdit. Critiquant les religions révélées et refusant toute autorité aux Eglises, Rousseau en appelle à la religion morale, croyance raisonnable et raisonnée que chacun peut découvrir dans l'intimité de son coeur. Dans cette mesure, il exprime l'aspiration d'une bonne partie de ses contemporains à une religiosité socialement tolérante en même temps qu'un engagement personnel très intense. L'originalité de Rousseau consiste d'une part à attaquer l'institution ecclésiale au nom d'une foi authentique, et d'autre part à aborder la question religieuse en se demandant moins à quel savoir qu'à quel espoir l'homme peut prétendre.

Bon chrétien ou bon citoyen ?
L'homme, animal sociable, ne peut se sauver hors de la cité. Mais il réclame désormais que la cité des hommes soit constituée d'une façon telle que chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. Autant dire une Cité de Dieu. Le disciple du Christ réclame la pleine reconnaissance de sa foi individuelle. Mais il ne peut l'obtenir que d'une cité qui a abandonné la prétention d'incarner cette foi. Autant dire une cité sécularisée. Tels sont les termes de ce paradoxe que Bayle avait déjà soulevé : on ne peut être à la fois un bon chrétien et un bon citoyen. Et Rousseau renchérit : on ne peut plus l'être en réalité, tant la contradiction entre les deux démarches est devenue insupportable. C'est devenu un problème d'existence. La contradiction portait déjà les Discours des années cinquante, où des flots de culture civilisée étaient déversés pour prouver que toute la culture accumulée n'expliquerait jamais cet élan qui porte l'homme au-delà des réalités pour chercher son accomplissement. Elle ne cessait sans doute de travailler le Rousseau catholique français et le Rousseau protestant réformé. Elle faisait encore éclater le Contrat Social, qui consacrait la liberté du citoyen, mais l'enfermait dans une religion civile où le souverain a le droit et le devoir de pousser l'intolérance jusqu'à ses plus extrêmes limites. Et en faisant vivre en Julie cette foi qui renverse les montagnes.
 

L'amour moderne

Les formes du désir
Dès les premières lignes des Confessions, le lecteur pressent la place et le rôle que vont prendre l'amour, les femmes et le romantisme dans l'oeuvre de Rousseau. Ses déclarations sur son passé amoureux avec Mme de Warens l'initiatrice ou avec Mme d'Houdetot sont éclairantes. Ses autres écrits, notamment Julie ou la Nouvelle Héloïse ainsi que Les Rêveries du promeneur solitaire, nous conduisent résolument sur le chemin de la raison sensible. Une façon moderne d'articuler le plaisir et le devoir conjugal, la poursuite de l'intérêt personnel et les exigences du bien commun, la relation de la tendresse à l'enfant et l'obligation de le porter à l'autonomie.

L'amour
La Nouvelle Héloïse contient tous les thèmes de prédilection de Rousseau : la transparence des coeurs, la nature comme asile, la ville comme perversion, la rêverie du bonheur et la religion naturelle. Tout cela traité dans une grande trame romanesque largement autobiographique : Mon imagination ne laissait pas longtemps déserte la terre ainsi parée. Je la peuplais bientôt d'êtres selon mon coeur, et, chassant bien loin l'opinion, les préjugés, toutes les passions factices, je transportais dans les asiles de la nature des hommes dignes de les habiter. Saint-Preux et Julie dans l'imaginaire de Rousseau doivent beaucoup à ce qu'il vit, à l'âge de 40 ans, dans sa passion pour la comtesse Sophie d'Houdetot, belle-soeur de Mme d'Epinay.
 

La nouvelle éducation

Une révolution de la pédagogie
L'Emile est pour Jean-Jacques Rousseau une façon de montrer qu'en reprenant les choses à l'origine, on pourrait, par une façon éducative appropriée, régénérer une humanité qui, abandonnée à son propre mouvement, marche à coup sûr vers l'abîme. L'éducation de l'homme commence à sa naissance ; avant de parler, avant que d'entendre, il s'instruit déjà. Rousseau, comme une nature supérieure, comme centre de mouvement de l'ancien et du nouveau monde en fait d'éducation, saisi tout puissamment de la nature toute puissante, sentant mieux que personne combien ses contemporains étaient éloignés de ce qu'il y a d'énergique et d'actif dans la vie physique, aussi bien que dans la vie intellectuelle, il brisa avec une force d'Hercule les chaînes de l'esprit, et rendit l'enfant à lui-même, et l'éducation à l'enfant et à la nature humaine.

Les risques d'une pensée originale
En critiquant la science et la technique qui enferment l'homme dans la positivité, en s'attaquant à l'imposture des pouvoirs religieux et politiques, et en posant l'enfant comme un être appelé à l'autonomie, Rousseau a déchaîné les passions. A peine sorti des presses en 1762, L'Emile est saisi à Paris, le Parlement ordonne que le livre soit lacéré et brûlé. Il en sera de même à Genève, sur ordre du Petit Conseil. Jean-Jacques Rousseau sera décrété de prise de corps à Paris et puis expulsé de Suisse. Et pourtant Johann-Heinrich Pestalozzi, l'initiateur de la pédagogie moderne, a reconnu que l'Emile faisait date dans l'histoire de la culture des hommes.
 

La nature et son ordre

L'équilibre de l'homme et du milieu
Jean-Jacques Rousseau herborisant et botaniste, c'est un trait de caractère à relever en cette fin de XXe siècle où l'on prend enfin conscience des nuisances que l'homme provoque à la nature et des bienfaits des produits naturels. A l'Académie de Dijon, qui posait la question Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les moeurs, Rousseau répond par le Discours sur les sciences et les arts, une diatribe contre la culture et le développement anarchique des sciences. Il reçoit le premier prix et le public l'acclame, c'est le début de son immense succès comme écrivain. La dénonciation de ce progrès imprudent a été faite par Rousseau dans ses premiers écrits : Tout progrès incontrôlé provoque une rupture entre l'homme et son milieu et met en danger le développement harmonieux des espèces.
 

Rousseau herborisant Herbier de Jean-Jacques

Ne pas contrarier la nature
Décrivant dans l'Emile le séjour de ses rêves, Jean-Jacques donne sa préférence à une petite maison rustique avec une basse-cour, et pour écurie, une étable avec deux vaches, pour avoir du laitage que j'aime beaucoup. Les fruits à discrétion des promeneurs, ne seraient ni comptés, ni cueillis par mon jardinier. Rousseau est considéré par beaucoup comme le précurseur de l'écologie moderne. Laissez longtemps agir la nature, avant de vous mêler d'agir à sa place, de peur de contrarier ses opérations. Il a mis en garde contre le danger d'insulter la nature. Il souscrirait certainement aujourd'hui aux considérations de Claude Lévi-Strauss, qui constate que l'un des grands maux de la civilisation urbaine est qu'elle dissocie la consommation de la production.
 

L'harmonie musicale

Rousseau musicien
Musicien, chanteur et compositeur, Rousseau s'essaie à plusieurs genres. Il entreprend un nouveau système de notation musicale. L'Académie lui prodigue des compliments, mais elle juge que le projet n'est ni assez neuf, ni utile. Il compose un opéra ballet Les Muses galantes, puis un opéra Le Devin du Village qui est joué avec succès devant le Roi en 1752. Agé de 9 ans, Mozart assiste à une représentation en 1765 : impressionné, il composera deux ans plus tard Bastien et Bastienne inspiré de l'oeuvre de Rousseau. Il publie en 1753 la Lettre sur la musique française largement inspirée de son passage à Venise. Le ton est sans appel : Les Français n'ont point de musique et les connaisseurs et intellectuels de talent prônent la musique italienne. Cette affaire l'oppose à Rameau. Les articles sur la musique qu'il écrit pour l'Encyclopédie sont le point de départ de son Dictionnaire de musique (1753 à 1764).

La musique de la phrase
Dans son Dictionnaire de musique, Rousseau définit la romance comme une mélodie douce, naturelle, champêtre, et qui produit son effet par elle-même, indépendamment de la manière de la chanter. Et une romance chantée à l'unisson, c'est la mélodie naturelle dans son harmonie naturelle, celle qui touche directement l'âme de l'auditeur, tandis que l'interprète disparaît. La musique doit donc nécessairement chanter pour toucher, pour plaire, pour soutenir l'intérêt et l'attention. Mais comment dans nos systèmes d'accords et d'harmonie la musique s'y prendra-t-elle pour chanter ? Comme le note Jean Starobinski, le chant de plusieurs voix à l'unisson est, à l'image du choeur des vendangeuses dans La Nouvelle Héloïse, un signe mémoratif de ces temps éloignés d'avant la rupture de la civilisation, comme une façon de retrouver l'harmonie première avec le minimum d'artifice. Comment ne pas évoquer la musique de la phrase de Rousseau, telle qu'elle s'exprime superbement dans Les Rêveries du promeneur solitaire ? Pour lui, le langage est une création artificielle des hommes en rupture de société : il porte en même temps la nostalgie de l'unité perdue et la tension de l'unité recherchée. La phrase de Rousseau reste tendue entre ce double sentiment : elle éclaterait à coup sûr dans son contenu contradictoire, si sa mélodie ne venait reconstituer magiquement l'unité perdue.
 

Affiche de la représentation
du Devin du Village
Partition imprimée 
du Devin du Village

Voir également la partie Musique du site.
 

La découverte du moi

Autobiographie
Curieux autobiographe, auquel les lacunes de sa mémoire ne font pas problème : si l'événement ne fait pas surface dans l'évocation présente des signes mémoratifs, c'est qu'il est inessentiel ! Il est d'ailleurs incapable de dissimuler : mon coeur transparent comme le cristal n'a jamais su cacher durant une minute entière un sentiment un peu vif qui s'y fût réfugié. Rousseau dira donc tout. Entre le silence intérieur de l'innocence certaine et la clameur du coeur, il faut encore et toujours s'expliquer devant les autres hommes, s'exposer aux opinions, qui sont autant de jugements hâtifs et abusés au regard de la vérité de l'être. Rousseau n'a pas le choix : il déploiera tous les replis de son âme, il livrera toutes les pièces à conviction entre les mains du lecteur, lui laissant le soin de découvrir la vérité. Et, bien sûr, de l'acquitter.

L'identité retrouvée
C'est à proclamer son identité aux Français qu'il consacrera, entre 1772 et 1776, Rousseau juge de Jean Jacques (Dialogues) : une douloureuse tâche qui lui donne beaucoup de peine. Une fois de plus, l'oeuvre dépasse de loin la circonstance qui l'a provoquée, à savoir ce complot qu'alimentent les méchancetés des anciens amis, les calomnies de la gent parisienne, les ragots des gazettes. Y a-t-il eu réellement complot ? On en discute encore. Peu importe, à vrai dire. L'essentiel est que Rousseau y a cru, et qu'il devait y croire pour son propre salut. Il lui fallait les accusations, les calomnies, la haine, pour se poser dans l'écart ainsi creusé entre l'homme naturel et l'homme civilisé, et pour se retrouver dans l'écriture des Dialogues. L'identité ne peut se poser que dans le même temps où est posée et niée l'altérité. On retrouve ce mouvement dans la dialectique qui structure le développement des Dialogues. Des faits sont là, mais Rousseau les écarte d'entrée pour poser l'idée du complot ; puis il argumente, ferraille, plaisante, ironise pour confondre l'adversaire qu'il s'est créé en imagination. C'est Don Quichotte, mais alors que le héros de Cervantes s'étalait au pied des moulins à vent, Rousseau s'installe d'entrée dans la vision intemporelle d'un monde idéal, qui se révèle être, dans le second Dialogue, son propre monde. Laissant Rousseau ferrailler avec Jean-Jacques, l'auteur se retire sur la pointe des pieds vers ce point focal de son être d'où jaillit en liberté la volonté de bien ou de mal. Il en éprouve alors une félicité qui a le goût de l'éternité.
 

Le devenir de l'homme

Rousseau est également le penseur qui témoigne de l'existence d'une issue et de la possibilité d'une guérison. Son pessimisme historique est en effet l'envers d'une formidable foi en la capacité du monde à mener une existence sensée. La façon dont il parle de l'enfant témoigne de sa confiance dans le devenir de l'homme. Et le point d'ancrage de cet optimisme anthropologique, il faut aller le chercher sans hésiter dans le concept de nature. La bonté naturelle de l'homme n'est pas de l'ordre moral, mais c'est un principe de portée métaphysique : en récusant l'existence d'une perversité au coeur de la nature de l'homme, Rousseau libère radicalement la nature de toute autorité (ce qui n'exclut pas la contrainte) et de toute aliénation de droit. La nature humaine peut prendre un nouveau cours : celui de la liberté. Mais cette liberté reste à faire. Rousseau indique un devoir d'humanité. Qu'il se soit gardé de nous tracer concrètement la voie, tient sans doute à l'originalité de son message : c'est à chacun qu'il appartient désormais de faire son chemin en ce monde.
Texte rédigé par Marc-Vincent HOWLETT
auteur de L'homme qui croyait en l'homme

Ouvrages en ligne

La numérisation des textes de Rousseau ci-dessous n'engage pas la responsabilité des éditeurs.