ENTRETIEN

“Une civilisation très proche de la nôtre”

Entretien avec Christiane DESROCHES NOBLECOURT, conservateur général honoraire du département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.

u Comment votre passion pour l'égyptologie est-elle née?

Très simplement. Dans mon enfance, j'avais feuilleté des livres avec des images. De voir ces monuments et ces représentations de la vie quotidienne me frappait beaucoup. Les images de l'Egypte sont des images qui parlent, des figurations pleines de vie. Les femmes et les hommes sont beaux et paraissent heureux. Voilà ce qui m'a attirée. Et je n'ai pas été déçue une fois sur place ; les Egyptiens sont d'une gentillesse infinie. Ils défilent dans la rue la tête haute, dignes, ils sont généreux, aimables. Même le dernier des mendiants est un seigneur. L'accueil des paysans de Haute-Egypte vous va droit au cour, ce sont de braves gens, très intelligent et ils ont en eux une politesse et une sagesse ancestrales. Dans la vallée du Nil il y a aussi une atmosphère extraordinaire : l'air est transparent, quelque chose de léger vous irradie. Là-bas, vous êtes dans un monde à parc vous en oubliez même le temps...

u Pourtant, lorsque vous êtes arrivée en Égypte en 1938comme première femme "membre de l'École du Caire", ça n'a pas dû être facile pour vous; une femme dans le cercle très masculin et très fermé des égyptologues...

Ah ça oui alors ; ce n'étaient pas des cailloux que j'ai rencontrés sur mon chemin mais des rochers. L'idée qu'une femme puisse faire le même travail que ses confrères masculins et porter le même titre qu'eux... ça leur semblait épouvantable, scandaleux ! Il n'y avait eu de femmes ni à l'École de Rome ni à l'École d'Athènes, et naturellement encore moins à l'École du Caire. Une délégation s'est même constituée pour demander l'annulation de ma nomination. J'avais à peine 23 ans, j'étais encore timide. Il m'a fallu beaucoup de courage et d'acharnement pour continuer.

u Concrètement, cet acharnement c'est quoi?

C'est le travail. Quand on fait de l'égyptologie, il faut connaître bien des choses : les langues, les écrits anciens, classiques, avoir quelques notions d'astronomie, de mathématique, de géographie, de botanique, de zoologie, etc. J'ai commencé à 15 ans. Il m'a fallu au moins une bonne décennie d'études acharnées pour arriver à naviguer dans cette immensité de détails d'une civilisation si élaborée et si complète, qui a duré plus de 3 000 ans. Pour comprendre la vie des Égyptiens, leur société, leur évolution, il faut avoir une idée de ce qu'étaient non seulement leur pharaon, mais aussi leur administration, leur religion - c'est-à-dire leur conception du monde -, leur recherche des vérités cosmiques qui les entouraient Au début, quand on commence, tout est mystérieux. Pourquoi ces temples, ces obélisques, ces momies? Et tout ce mystère attire les gens.

u C'est donc le mystère qui régénère l'engouement des Français pour l'Egypte?

Il n'y a tout de même pas que les Français, mais en même temps cette civilisation qui semble d'abord très mystérieuse, lointaine et différente de la nôtre, nous apparaît finalement très proche. Leur sens de l'esthétique par exemple est voisin du nôtre.



propos recueillis par Olga PRUD'HOMME
pour la revue MEDITERRANEE-MAGAZINE