5 Perspectives possibles et critiques

Après la lecture d’un tel rassemblement de théories dans des domaines aussi divers, quelques idées de modélisations peuvent à leur tour émerger. C’est avec le modèle de Bart de Boer que l’on pourrait les tester. En premier lieu, je crois qu’il serai instructif de faire entrer une dimension plus humaine au modèle en modifiant le module de synthèse de son des agents en le rendant plus proche du système de production que nous possédons. Dans l’exemple de de Boer, seuls les trois premiers formants sont utilisés (la dimension acoustique), on pourrait utiliser aussi une synthèse basée sur les mouvements des articulateurs (beaucoup plus compliqué il est vrai). A terme, il pourrait aussi être intéressant d’employer des voyelles produits par des humains et des les échantilloner. L’initiateur pourrait même être un humain et l’agent imitateur un robot (cela nécessiterait des adaptations par rapport au modèle de base quant à l’évaluation de l’apprentissage).

A partir de là, une dimension temporelle et évolutive pourrait s’insérer dans la simulation. On pourrait utiliser comme paramètre pour la synthèse des sons (des agents robots ou implémentés dans une machine) les caractéristiques des tractus vocaux des différents hominidés fossiles. Il serait alors possible de voir quels systèmes vocaliques pourraient émerger avec tel appareil anatomique. Cela suppose évidemment l’intervention de paramètres articulatoires (et non acoustiques) dans le modèle.

Enfin, peut-être que l’interaction ne devrait pas se limiter à deux agents, des groupements d’agents pourraient être constitués…

A propos de l’utilisation de la modélisation, nous pouvons faire ressortir deux critiques générales, tout à fait personnelles (n’engageant donc que l’auteur). Tout d’abord, le langage est un système complexe qui est donc de fait difficile à réduire, à simplifier. L’idée de Luc Steels qui consiste à réaliser des simulations pour divers champs tels que la phonologie, la sémantique ou le lexique apport une vision fragmentaire. Il va s’agir de mettre en relation toutes les simulations dans ces domaines afin d’obtenir une cohérence. Les expériences de Bart de Boer sont certes très enrichissantes mais il ne s’agit pas de langage à proprement parler (d’ailleurs Steels en donnait un avertissement dans (Steels, 1998, p386)). Beaucoup reste à venir des recherches futures. Rappelons tous simplement que le tout est plus que la somme des parties, ce qui est clairement explicite dans l’étude des systèmes complexes mathématiques.

Un autre problème vient de la modélisation elle-même : à part reproduire un comportement, que prouve la simulation informatique ?  Il est impossible de construire un système identique à celui du phénomène observé, on se base sur des approximations : dans le cas du système de de Boer, la parole synthétisée n’est en aucun cas de la parole humaine, même si on en conserve certains formants. La modélisation ne montre qu’une approximation possible mais pas forcément plausible pour la validation d’une hypothèse. Ce n’est pas le même environnement, ce ne sont pas les mêmes conditions. Je reste tout de même enthousiaste quant aux apports de la modélisation, mais je crois qu’il faut en sentir les limites : la simulation montre une auto-organisation possible mais ne signifie pas que cela fonctionne ainsi in situ.