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FONDEMENTS THEORIQUES ET APPROCHE OPERATIONNELLE DES NOUVEAUX MEDIAS

DANS LA FORMATION DES ENSEIGNANTS "MEDIA ET INFORMATIQUE"

A L'UNIVERSITE DE GENEVE

Daniel Peraya, René Rickenmann, F. Lombard

Dr Daniel Peraya TECFA, René Rickenmann , François Lombard, FPSE Université de Genève, 9 route de Drize, CH 1227 Carouge, Switzerland.

Tél : 41.22.705.96.95 / Fax : 41.22. 342.89.24 / Email : Daniel.Peraya@tecfa.unige.ch, rickenma@fapse.unige.ch, francois.lombard@unige.ch

Web : http://tecfa.unige.ch

 






Geneviève Jacquinot (1995) appelait récemment à rénover l'éducation aux médias tout en indiquant le caractère paradoxal de son invitation : comment en effet rénover une pratique pédagogique alors que celle-ci n'est encore que très inégalement partagée et développée à travers les pays, les régions ou encore les secteurs de l'éducation. Elle rappelait aussi que les médias peuvent être source et mode de connaissance sous certaines conditions et, en particulier, dans une école dont la fonction doit être totalement redéfinie. Plusieurs raisons nous font partager cette conviction et parmi celles-ci l'émergence des médias électroniques nous paraît essentielle.

En effet, les médias traditionnels n'échappent pas au développement de l'informatique et du "tout numérique". Les outils informatiques modifient certes la conception, le traitement et les opérations techniques de production de médias comme la photographie et la télévision : c'est le cas par exemple de la prise de vue et du montage numériques. Mais surtout, le développement de "nouveaux" médias tels que le multimédia, le réseau Internet, le Web, les réalités virtuelles, etc., transforment le rôle et le statut des médias classiques, obligeant l'enseignant comme le chercheur à reconsidérer les outils théoriques, les méthodes d'analyse enfin, les scénarios d'utilisation et la pratique pédagogique. Cette mise en question concerne évidemment les médias, mais plus généralement les modes de recherche, de divulgation et d'appropriation des connaissances, en un mot les modes d'apprentissage. De nombreux pays sont d'ailleurs sensibles à cette évolution comme l'a montré le numéro 34 de Educational Media International  consacré à l'intégration des médias et des technologies de l'information dans les curriculums.

Demeurer aveugle à cette évolution conduirait d'ailleurs rapidement à la disparition de deux disciplines essentielles à la formation des enseignants : l'éducation de médias et simultanément la psychopédagogie des médias. De ce point de vue, l'évolution de la Section des Sciences de l'Education de Genève nous semble intéressante. On observe tout d'abord une importante désaffection, depuis cinq ans, des cours de psychopédagogie de l'audiovisuel et la demande croissante de formation en matière d'informatique, de logiciel éducatif et d'utilisation pédagogique des réseaux. Deuxièmement, la nouvelle formation universitaire des instituteurs, ouverte en début de l'année académique 1996/1997, propose un enseignement "Média et informatique "traitant de thématiques qui, il y a peu de temps encore, faisaient l'objet de cours distincts. La coordination de ces deux orientations au sein d'une même unité d'enseignement montre que ni le type de média ni la nature du support technologique ne peuvent constituer un critère taxinomique adéquat, les zones de recouvrement étant nombreuses. Le partage passerait sans doute par les pratiques et les scénarios pédagogiques dont chaque type de média peut devenir le support bien plus que par le seul critère technique, voire même sémiotique. Notons que le nouveau plan d'études du second cycle qui a débuté au même moment suit la même évolution. (Licence mention "Recherche et intervention")

Il paraît donc nécessaire d'identifier les caractéristiques propres de chacun de ces médias - classiques et électroniques - tout en réévaluant les problématiques transversales, celles qui se perpétuent à travers cette mutation technique. Parmi celles-ci citons : les modes de présentation et de traitement des contenus à travers les supports textuels, iconiques et sonores ; le rapport entre le texte, les images et le son ; la communication par l'image et plus particulièrement les rapports entre médias et communication pédagogique ; enfin, l'éducation au langage des sons et des images ainsi qu'aux formes de représentation scientifiques et/ou techniques.

C'est dans cette direction qu'oeuvre actuellement TECFA, l'unité des technologies éducatives de la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de l'Université de Genève.

LES FONDEMENTS THEORIQUES

a) Redéfinir le concept de "média"

Les nombreuses définitions des médias demeurent en général liées à l'objet technique (la télévision, le cinéma, la photographie) et à ses caractéristiques : de nombreuses classifications des médias éducatifs et/ou des "nouvelles "technologies - l'une des premières fut sans doute celle de Bretz (1972) - sont encore construites sur ce modèle (notamment, Basinac et Wentland, 1994 ; Sauvé, 1996). D'autres classifications plus sociologiques ont pris comme base le type de message susceptible d'être véhiculé par les dispositifs techniques, par les technologies de transmission. Cette tendance s'est souvent vu renforcée par les études d'inspiration sémiologique qui, en énonçant la diversité des codes constituant les messages, ont construit un système d'analyse strictement formelle au détriment des dimensions contextuelle, pragmatique et psychosociale. Le livre récent de Tisseron, Le bonheur dans l'image montre bien les limites de toute approche sémiologique qui ne prend pas en compte la relation individuelle au dispositif de représentation et à l'objet matériel qu'est la représentation elle-même : "Ainsi ce n'est pas la distinction entre image fixe et image animée qui fonde l'opposition entre la photographie et le cinéma, mais l'invention du dispositif de la salle obscure."(1996 :59)

Au-delà des limites de chacune de ces approches, ce sont surtout les relations et les déterminations réciproques entre les différents aspects qui nous semblent faire défaut. Nous croyons par exemple qu'il faut repenser l'articulation entre l'étude des représentations matérielles et mentales ; l'apparition des nouvelles formes de représentation, les médias numériques, en est l'occasion ainsi que l'ouverture vers une sémiotique cognitive.

La première étape consistera à trouver une définition du média qui satisfasse notre approche théorique. Nous retiendrons celle d'Anderson (1988 :11) : "Un média est une activité humaine distincte qui organise la réalité en textes lisibles en vue de l'action". Par rapport aux définitions classiques, celle-ci met en avant :

Dans cette perspective, il nous semble essentiel d'isoler les formes de représentation de l'information et des connaissances - au sens de formes symboliques et sémiotiques - de tous les autres aspects concernant les médias, à savoir les formes de diffusion, de présentation et de réception de celles-ci.

Les formes de représentation peuvent être définies en termes usuels comme les divers langages auxquels nous recourons pour communiquer nos expériences, des connaissances ou encore de l'information: la langue soit parlée soit écrite, les langages graphiques (schémas, tableaux, graphes, etc.), le langage mimétique de l'image et de la photographie, etc. Il s'agit donc des différents registres sémiotiques symboliques disponibles. Pour illustrer cette notion, nous pouvons nous référer à cet exemple connu que donnent Glass et Holoak (cité par Denis, 1989): le dessin d'une tasse peut être représenté par sa définition verbale ou par un système d'équation plus ou moins complexe puisque la tasse se laisse décrire par l'équation du paraboloïde elliptique et la soucoupe plate par celle du cercle. Pour notre part, nous ajouterions volontiers que le dessin de la tasse constitue déjà une représentation analogique de l'objet, de la tasse... Aussi serions-nous en présence de trois représentations différentes de l'"objet tasse" considéré comme référence : le dessin, la définition verbale, les formules mathématiques.

Par systèmes de diffusion et de présentation, par contre, nous définissons le canal et le support matériel de restitution, soit l'ensemble des dispositifs physiques et techniques, qui permettent l'appropriation du message par son destinataire. Enfin, les contextes de production et de réception du message doivent être envisagés sous ces différents angles : matériel, physique, organisationnel, institutionnel et socioculturel.

Le schéma 1 ci-dessous propose un modèle structuré des différents aspects constitutifs de tout média.
 
 

Schéma 1 : Modèle structuré des composantes constitutifs de tout dispositif médiatique

 






b) Outil cognitif et dispositif techno- sémiopragmatique

Les systèmes de signes qui sont à la base de nos représentations matérielles ont une fonction d'expression, d'objectivation, mais aussi de traitement de l'information. Ils contribuent à déterminer le mode de perception et d'intellection par quoi nous connaissons les objets et sont l'instrument de médiation et d'interaction entre notre univers et nous-mêmes : ils nous permettent de penser le monde et notre rapport au monde. Cette conception possède une longue histoire dont voici quelques jalons. Les travaux du philosophe E. Cassirer (1972) sur les formes symboliques qui doivent être considérées comme des formes d'objectivation du réel, structurant nos connaissances et nos actions. Les travaux d'anthropologues comme Leroi-Gourhan (1964) ou Goody (1978) ont montré l'importance de l'écriture pour le développement de la raison logique. Ce dernier auteur a insisté sur le fait que l'écriture, en tant que visualisation de la parole, a permis la constitution de tableaux et de lexiques qui ont affiné la rigueur terminologique, les processus classificatoires et la pensée logique qui, à leur tour, ont renforcé la pensée logique. En ce sens, les systèmes de représentations sont d'abord des outils cognitifs ou encore des technologies intellectuelles, ce qui est conforme au point de vue constructiviste - Vigotsky notamment - pour qui les outils cognitifs ne sont pas nécessairement des objets matériels ou techniques : ils peuvent être de nature symbolique comme le langage, l'outil cognitif par excellence.

Ces deux concepts - outils cognitifs et technologies intellectuelles - ont connu un important regain d'intérêt sous l'impulsion des courants cognitivistes, dans le sillage de l'informatique et de l'intelligence artificielle et de la cognition distribuée (Leoniev, 1981 ; Levy, 1987, 1990 ; Resnick et al., 1991 ; Jonassen, 1992 ; Pea, 1993 ). L'outil - au sens d'objet technique - est dans cas souvent privilégié comme le montre la définition de Jonassen :" Tools are extensions of human beings that partially differentiate humans from lower order species of animals. Other species of animals have discovered tools, but have been unable to conceive needs to construct or incorporate tools into their culture [...] (learning tools) are different from normal task-specific tools. These are generalisable tools that can facilitate cognitive processing - hence cognitive tools" (cité par Jerman, 1996 : 23).

Les théories de la communication nous apprennent encore à analyser les rapports entre représentation, artefact technique et relation sociale Autrement dit, les théories de la communication se développent et construisent leurs objets sur l'analyse des interactions entre ces trois univers : sémiotique, social et technologique. Que seraient, par exemple, les langages graphique, photographique, cinématographique ou multimédia sans l'existence des objets et des opérations techniques qui permettent de les produire, de les transmettre, enfin de les rendre perceptibles aux destinataires ?  Mais l'on sait aussi l'influence du dispositif de médiatisation technique - la vidéoconférence par exemple - sur la structure conversationnelle et dialogique (notamment Perin et Gensollen, 1992)
 
Tout dispositif médiatique véhicule à la fois une certaine représentation de la connaissance et un rapport au savoir, en conséquence il manifeste aussi une certaine conception de la pédagogie et de l'enseignement qui s'inscrit dans les aspects techniques, syntaxiques, sémantiques et relationnels.

Autrement dit, les dispositifs, qu'ils soient classiques ou exploitent les nouvelles technologies, possèdent toujours une double composante d'interaction fonctionnelle et intentionnelle (Barchechath et Pouts-Lajus : 1985) qui communique en même temps une conception de l'émetteur, du producteur et de l'usager, dans la médiation relationnelle que l'usage du dispositif réalise.

En effet ces interactions s'inscrivent dans un espace interactionnel dont la structuration, les cheminements possibles et les réactions prévues sont le fait de l'auteur, les représentations illustrant les connaissances et les modèles sous-jacents sont construits à partir de ceux du concepteur. Le dispositif dans son usage peut alors être vu en termes de communication asynchrone et à distance entre l'auteur et l'usager. L'usage commun ne s'y est pas trompé, qui glisse de "l'informatique" aux "TIC". La prééminence de la communication apparaît ici décisive. On devrait donc en toute logique définir le logiciel comme un dispositif de communication à travers le temps et l'espace entre les concepteurs et les usagers.

De la nature opératoire de l'usage du dispositif TIC et de l'impossibilité de rester passif découle un surcroît d'interaction et d'appropriation des outils, des formes de structuration des connaissances correspondantes, chez l'apprenant. Comment en effet utiliser un ordinateur sans intégrer -bon gré, mal gré- la structure arborescente qui sous-tend l'organisation du disque dur. Les concepteurs des operating system ont imposé là aux usagers une forme de relation entre les éléments d'information que sont les fichiers. Et pour utiliser le système, l'usager doit intégrer cette forme de structuration. Il est intéressant de noter que c'est bien inconsciemment que les ingénieurs ont imposé leur façon de penser à des millions d'usagers, et qu'il aura fallu l'arrivée des hypertextes et notamment du WEB pour que le public ait d'autres modes de structuration du dispositif médiatique.

Un peut donc définir un dispositif techno-sémiopragmatique, ou plus simplement un dispositif médiatique,  (Peraya, 1995, 1996, 1998) comme l'ensemble des interactions entre ces trois univers - technique, relationnel et sémiotique - interactions auxquelles donnent lieu une technologie de l'information, un système de représentation ou plus généralement un média. Ce néologisme sans doute rébarbatif contient dans les termes un rappel de chacun des trois univers et de leurs interactions.

UNE APPROCHE OPERATIONNELLE DES MEDIAS EDUCATIFS

a) Cadre de référence proposé aux enseignants en formation

Le travail mené avec les futurs instituteurs depuis l'année 1996-1997 s'inspire directement de ce cadre théorique de référence. Les domaines classiques de l'éducation aux médias et de la psychopédagogie des médias peuvent alors se voir redistribués dans une taxonomie opérationnelle telle que celle présentée ci-dessous dans le Tableau 1. Celui-ci présente de façon systématique les différentes problématiques évoquées (axe horizontal) et les types d'approche (axe vertical) proposés aux étudiants.
 
 

Tableau 1 : Les différentes approches des médias éducatifs

 



 

 

Compréhension et Analyse

Conception et
production

Problématique 
des effets

Les médias comme contenus d'enseignement 

  • Activités du type de celles prévues par la pédagogie "Magellan" pour l'éducation aux médias (document officiel et existant) 
  • Apprendre aux étudiants les contenus nécessaires à la mise en oeuvre de ce plan.
  • Produire c'est comprendre ; compréhension par induction des concepts sous-jacents à la communication médiatique.
  • Toutes les activités de production possible, en application de la case précédente...
  • Etude de la réception, etc. dont la problématique classique des effets;
  • Evaluation d'apprentissages scolaires et non scolaires à partir de matériaux scolaires et non scolaires
  • etc.
  • Médias comme moyens d'enseignement

    • Problématique des messages fonctionnels
    • Scénarios d'utilisation
    • Conception, production, évaluation, modification de matériel de formation multimédia
  • Analyse de variables des médias
  • Evaluation d'apprentissages scolaires à partir de matériaux scolaires
  • Médias dans l'école

    • connaissance de la réalité scolaire
    • intégration de l'usage des médias dans l'école
    • conception de programmes, etc.
    • effets dans l'institution, sur le personnel,
    • etc.

    Les formes de communication didactique et socio-éducative 

    • Recherches sur les modèles communicationnels existants (communication socio-éducative et didactique ; notion de discours, etc.)
    • Mise en rapport des caratéristiques sémiocognitives de représentations de nature différentes  avec des caractéristiques d'apprentissage
    • Analyse des conditions de minimisation de la nature polysémique des messages visuels dans le cadre fonctionnel de certaines formes de communication didactique
    • Etude entre représentations analogiques, images et modèles mentaux
    • etc.

     

    Ce tableau présentait aux étudiants un large choix de travaux possibles. Au-delà de sa fonction descriptive, il possède aussi une valeur opérationnelle puisque la présentation systématique, matricielle, des différentes approches et des thématiques générales leur permet d'identifier clairement le statut des savoirs (théoriques et pratiques) indispensables dans le cadre de projets spécifiques : savoirs à mobiliser, à construire et à communiquer, enfin à appliquer. Cet effort d'identification visait avant tout à souligner la différence entre d'une part la maîtrise technique de différents supports et d'autre part, l'approche des technologies considérées comme objet d'étude ou comme ressource pédagogique.

    b) Exemples de travaux réalisés par les enseignants en formation

    Pour les étudiants, il apparaît en effet difficile de faire la distinction entre les compétences techniques manipulatoires (comment utiliser les outils), les concepts scientifiques relatifs aux domaines techniques (théorie des couleurs, notions d'optique, etc.), les concepts relatifs au dispositif techno-sémiotique utilisé (pour le discours filmique par exemple, le montage, l'ellipse, etc.) et enfin les concepts psychopédagogiques. De plus, on pouvait craindre que la réalisation technique ne prenne le pas sur la dimension pédagogique de l'utilisation des médias puisque de nombreux participants n'étaient guère familiarisés avec les différents supports technologiques proposés. Or, en réalité, ce fut rarement le cas.

    Nous prendrons quelques exemples pour illustrer cette démarche. Une première recherche a porté sur  le degré de polysémie d'images destinées à l'apprentissage lexical dans une méthode d'apprentissage de langue étrangère (1998, http://tecfa.unige.ch/themes/icones/indicesmonosem/entree.htm). Le travail montre, à partir de la  mesure d'indices tels que le potentiel d'évocation et l'indice relatif de monosémie des images, que les plages visuelles censées permettre l'apprentissage d'entités lexicales nouvelles dans la langue cible permettent rarement d'atteindre leur but. En effet, les apprenants interrogés leur donnent rarement la significaiton attendue: la colline est comprise comme une montage, la haie comme la campagne...

    Un deuxièmer travail, Effets de la dégradation de la représentation d'animaux familiers (Hutin et Laborde 1997), analyse l'influence de variables visuelles (couleur, filtrage, détourage, etc.) sur les processus d'identification et de reconnaissance de représentations visuelles. Cette recherche tente d'articuler les représentations matérielles et les modèles mentaux sous-jacents. Son but était de mesurer l'impact du contexte, de la couleur et de la forme sur les mécanismes d'identification. Cette étude exploratoire a été réalisée avec des élèves de seconde année primaire (5 groupes de cinq enfants). Plusieurs images leur ont été présentées : celle d'un zèbre, d'un renard, d'un loup et d'un chien. Chacune d'elle a été présentée dans plusieurs conditions différentes réalisées grâce au logiciel de traitement de l'image Photoshop : en noir et blanc (256 niveaux de gris) ou en couleurs, détourée ou avec l'information d'arrière-plan, avec différents filtres. Enfin, les enfants interrogés devaient indiquer à l'expérimentateur leur degré de certitude sur une échelle de 1 à 4 et lui donner les raisons de leur choix.

    Les résultats montrent que les images contextualisées et noir et blanc sont toujours les moins bien reconnues. Or, ce type d'image est sans doute le plus fréquent dans la littérature didactique. On observe aussi que l'animal, lorsqu'il est particulièrement caractéristique (le zèbre), est toujours reconnu, quelles que soient les conditions de représentation. Pourtant, c'est curieusement le loup (le conte du petit chaperon rouge favoriserait-il ce taux élevé de reconnaissance ?) qui, toutes conditions confondues, est le plus fréquemment reconnu. Puis vient le renard et en dernière position le chien. C'est souvent la couleur qui apparaît comme l'indice d'identification, sauf pour le loup ; dans ce cas, c'est la posture "loup hurlant" qui est apparue prototypique. L'indicateur proposé par les enfants est d'ailleurs le cri, inféré d'après la posture et donc d'après la forme générale de l'image. Enfin, en ce qui concerne le chien, les indicateurs d'identification cités ont rarement à voir avec sa forme ou sa couleur : il s'agit surtout de caractéristiques affectives appartenant à la fréquentation quotidienne de l'animal domestique. Ces quelques modestes conclusions confirment des données observées par ailleurs : d'une part l'impact des aspects affectifs et relationnels dans la constitution des images mentales et des catégories conceptuelles (Darras, 1996) et d'autre part l'insuffisance des paramètres techniques de représentation pour expliquer la reconnaissance et l'identification des représentations (Denis et de Vega, 1993).

    Une autre étude a porté sur une campagne publicitaire Jeux d'élégance du magasin Bon Génie (Dubos, Zeller, Zellweger, 1998). Cette campagne diffusée à Genève notamment depuis quelques années présente des animaux familiers travestis: un éléphant est habillé d'écailles d'un poisson tropical, un autre du pelage du tigre, un éléphanteau est vêtu de la fourrure noire et blanche du panda, une girafe est zèbrée, le cerf porte le col vert des canards, etc. Le travail Qui suis-je ? (http://tecfa.unige.ch/etu/LME/9798/dubois_zeller_zellweger/presb.htm) montre trois comportements distincts chez les enfants interrogés : ils acceptent le mécanisme d'hybridation et de condensation et, en conséquence, considèrent comme normale la représentation mixte ; d'autres maintiennent la forme extérieure comme critère principal d'identification et identifient donc l'éléphant comme tel ; d'autres, enfin, se fient à l'habillage (couleur, forme et texture, etc.  du pelage) pour identifier l'animal.

    Ces trois exemples  permettent de mieux comprendre la nature des représentaitons analogiques et les différents rapports qu'elles entretiennent : rapport de signification (interne à la dyade signifiant/signifié) et rapport de désignation entre la représentation et sa référence, le représenté.  Dans cette perspective, le Groupe µ cherche à établir les fondements perceptifs d'une sémiotique visuelle, c'est-à-dire à analyser le processus sensation vs perception vs cognition. Le système visuel produirait dans les trois modalités que retiennent les auteurs - spatialité, texture et chromatisme - des structures de percepts élémentaires, intégrant et organisant les stimuli à partir de structures spécialisées : extracteurs de motifs, de directions, de contrastes, etc. On obtiendrait ainsi la production de figures puis de formes et enfin d'objets. Les figures naissent d'un processus "d'équilibration des zones d'égalité de stimulation"- d'où les notions de champ, de limite, de ligne, de contour, etc. - tandis que les formes font "intervenir la comparaison entre diverses occurrences successives d'une figure et mobilise[ent] donc la mémoire". Le passage à l'objet interviendrait ensuite par l'adjonction de propriétés non visuelles provenant des autres modalités sensorielles au moment où la forme se doterait de caractéristiques permanentes. L'objet qui s'apparente à la notion de type est alors considéré comme fort proche de celle du signe : "De ce que les objets sont une somme de propriétés, douées de permanence et guidant l'action, on peut avancer que cette notion rejoint celle de signe. Le signe est en effet, par définition, une configuration stable dont le rôle pragmatique est de permettre des anticipations, des rappels ou des substitutions à partir de situations. Par ailleurs le signe a, comme on l'a rappelé, une fonction de renvoi qui n'est possible que moyennant l'élaboration d'un système."(1993:91). Ce modèle présente plus d'un avantage. Tout d'abord, il introduit très tôt dans le processus qui mène de la sensation à l'identification de la forme le rôle déterminant de la mémoire et donc de l'apprentissage. S'il est vrai que toute connaissance provient de l'interaction sociale et de la médiation qu'introduisent les systèmes sémiotiques entre nous, le monde et les autres, on doit admettre que notre perception ne peut donc se construire sur la seule base du rapport à l'objet réel. Au contraire, on doit reconnaître que le langage verbal joue ici un rôle important : en effet, il est une différence entre la reconnaissance d'une forme et sa désignation qui est fondamentalement un processus de socialisation, impliquant l'interaction et la médiation du langage. La conséquence immédiate en est la re-conceptualisation de l'entité dyadique qu'est le signe saussurien. La proposition d'en faire une entité triadique - référent, signifiant et type - liés par des relations de transformation, conformité et de reconnaissance nous paraît féconde en ce qu'elle considère le référent déjà comme première forme de représentation de l'objet réel et le type comme une classe conceptuelle, comme un modèle mental. C'est donc intégrer la prise de distance nécessaire au développement de la cognition.

    Schéma 2 : La relation triadique constitutive du signe visuel (d'après le Groupe Mu)

    Une seconde réponse à cette question a été donnée par B. Darras dans son analyse de l'imagerie initiale (1996,1998). L'auteur se propose une définition de la pensée figurative, qui s'oppose à la pensée visuelle en ces termes: "[elle] travaille un matériel dérivé de la perception et notamment de la perception visuelle, mais ce matériel est entièrement reconstruit  par l'économie cognitive. Les processus de catégorisation, la typicalité et les résumés cognitifs opèrent sur ce matériel des sélections et des remaniements fondamentaux." Le cadre théorique dont s'inspire Darras est plus nettement cognitviste - les  catégories de Rorsh notamment - et, lorsqu'il cherche à classer les différentes représentations analogiques, l'auteur rompt avec la tradition des échelles d'iconicité pour proposer un modèle directement lié à la nature des représentations mentales et à leur appartenance à des grandes familles : d'une part les schémas  -dont les iconotypes et le pictogrammes - et d'autre part les similis.

    CONCLUSION

    L'intérêt de cette démarche réside dans une première confrontation des étudiants  avec les problèmes méthodologiques que pose toute recherche.  C'est d'ailleurs dans le cadre de leur cursus la première occasion qui leur est donnée de les rencontrer. Les thématiques et l'approche que nous favorisons à partir du modèle intégrateur défini et brièvement exposé ci-dessus leur permettent de prendre conscience de la complexité de tout dispositif médiatique et d'analyser l'impact relatif de ses composantes essentielles (technologique, semiocognitive, pragmatique et relationnelle).
     

    Bibliographie

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    Biographical note
    Dr Daniel Peraya est spécialiste de la communication pédagogique médiatisée de la formation à distance. Après avoir travaillé au département de communication de l'Université de Louvain La neuve (Belgique), il dirige le Centre audiovisuel pédagogique de l'Ecole Normale supérieure de dakar (Sénégal) entre 1975 et 1983. Depuis 1986, il travaille (MER) au sein de l'unité (TECFA) des technologies éducatives de l'Université de Genève. Il a collaboré à plusieurs projets européens et suisses dans le domaine des technologies et de la formation à distance. Il est l'auteur de nombreux articles et rapports dans le domaine et l'un des spécialistes de la formation à distance en Suisse.

    René Rickenmann est chargé d'enseignement à la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de l'Université de Genève. Actuellement il mène sa recherche de doctorat sur l'analyse des discours audiovisuels en éducation des adultes. Par ailleurs, il a participé à des projets Européens (POLLEN-DG XIII; HUMANITIES II) en ce centrant sur les problématiques de la médiation technologique en éducation, notamment lors de la mise en place de dispositifs éducatifs avec les NTIC.

    François Lombard est chargé d'enseignement au sein de l'unité des technologies éducatives de l'Université de Genève (TECFA). Il a dirigé des projets de développement de logiciels éducatifs depuis 1984, et participe depuis 1995 à l'élaboration de la formation des maîtres au CPTIC (Centre Pédagogique des Technologies de l'Information et de la Communication) à Genève