Étude descriptive de l'utilisation des cartes conceptuelles comme stratégie pédagogique en sciences de la santé

Annie Rochette, Marilou Bélisle, André Laflamme

Résumé

Contexte: Les cartes conceptuelles peuvent répondre à des usages multiples en éducation en sciences de la santé, comme stratégie de communication, comme aide à l'apprentissage,comme aide à la planification ou comme soutien à l'évaluation. Mais leur utilisation réelle dans le champ de la formation en sciences de la santé est mal connue. But: Les buts de cette étude exploratoire étaient : de documenter les pratiques actuelles d'utilisation des cartes conceptuelles dans le quotidien des professeurs en sciences de la santé ayant suivi une formation en ce domaine ; d'identifier les conditions perçues comme favorisant ou freinant leur utilisation. Méthodes: La population visée était les professeurs en sciences de la santé ayant suivi une formation sur les cartes conceptuelles dans deux universités québécoises (n = 55). Un questionnaire en ligne a été conçu spécifiquement pour cette étude exploratoire. Une analyse comparative du contenu permettant de faire ressortir les similitudes et différences a été réalisée. Résultats: Plus de trois quart des répondants (n = 26/33) rapportent utiliser les cartes conceptuelles. Leur utilisation est très variée : simple ou complexe, en prestation d'enseignement ou en évaluation, carte créée par le professeur et/ou les étudiants, construite en mode individuel ou collaboratif, en petit ou grand groupe. L'apprentissage signifiant est identifié comme un avantage important des cartes conceptuelles alors que le temps supplémentaire requis est perçu comme un des obstacles à leur utilisation. Conclusion: Les pratiques actuelles d'utilisation des cartes conceptuelles en éducation en sciences de la santé sont diversifiées et les obstacles identifiés apparaissent surmontables, ce qui est prometteur pour l'avenir.


Mots clés

cartes conceptuelles; pratiques actuelles; sciences de la santé; intégration des connaissances; évaluation des connaissances


Abstract

Context: Concept maps are useful in a variety of ways such as communication strategies, learning tools, planning tools or assessments. Yet what is known about their current use in health sciences? Goal: Describing current concept map practices by health sciences professors who benefited from specific training and secondly identifying perceived facilitators and hurdles to their use. Methods: The target group included all health science professors who were trained in concept mapping in two Quebec's universities (n = 55). Data were collected using an exploratory on line questionnaire developed specifically for this study. A comparative analysis of the content helped identify similarities and differences. Results: More than three quarters of respondents (n = 26/33) reported using concept maps in one or several courses. Their use varied greatly, from simple to complex, in individual or collaborative mode, in small or large size groups, from teaching strategies to assessments and maps created by teachers or students. Meaningful learning came out as an advantage while the extra time needed proved to be a hurdle. Conclusion: Current concept map practices in health sciences are varied. Hurdles could be overcome, which is promising for the future.


Keywords

concept map; actual practices; health sciences; knowledge integration; knowledge assessment


Introduction

Les cartes conceptuelles peuvent répondre à des usages multiples en éducation en sciences de la santé, comme stratégie de communication, aide à l'apprentissage, comme aide à la planification ou comme soutien à l'évaluation. Mais leur utilisation réelle dans le champ de la formation en sciences de la santé est mal connue. Avec l'arrivée de profils de pratique comme CanMeds[1] ou d'autres[2], de plus en plus de programmes de formation se tournent vers une approche par compétences. Par exemple, à l'Université de Montréal, cette approche est actuellement en phase d'implantation dans plusieurs programmes de formation en santé (ergothérapie, médecine, pharmacie, soins infirmiers pour n'en citer que quelques-uns). La compétence se définit comme un « savoir-agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d'une variété de ressources internes et externes à l'intérieur d'une famille de situations »[3]. La notion d'efficacité est d'autant plus importante que le professionnel de la santé, actuel et en devenir – c.-à-d. l'étudiant –, doit faire face à une augmentation exponentielle des connaissances à maîtriser, ce qui complique le défi d'être en mesure, le moment venu, de les mobiliser et de les combiner efficacement. Dès lors, on peut raisonnablement faire l'hypothèse qu'un travail portant sur l'organisation des connaissances antérieures et des connaissances nouvellement acquises, au moment de l'apprentissage, serait une stratégie cognitive primordiale dans l'optique de la construction d'un savoir-agir[4] ; il doit donc être encouragé et assisté par les enseignants au cours de la formation. Pour répondre à ce défi, de nouvelles stratégies pédagogiques doivent être adoptées. La carte conceptuelle, avec ses différentes applications[5], pourrait faciliter cette organisation et, à ce titre, elle constitue une technique pédagogique prometteuse dans une logique d'approche par compétences. Cette étude s'inscrit donc dans cette mouvance vers une approche par compétences de plusieurs programmes de formation professionnelle en santé où de nouvelles stratégies pédagogiques, comme l'utilisation des cartes conceptuelles, sont mises en exergue. L'objectif principal de cette étude exploratoire est de documenter les pratiques actuelles d'utilisation des cartes conceptuelles dans le quotidien des professeurs en sciences de la santé ayant suivi une formation en ce domaine. Un second objectif consiste à identifier les conditions perçues comme favorisant ou nuisant à leur utilisation. Nous allons d'abord présenter la méthodologie

Méthodes

Type d'études

Cette étude descriptive exploratoire utilise un questionnaire administré à l'aide de l'outil de sondage en ligne Survey MonkeyMD. Cette méthode de collecte de données a été préférée à des entrevues individuelles ou à des groupes de discussion principalement pour des raisons de faisabilité et de pertinence, puisqu'il s'agissait d'une étude exploratoire voulant dresser un portrait des pratiques effectives du plus grand nombre d'enseignants répondant aux critères d'inclusion. Le questionnaire en ligne permet au répondant de compléter le sondage au moment qui lui convient le mieux, sans qu'il soit nécessaire de prendre un rendez-vous préalablement. Les réponses sont transférables directement dans une base de données, minimisant les possibilités d'erreurs liées à l'entrée des données par une tierce personne et minimisant également les coûts. De plus, bien qu'il eût été intéressant de sonder également les étudiants, la présente étude cible les pratiques des enseignants uniquement, également pour des raisons de faisabilité. Une enquête auprès des étudiants pourrait faire l'objet d'une autre étude.

Matériel

Population

La population visée était composée des enseignants appartenant à une des sept facultés, écoles ou départements des sciences de la santé de l'Université de Montréal ou de l'Université Laval (médecine, médecine dentaire, médecine vétérinaire, pharmacie, sciences infirmières, kinésiologie et optométrie), ayant suivi une formation sur les cartes conceptuelles offerte par le CEFES entre janvier 2005 et juin 2008 (n = 55). La formation, en petit groupe de 10 à 15 participants, s'étalait sur deux demijournées. Le cadre conceptuel servant de base à la formation s'inscrit dans une approche cognitiviste qui met en valeur l'importance de l'apprentissage signifiant. Lors de cette formation, le participant était amené à construire une carte conceptuelle où il devait mettre en exergue ses connaissances antérieures. Il s'agissait ainsi d'une formation en étapes, au cours de laquelle le participant expérimentait les différentes utilités de la carte conceptuelle, depuis une utilisation simple comme stratégie de communication de l'enseignant vers les étudiants, jusqu'à une utilisation plus complexe impliquant une co-construction, comme lors de la collaboration synchrone et asynchrone dans la construction d'une carte conceptuelle consensuelle. Un travail pratique était assorti à cet atelier : à partir d'un thème proposé par les participants, ceux-ci développaient une carte conceptuelle personnelle qui était discutée en groupe à la rencontre suivante. Cependant, au décours de cette deuxième rencontre, aucun suivi n'était effectué de façon systématique mais le formateur se rendait disponible sur demande, au cas où le participant désirait implanter cette stratégie dans son enseignement et souhaitait bénéficier d'un soutien supplémentaire.

Dispositif

Un questionnaire a été développé spécifiquement pour l'étude à partir d'une recension des écrits sur le sujet. Il a fait l'objet de discussions de l'équipe de recherche (cinq réunions sur une période d'environ un an), quant à la formulation des questions et l'ordre de ces dernières, tout en se souciant d'arrimer le contenu recherché au cadre conceptuel. La formulation des questions a été prétestée pour leur compréhension auprès d'un répondant. La première partie du questionnaire était composée de questions ouvertes visant à documenter les pratiques d'utilisation des cartes conceptuelles en incluant le rationnel sous-jacent (objectif principal). Par exemple : Utilisez-vous ou avez-vous déjà utilisé les cartes conceptuelles comme stratégie d'enseignement et/ou d'apprentissage ? Pouvez-vous décrire l'utilisation que vous faites de la carte conceptuelle dans votre enseignement ? (veuillez s.v.p. préciser le but et la démarche utilisée), etc. a deuxième partie était composée de questions ouvertes et fermées visant à documenter le contexte de l'utilisation des cartes conceptuelles, en mettant l'accent sur la perception de la valeur ajoutée et des facteurs facilitant ou freinant leur utilisation (objectif secondaire). Par exemple : Selon vous, quels sont les points forts ou les avantages (valeur ajoutée) de l'utilisation de la carte conceptuelle dans votre pratique d'enseignement ? Selon vous, quelles sont les limites de l'utilisation de la carte conceptuelle dans le contexte de votre pratique ? Quels conseils donneriez-vous à un collègue qui voudrait utiliser les cartes conceptuelles dans son enseignement ? Etc.

Collecte des données

Les données ont été recueillies entre le 1er décembre 2008 et le 30 janvier 2009. Les participants ont été invités à participer à l'étude en remplissant le questionnaire en ligne par un courrier électronique personnalisé. Deux rappels par courrier électronique ont été envoyés.

Analyse des données

Les données des questions fermées ont été interprétées de façon purement descriptive. Une analyse qualitative comparative du contenu des données des questions ouvertes a été réalisée afin de faire ressortir les similitudes et différences selon les contextes d'utilisation, en ce qui concerne le type de carte, son (ses) auteur(s), sa (ses) finalité(s), etc. Ces données ont été synthétisées sous la forme de deux cartes conceptuelles, co-construites en collaboration par deux membres de l'équipe de recherche pour ensuite faire l'objet de discussions avec les autres membres de l'équipe jusqu'à l'obtention d'un consensus.

Résultats

Les données des questions fermées sont présentées de façon descriptive dans les tableaux I à II. Les données qualitatives extraites des questions ouvertes sont présentées sous la forme de deux cartes conceptuelles qui font l'objet des figures 1 et 2.

Tableau  I: Caractéristiques des enseignants ayant répondu au questionnaire sur l'utilisation des cartes conceptuelles (n = 33).
* Données manquantes pour certains répondants

Des 55 personnes sollicitées, 33 ont rempli le questionnaire en ligne, soit un taux de réponse de 60 %. Parmi les répondants, huit d'entre eux (24,2 %) ont rapporté ne pas utiliser les cartes conceptuelles dans leur pratique. Les raisons de non-utilisation évoquées étaient : un manque de temps (n = 3) ; ne s'applique pas à leur contexte (n = 3) ; ne l'ont pas priorisé comme stratégie (n = 1) et donnée manquante (n = 1). La majorité des répondants enseignaient à des groupes de plus de 51 étudiants (n = 20/33) et les deux tiers (n = 22/33) avaient plus de dix années d'expérience en enseignement (voir tableau I). Le dénominateur varie en raison de données manquantes.

Tableau  II: Pratiques d'utilisation des cartes conceptuelles en éducation en sciences de la santé déclarées par les répondants au questionnaire de l'étude (n = 26).
* Données manquantes pour certains répondants

Discussion

Cette étude exploratoire est originale et constitue, à notre connaissance, la première visant à recenser les pratiques actuelles d'utilisation des cartes conceptuelles au niveau universitaire en sciences de la santé. L'objectif principal était de documenter les pratiques actuelles d'utilisation des cartes conceptuelles dans le quotidien des professeurs en sciences de la santé ayant suivi une formation en ce domaine. Les trois utilisations possibles telles que décrites par Marchand et d'Ivernois[7] (aide à l'apprentissage, aide à la planification, aide à l'évaluation) ont été mentionnées. Les résultats indiquent une grande variété d'utilisation qui reflète sans doute la diversité des pratiques d'enseignement rapportées. Cette diversité est telle qu'il a été impossible de définir des profils clairs d'utilisation. Même si les répondants ont tous suivi une même formation, il est possible que les enseignants n'étaient pas tous au même stade d'appropriation de la technique au moment de l'enquête, ce qui pourrait contribuer à expliquer cette grande diversité et l'absence de profil clair, ce qui n'a pu être vérifié statistiquement. Plusieurs répondants utilisant l'approche par problèmes ont rapporté utiliser la carte conceptuelle. Son utilisation est apparue particulièrement utile dans ce contexte tout en ne se limitant pas à cette méthode pédagogique. Lorsque la carte conceptuelle était une production personnelle demandée aux étudiants, elle faisait l'objet d'une présentation orale auprès d'eux dans près de la moitié des cas. On imagine que suivant cette présentation, une forme de rétroaction était offerte. Selon une étude exploratoire auprès d'étudiants en médecine (n = 134), la rétroaction portant à la fois sur la carte en tant que telle (organisation, lisibilité, nombre de détails à inclure, etc.) et sur le contenu (véracité des liens) est essentielle[11]. Ceci concorde avec les pratiques actuelles : la majorité des répondants qui font faire la carte par les étudiants l'utilise aussi comme mode d'évaluation (formative), permettant ainsi d'offrir une forme ou une autre de rétroaction. Cependant, quoique l'utilisation d'un barème de correction apparaisse comme une pratique courante, l'existence d'un corrigé est plutôt rare. Les résultats du sondage actuel ne permettent pas d'élucider davantage pourquoi les enseignants ne fournissent pas systématiquement des corrigés aux étudiants alors qu'ils utilisent presque tous un barème de correction pour l'évaluation et/ou la rétroaction. Cela reflète possiblement le désir des enseignants de respecter la nature individuelle et évolutive des cartes conceptuelles, surtout lorsque celles-ci sont produites par les étudiants. Plus de la moitié des répondants avaient plus de dix ans de carrière en enseignement. Le fait que les enseignants expérimentés pourraient s'intéresser davantage à la pédagogie ou lui accorder une plus grande priorité reste spéculatif. Quoi qu'il en soit, il est légitime de supposer que plus ce type de stratégie est intégré tôt dans la carrière d'un enseignant, plus grand pourrait être l'impact sur sa pratique. On peut en contrepartie faire l'hypothèse qu'une expérience minimale en enseignement soit requise pour que l'utilisation des cartes conceptuelles soit optimale et apporte une réelle valeur ajoutée, comme cela semble être le cas pour les étudiants[12].

Cette étude comporte néanmoins quelques limites.Le taux de non-réponse à certaines questions peut s'expliquer par la méthode utilisée (sondage en ligne). L'utilisation d'une entrevue téléphonique ou en face à face aurait permis de réduire ce nombre de données manquantes. Il est légitime de se questionner sur les caractéristiques des non-répondants – taux de réponse de 60 %, malgré les relances – ; en l'état des informations disponibles, il n'est pas possible de savoir s'ils utilisent dans une proportion équivalente les cartes conceptuelles comme stratégie d'enseignement ou s'ils ont choisi de ne pas répondre au sondage justement parce qu'ils ne les utilisent pas. En ce sens, les résultats de la présente étude exploratoire offrent des pistes quant à la perception des utilisateurs et non-utilisateurs de cette stratégie mais les résultats ne sont pas nécessairement représentatifs de l'ensemble des professeurs en contexte universitaire dans le domaine de la santé, en raison de la petite taille de l'échantillon.

Conclusion

Les résultats de cette étude exploratoire font apparaître que les pratiques pédagogiques actuellement associées à l'utilisation des cartes conceptuelles en sciences de la santé sont diversifiées.
Ceci est potentiellement prometteur pour l'avenir, si l'on admet qu'il devient essentiel de promouvoir des stratégies d'apprentissage signifiant dans un contexte où les données factuelles croissent exponentiellement. Ce travail a également permis d'identifier à la fois des avantages consécutifs à l'utilisation des cartes conceptuelles mais aussi certains obstacles à leur utilisation. Comme l'ont souligné certains répondants, la carte conceptuelle n'est pas une fin en soi mais un moyen de favoriser un certain type d'activités cognitives cohérentes avec la perspective de l'apprentissage signifiant. À ce titre, il s'agit d'un outil utile à posséder dans son répertoire de moyens pédagogiques et à utiliser adéquatement en fonction des finalités à atteindre.

Remerciements

Cette étude a été réalisée grâce à un fonds de recherche du Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation de Montréal (CRIR) et du site Centre de réadaptation Lucie-Bruneau (CRLB) octroyé à l'auteure principale. Annie Rochette est également détentrice d'une bourse de chercheur Junior 1 du Fonds de la Recherche en Santé du Québec (FRSQ).

Références

1 Frank JR. (Ed). The CanMEDS 2005 physician competency framework. Better standards. Better physicians. Better care. Ottawa: The Royal College of Physicians and Surgeons of Canada, 2005 [Online] Disponible sur : http://crmcc.medical.org/canmeds/CanMEDS2005/.
2 Association canadienne des ergothérapeutes. Profil de la pratique de l'ergothérapie au Canada. Ottawa : CAOT Publications ACE, 2007.
3 Tardif J. L'évaluation des compétences: Documenter le parcours de développement. Montréal (QC) : Chenelière Éducation, 2006.

Annexes

Annexe 1:   Questionnaire