Document de travail interne: Draft,20010620, by Laure Carles, Gil:tecfa:unige.ch.

« Distributed teams »

Quelques hypothèses de recherche en vrac, à discuter.

Introduction

Ma motivation générale (pour mémoire)

Avoir un discours raisonné sur les « Virtual Teams ». Comprendre les implications du travail à distance et les meilleures façons de le gérer (quand, pour qui, quelle formation, quel management) grâce à une approche cognitive. Considérer non pas les comportements efficaces ou inefficaces de ses équipes mais leur source, c’est-à-dire les représentations des membres de cette équipe. Passer des effets observés (ça marche ou ça ne marche pas) à la compréhension des processus en jeu. 

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Ma question d’ouverture est : qu’est-ce que ça change de travailler à distance, plutôt qu’en co-located (c’est-à-dire, pour simplifier abusivement, ensemble en même temps et dans le même bureau) ? La question est très proche de celle de l’atelier TECFA de septembre :.

"When a team is split into distant locations, even if they get email, chat tools, audio and
video conferencing, phones, everything…
still, they loose something and become two independent
teams ("tribalisation symptoms"). What is lost ? Why? Can technology partly compensate this loss?"
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Bien sûr, en travaillant à distance, une équipe ne fait pas que “perdre” des choses.

Que gagne donc une équipe distribuée ?.

Que perd une équipe distribuée ?.

Analyse courante (cf. Pamela HINDS, 2000) :.

Mon analyse, autour de trois points: .

  1. Voir le travail à distance comme entraînant une perte de mutual awareness.
  2. Avoir une « distributed view on distributed teams », c’est-à-dire prendre en compte le rôle fonctionnel et symbolique des éléments physiques (objets et structures – par ex, bureaux) partagés.
  3. Voir le travail à distance comme générant des temporalités différentes entre les acteurs et les acteurs et le contexte.

1. Perte de « mutual awareness ».

La possibilité du « mutual awareness » naît du fait que les membres de l’équipe sont plongés dans le même environnement visuel, auditif, etc.    

Soient A, B et C qui partagent le même bureau.

Dans la notion de mutual awareness, je distingue :.

F2F.

Prise d’informations en « pull ». L’autre prélève l’information pertinente pour lui, parmi une grande masse d’informations de tous types disponibles, de façon consciente ou inconsciente. Beaucoup de choses passent tacitement (« monitoring »,  peripheral awareness, overhearing, mise à disposition…).

  • l’humeur, l’enthousiasme, la satisfaction, l’engagement de l’autre.
  • présence, disponibilité, degré d’occupation de l’autre.
  • le degré d’avancement du travail : qui travaille sur quoi et en est où.
  • des informations (in)directement utiles à mon travail.

Conséquence : chacun a l’impression d’ « être au courant ».

A distance.

Tout échange d’information passe par la communication, il doit donc être intentionnel.

N’est donc échangé que ce qui est perçu par A comme étant pertinent (en toute candeur) et approprié (s’il y a calcul) pour B.

A doit donc :.

  1. être conscient des éléments pertinents.
  2. décider de ce qui est pertinent pour un interlocuteur donné. Ce qui exige d’avoir une bonne perception de B, de son environnement, de son activité.

Quelques conséquences :.

  • il y a de nombreux éléments qui deviendront pertinents par la suite mais qui n’ont pas été communiqués sur le moment parce qu’ils ne semblaient pas pertinents.
  • de nombreux éléments qui auraient été pertinents pour B ne lui sont pas communiqués, d’où frictions (car l’autre a l’impression d’être exclu – ce qui n’est pas communiqué devient quelque chose qu’on n’a pas pensé à lui communiquer ou voulu lui communiquer) et risques d’incompréhension.

La mise à disposition de l’info est également une question de coût de la communication : .

  • un coût d’initiation faible favorise la communication informelle.
  • penser au coût social : question de forme : à distance, peut-il exister des modes de communication « à la criée » qui permettent de donner l’info et n’exigent pas d’entrer dans une interaction sociale ? A part les espaces partagés je veux dire . 

Les opportunités d’engager la conversation sont nombreuses et facilitées. Le coût de cette communication est très faible. On sait immédiatement si l’autre est présent et s’il est disponible ou occupé. On voit sur quoi il travaille. La communication informelle (des interactions brèves, souvent dyadiques, qui n’avaient pas été planifiées par les deux participants) sont importantes moins pour leur contenu que pour l’awareness qu’elle donne sur l’avancement de l’autre, sa motivation, sa satisfaction ou son stress...

La communication est médiatisée.

Conséquences :

  • coût de la communication accru (trouver le bon moment pour communiquer, initier la communication, etc.).
  • la communication est ponctuelle (formelle ou informelle, mais ponctuelle – peu d’opportunités d’échange) sauf avec un lien ouvert en permanence.
  • + effets connus de la communication médiatisée (communication plus formelle, moins chaleureuse ?).

Conséquence : le MM au sens large de chacun des membres de l’équipe est actualisé de façon très fluide, implicite, permanente, et quasiment invisible,  sans même que les membres de l’équipe soient conscients que quelque chose a changé.

Conséquence : l’actualisation  des MM est épisodique et volontaire.  Elle est intentionnelle et perçue comme étant intentionnelle.

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Ce renversement (de B prélève l’info pertinente pour lui à A transmet à B l’info pertinente pour lui) est lié à la communication.

J’ai envie de distinguer trois niveaux :.

D’où :                

Se croisent donc deux dimensions que je trouve intéressantes :.

  • Tacite <> Communiqué.

Avec les jeux sur le degré d’intentionnalité de la communication.

  • Permanent <> Episodique.

L’opposition communication formelle/communication informelle peut être partiellement analysée sur ce thème de la fréquence.

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Quelques hypothèses qui découlent de cette analyse : .

Le travail à distance est d’autant plus efficace que A sait estimer avec justesse ce qui est pertinent pour B, et ce d’autant plus que le travail à distance est asynchrone. Le travail à distance devrait donc être plus efficace quand :.

Quelques questions de fond :.

Gros soupir : qu’appelle-t-on Mutual Modelling ?.

Classiquement, il me semble que le terme désigne la représentation que A se fait de son/ses partenaires : en particulier, ce qu’ils savent et ce qu’ils savent que A sait.

Bien sûr, la représentation que je me fais de mon partenaire dépasse ses connaissances et comprend ses compétences générales, sa personnalité, ce qu’il sait d’un point précis du projet, ce qu’il ressent, son degré d’engagement dans le projet/une question particulière, ses réelles motivations, ses attentes par rapport à moi, etc.

Ici, je définis Mutual Modelling dans un sens plus technique et plus restreint comme la compréhension que A a de ce qui est pertinent comme information pour B (et réciproquement), en fonction non seulement de la tâche étudiée, et de la mission de B, mais aussi du point de vue de B (en tenant compte de ce que cette tâche et cette mission représente pour B).  

Il s’agit donc d’une approche du MM finalisée : « ce qui est pertinent pour B » dépend du contexte, de la tâche, de la mission en cours, etc.

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Gros soupir bis : comment manipuler expérimentalement le Mutual Modelling des participants ?.

MM initial.

  • « Jigsaw », c’est-à-dire segmentation de l’information : dans le sens restreint où je le définis, pour manipuler le MM, il ne s’agit pas de donner des informations différentes aux différents participants mais de leur donner des informations ou pas sur les informations dont disposent les autres.
  • Par le recrutement : des gens qui se connaissent bien, des experts d’un domaine, des gens qui connaissent bien ou pas leurs métiers réciproques, qui ont le même process de travail ou pas...
  • Par une warm up task.
  • Roleplaying :  donner des rôles et points de vue différents aux différents acteurs. Idem que pour le jigsaw : il s’agit de rendre ces rôles common knowledge ou pas.
  • Autres idées ?.

MM dynamique.

Deux hypothèses, à tester : .

  1. Les outils d’awareness augmentent le MM car ils permettent à A d’inférer des actions de B ce qui est pertinent pour lui et que A les utilise dans ce but.
  2. Les questionnaires explicites répétés tout au long de la tâche augmentent le MM car ils sensibilisent A à la question : qu’est-ce qui est pertinent pour B ? Son attention étant attirée sur ce point, A perçoit mieux ce qui est pertinent pour B.  

Ce qui pose encore la question complexe des influences relatives des MM initiaux et dynamiques.

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Quelques débuts d’idée d’expériences.

Variable à manipuler : l’anticipation de ce qui est pertinent pour B par A.
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H1 : La déperdition (F2F-CMC) et (CMC synchrone-CMC asynchrone) pour MM+ est moins grave que la déperdition (F2F-CMC) et (CMC synchrone-CMC asynchrone) pour MM-.

On manipule le degré de MM (variable indépendante) et mesure la qualité objective et subjective du travail collectif et analyse les interactions.

En particulier, si on admet l’hypothèse que deux experts auront un meilleur MM que deux novices ou un novice et un expert (avec l’idée que l’expert peut mieux anticiper a priori ce qui va être pertinent)., la déperdition (F2F-CMC) est moins grave pour un expert que pour un novice.

H2 : F2F, la communication est davantage guidée par l’auditeur que en CMC synchrone et plus encore asynchrone.

Tester deux systèmes.

H3 : Plus les intérêts réels des membres de l’équipe divergent, et plus ce sera difficile en distribuée.

Variable à manipuler : la tâche, en particulier la « quantité de tacite » dans la tâche (rôle du contexte, éléments inconscients et conscients qui jouent un rôle).

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H4 : plus la tâche dépasse la seule communication verbale, moins elle est appropriée au travail à distance.

Une question intéressante : qu’est-ce qui est et qu’est-ce qui n’est pas communiqué ?.

Par exemple, on constate que dans les expériences de distributed collaborative work, le contexte de la tâche est très rarement évoqué spontanément par les acteurs, même quand il est différent pour les différents acteurs et pertinent pour la tâche. 

Ces considérations me poussent à rechercher une tâche assez sémantique, où différents acteurs peuvent avoir des hypothèses implicites différentes et des interprétations de la tâche différentes.

Variable à manipuler : le rythme, entre la communication et l’évolution de la tâche.

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H5 : F2F, le modèle mental est actualisé en rythme avec l’activité, selon la même dynamique pour les différents acteurs et dès que la représentation du problème change. En CMC, le modèle mental est actualisé de façon épisodique, quand les acteurs trouvent le moyen de se parler (même quand la communication est synchrone, elle est loin d’être permanente).

Autre idée marrante :

C1 : voir ce que ça fait expérimentalement de permettre aux gens d’échanger tout le temps ou seulement à des moments clefs suivant la tâche– plus ou moins d’efficacité individuelle et collective, plus ou moins d’autonomie ?.



2.  “A distributed view on distributed teams”.

Rôle des objets dans la coordination, la collaboration et l’identité.

F2F.

Rôle identitaire : qu’est-ce qui fait exister une équipe ?.

Le bureau est un espace consacré pour l’équipe. Dans un bureau dédié, 1001 petites choses font que, même si les membres de l’équipe sont absents, l’équipe continue à exister (« on est chez eux »).

Le support externe renforce l’identité de l’équipe en particulier vis-à-vis du reste de l’organisation.

L’identité de l’équipe est fondée sur :.

  • Une « définition interne » (l’image que les membres se renvoient : shared mental models, sympathie réciproque, interêts partagés, etc.).
  • Une « définition externe » (l’image que l’organisation renvoie de l’équipe) Des signes institutionnels d’appartenance (les plaques sur la porte, les bureaux personnels, les signes extérieurs de statut –moquette, plantes vertes, etc.-).
  • Avec des éléments matériels et immatériels d’identité (en particulier: des objets intermédiaires, tous les papiers qui traînent, les affiches au mur, etc).

A distance.

L’équipe n’existe que quand elle agit (échange de mails, réunion autour d’un verre…).

ou par ce qu’elle produit (les documents ou objets qu’elle produit, s’échange ou distribue). Quand les membres de l’équipe ne sont pas là, connectés les uns aux autres, et actifs, l’équipe n’existe pas.

Les signes institutionnels ne passent plus  par l’architecture...

Rôle fonctionnel.

Le contexte, les bureaux, etc. existent et structurent de fait l’équipe et ses façons de travailler.

Présence d’objets intermédiaires, supports et réification  de la réflexion collective (brouillons, modèles, etc.) En quoi jouent-ils un rôle dans les processus et résultats de l’action collective ?.

Je peux moins facilement échanger des objets intermédiaires, surtout physiques (pour les objets électroniques, whiteboards, modèles numériques, etc.). mais quand ceux-ci sont échangés, ils structurent le travail collectif (ex des « fantômes » étudiés par Dominique Vinck, échantillons qui voyagent dans les réseaux scientifiques).

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H6 : A distance, l’identité de l’équipe est beaucoup plus fragile puisqu’elle repose uniquement sur les (shared) mental models de ses membres.

H7 : Les travaux collectifs qui utilisent beaucoup les objets intermédiaires seront plus difficiles à distance.



3. Temporalités de l’action collective.

Ce paragraphe est confus, d’autant qu’il passe de MM= Mutual Modelling à SMM= shared mental models.

La plupart des collaborateurs, surtout quand ils ne sont pas co-situés, sont engagés dans de multiples activités. Le projet n’est qu’un projet parmi d’autres, qui ont chacun leur importance.

F2F.

8 heures par jour de cohabitation forcée : qu’est-ce que ça change ?.

A distance.

  • Au pire : pas de temps disponible, individuellement et ensemble.
  • Au mieux : plus de tranquillité. Pour peu que l’activité soit découpée en modules au moins partiellement autonome, je peux travailler de mon côté sans être dérangée toutes les deux minutes. Et avec moins d’évaluation permanente, en travaillant comme je veux (roulé par terre, en faisant trois choses à la fois…).

Le lieu du projet est le lieu de toute l’équipe.

Quand les choses évoluent, tout le monde est au courant.

L’équipe est distribuée.

Les choses peuvent évoluer sans que certains membres en soient informés. D’où multiplication des incompréhensions et susceptibilités.

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Mon hypothèse, c’est que la dynamique collective est critique: ce qui est important, c’est de maintenir un modèle commun. C’est une question de fréquence d’actualisation : il s’agit d’actualiser le modèle collectif en rythme avec les évolutions du projet.

H8 : Les membres d’une équipe sont efficaces et contents quand leurs modèles mentaux sont justes, partagés pour ce qui  a besoin d’être collectif, et en phase avec le projet.

« Qui vive ? » Le Rivage des Syrtes, Julien Gracq.

« On est bien dans une démarche d’essai-erreur collectif où le rythme de la dynamique des contributions individuelles permet de coproduire un résultat commun. Dans cette perspective, la valeur ajoutée d’une contribution ne se mesure plus par sa qualité intrinsèque, mais plutôt par l’impact qu’elle suscite dans la génération de contributions ultérieures des autres membres de l’équipe. » (Brasseur et Picq, 2000).



4. Rôles des outils technologiques.


THE END:
Document de travail interne: Draft,20010620, by Laure Carles, Gil:tecfa:unige.ch.